La première catastrophe industrielle
« Je n’ai pas vu l’explosion. À ce moment- là, j’étais de dos. Ça m’a soulevé, je suis tombé dans les graviers. J’ai vu des flammes autour de moi. Tout était rouge, je ne voyais rien d’autre. C’était comme une pluie
de feu. » Le 4 janvier 1966, le sapeur Albert Pétard, 21 ans, réalise sa première sortie en tant que pompier. Pas encore titulaire, il achève ses trois mois de stage par cette intervention sur la raffinerie de Feyzin. « La raffinerie de Feyzin, on ne connaissait pas très bien. On nous a mis un peu au courant dans le camion. En s’approchant, on voit une torchère ( des flammes de près de 50 mètres de haut, NDLR) sortir
de la grosse boule ( la sphère stockant du propane, NDLR). On s’est dit : “Dans quoi on s’embarque? ” » . Depuis 7h15, un incendie se répand sous les cuves de la raffinerie de Feyzin, inaugurée deux ans plus tôt. Le feu part d’une fuite de gaz qui s’est répandue sur l’autoroute attenante. Une voiture met le feu au gaz, qui se propage aux réservoirs. Les secours, arrivés quelques minutes après l’alerte, sont vite dépassés. Le feu est d’un genre nouveau pour eux : habitués aux fuites de gaz, ils sont pour la première fois confrontés à une fuite de gaz liquéfié, que la chaleur seule suffit à embraser. Pire, les pompiers se retrouvent rapidement sans eau, puisque, par sécurité, les dispositifs de refroidissement ont été déclenchés dès le lancement de l’alerte. Le feu continue son expansion et finit par faire s’ouvrir la première « boule » . Peu avant 9 heures, 160 tonnes de gaz liquéfié se répandent en un cercle de feu d’un diamètre de 250 mètres. Un rapport du ministère de l’Environnement daté de 2006 relate froidement: « Tous ceux présents à moins de 50 mètres de la sphère sont tués, à l’exception de deux pompiers. » Des fragments sont projetés à 800 mètres. Un morceau de 80 tonnes est retrouvé à 270 mètres de là. C’est cette explosion qui a projeté Albert Pétard au sol. « Quand je me suis relevé, je me suis mis à courir. Je retrouve un collègue, qui me dit que ma veste
brûle, je ne m’en étais pas rendu compte. On a couru le plus loin possible. À ce moment, c’est l’instinct de survie, la panique. On a trouvé un pompier, encore vivant mais carbonisé. On l’a porté et un civil nous a
transportés jusqu’à l’hôpital. » Deux autres explosions surviennent autour de 9h45. Il faudra plus de 24 heures aux 158 pompiers présents pour maîtriser les flammes. 1 475 habitations ont été touchées. La première catastrophe industrielle en France impactera durablement le pays, aussi bien au niveau local qu’au niveau législatif, où une série de mesures seront entreprises suite à cet événement.