La Revue du Vin de France

Penfolds BIN 60A 1962 Le mythe australien

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Il est rare dans cette rubrique prestigieu­se de citer deux fois un même producteur en l’espace de trois ans. Nous faisons ici une entorse à la règle. En 2019, notre ami Pierre Casamayor avait consacré une rubrique au Penfolds Grange Hermitage 1971 (La RVF n° 632, juin 2019). Nous nous penchons ce mois-ci sur une autre bouteille du célèbre producteur australien : le Penfolds Bin 60A 1962.

Pourquoi ce traitement de faveur ? D’une part, parce que peu de vins dans l’Histoire ont recueilli autant d’éloges de critiques du monde entier, qui le classent régulièrem­ent dans leur liste des vins “à boire une fois dans sa vie”. D’autre part, parce que cette cuvée expériment­ale, produite à seulement 5 100 exemplaire­s, eut un impact déterminan­t sur le marché global du vin, ouvrant la voie à l’avènement planétaire des vins australien­s.

60 ANS EN GRANDE POMPE

Cette bouteille est si iconique que Penfolds a célébré l’an passé en grande pompe les 60 ans de ce Bin 60A 1962, lors d’une soirée prestigieu­se organisée dans les salons de la Chambre de commerce de Bordeaux. Ayant le privilège d’avoir été invité par Peter Gago, winemaker en chef de Penfolds, je me souviens que l’excitation était à son comble dans la salle : la grande majorité des convives n’avait en effet – tout comme moi – jamais eu la chance de goûter cette cuvée mythique.

La soirée avait commencé par une succession de quelques-uns des plus grands vins de Penfolds : Yattarna 2008, Grange 1990, Bin 620 Coonawarra Cabernet Shiraz 2008, Block 42 Kalimna Cabernet Sauvignon 2004, un Old Rare Tawny de 50 ans, et même un improbable Bin 414 Sauternes de 1962 !

Au sein de cette scintillan­te constellat­ion, le Penfolds Bin 60A de 1962 réussit non seulement à se détacher, mais aussi à capter toute la lumière. Il faut dire qu’il ne ressemble à aucun des vins que j’avais pu goûter jusque-là : son nez se présente puissant, profond, généreux, avec des notes de champignon­s, d’encens, de vieux cuir et de fruits noirs mûrs, tout cela doté d’un incomparab­le éclat. À 60 ans, il ne laisse paraître aucune trace de poussière ni d’essoufflem­ent. Il développe au contraire une fraîcheur de cassis camphré très inattendue. L’intensité en bouche ? Elle est phénoménal­e. Le vin s’offre plein, sphérique, velouté. Il déclenche en bouche un feu d’artifice aromatique : cerise, framboise, expresso, graphite, herbes médicinale­s avec, en filigrane, cette très légère note de zeste d’orange. La longueur est immense. En plus, le vin développe un ressac vibrant qui évolue sans cesse sans perdre en intensité. Jamais je n’avais goûté un 1962 aussi puissant, frais, éclatant.

MARS 2023 -

HOMMAGE AU DÉMIURGE

L’assemblée était K.-O.. Peter Gago prit alors la parole après un long silence pour saluer le créateur, le démiurge, Max Schubert, le winemaker historique de Penfolds. L’homme qui eut l’audace de tester cet assemblage magique, 66 % de shiraz de Barossa et 34 % de cabernet de Coonawarra.

Peter, dans son discours, convoqua André Tchelistch­eff, le pionnier de la viticultur­e californie­nne. Dégustant le BIN 60A 1962 devant une assemblée de vignerons de la Napa Valley, lui dont les vins étaient si respectés avait marqué les esprits en déclarant : « Messieurs, en présence d’un tel vin, on se lève ».

Aujourd’hui, cette fantastiqu­e bouteille, sexagénair­e étincelant­e, hélas produite en peu d’exemplaire­s, est en voie d’extinction. Me viennent à l’esprit les mots de Marcel Proust, « Les vrais paradis sont les paradis qu’on a perdus », tandis qu’au fond de moi demeure encore aujourd’hui quelque chose de puissant, l’immense gratitude d’avoir pu goûter une fois ce mythe.

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