Amayès Aouli, un Parisien globe-trotter chez Bonhams
Après deux années fastes chez Sotheby’s, la vénérable maison anglaise lui confie la direction monde de son département vin.
Comment un Parisien au mitan de la trentaine se retrouve-t-il patron des ventes de vin chez Sotheby’s puis, deux ans plus tard, “directeur monde du département des vins et spiritueux” chez Bonhams, l’une des plus anciennes maisons d’enchères anglaise, créée en 1793 ?
L’homme a du style. Costumes parfaitement coupés, fine barbe de trois jours, lunettes d’écaille, voix douce. Il a lu les Grecs et émaille ses propos d’allusions psychanalitiques. Il connaît le vin bien sûr. Il s’appelle Amayès Aouli. Qui est-il ?
KABYLES ET ENGAGÉS
Fils unique, Amayès naît à Paris en 1985, de parents médecins. Lui est ORL, elle psychiatre. Tous deux sont kabyles. Ils ont fait leurs études à Alger, puis en France. Deux intellectuels engagés. La soeur de la mère d’Amayès est une figure des cercles bourdieusiens, elle travaille avec le maître à l’EHESS. Le meilleur ami de son père est le chanteur Idir, une star en Algérie, l’idole de tout le peuple berbère. Idir est le parrain d’Amayès. Chefs politiques, médecins, artistes, écrivains, réfugiés : dans les années 1990, en pleine guerre civile contre le FIS (Front islamique du salut) en Algérie, les parents d’Amayès reçoivent la terre entière à Paris.
Dans cette bohème joyeuse, les bouteilles défilent et le jeune Amayès se nourrit des discussions enfiévrées. Un jour, son père ouvre un flacon particulier, Yquem 1990. C’était Noël, Amayès a 17 ans. Le silence se fait. « Ce soir-là, j’ai ressenti la lumière bue dont a parlé un grand écrivain, je ne l’ai pas oubliée », se souvient-il.
Le jeune homme rêve de la rue d’Ulm, veut devenir diplomate, voyager. Ce sera l’Edhec avec, à 23 ans, une première immersion à Londres, dans la fièvre d’une salle des marchés. On est en 2007-2008, en pleine crise. « Nous bossions comme des dingues et perdions 20 à 30 millions par jour. Et chaque soir, c’était “swinging London” », se rappelle-t-il émerveillé. Ensuite, il y eut Séoul pour aller chercher un MBA. Bons restos, vins fameux, nomadisme avec un saut en Corée du Nord. « Ces six mois m’ont fait progresser de dix ans. »
En 2010, Amayès part à Hong Kong pour la Société Générale. Ah très important : à l’occasion d’un voyage humanitaire en Inde, il rencontre Emmanuelle. Une bourlingueuse, comme lui. Fille de diplomate, née en Australie, petite enfance au Japon, adolescence à Rome. Emmanuelle est devenue sa femme. Elle est architecte d’intérieur, ils ont deux filles, Agapé, 8 ans, et Théia, 5 ans.
RATTRAPÉ PAR LE VIN !
Cela fait dix ans qu’Amayès sillonne le monde, Paris lui manque. Justement, la banque J.P. Morgan lui propose un poste, il convainc Emmanuelle de rentrer. Et là, à Paris, le vin le rattrape. Avec Emmanuelle et des copains, il crée un club de dégustation, s’inscrit au WSET, achète beaucoup. Il épouse Emmanuelle en Toscane, à Greve in Chianti. Et à la veille du Covid-19, envisage de tout plaquer pour ouvrir un bar à vins.
Raté ! Fin 2020, coup de fil : Sotheby’s crée un département vins en Europe. Ils pensent à lui. Les discussions traînent. Mars 2021, nouvel appel, c’est le bon : « Nous avons gagné l’appel d’offres de la vente des Hospices de Beaune, nous vous attendons ! ».
Il prend ses fonctions le 21 août, trois mois avant la vente. 1 200 e-mails en attente bloquent son ordi. À 36 ans, en pleine sortie de Covid-19, le voilà chargé de vendre les 2021, le plus “petit” millésime depuis quarante ans en Bourgogne ! Coup de chance, il y a cette rencontre décisive : Ludivine Griveau. Entre la jeune régisseuse et lui, le courant passe. Elle lui ouvre la porte des chais, ils suivent ensemble l’évolution de chaque pièce. Dix jours avant Beaune, lors d’une vente de vins du domaine de la Romanée-Conti, Amayès bat un record du monde. Dans la foulée, la vente des Hospices animée par Pio Marmaï est un succès. « C’était le Kairos des Grecs, le bon acte au bon moment », se souvient-il.
Le voilà désormais chez Bonhams, directeur monde pour le vin, basé en France. Les trois derniers mots comptent. Amayès a réussi à convaincre une compagnie anglaise de 227 ans de fixer son département vin de l’autre côté du Channel. Pas de doute : cet homme-là a un talent fou.