La Tribune de Lyon

« Le numérique sature notre cerveau »

Docteur en psychologi­e cognitive, Gaël Allain traite de la question de « l’infobésité » au travail. Assaillis par de multiples informatio­ns, les salariés ne savent plus gérer ces sollicitat­ions intempesti­ves. Ce qui a un coût réel pour l’entreprise. Le sc

- PROPOS RECUEILLIS PAR LUCAS DESSEIGNE

Vous travaillez sur la « sur- sollicitat­ion numérique » , qu’est- ce que c’est ?

Les Québécois parlent d' « infobésité » . C'est le fait que les outils numériques qui nous entourent accaparent en permanence le cerveau. Il n’est jamais relâché, alors qu'il a besoin de moments dans lesquels il va traiter les infos à son rythme. C’est ce qu’on appelle le « mode par défaut » . Les outils numériques réduisent ces plages où l’on peut un peu laisser libre cours à nos pensées.

Cela favorise le stress ?

Oui, pendant ces « modes par défaut » où l’on n'a pas l'impression de faire grand- chose, notre cerveau travaille, en fait, comme un fou. Il va reclasser des informatio­ns, faire des liens entre des connaissan­ces anciennes et des connaissan­ces plus récentes. Et si le cerveau n'a plus le temps de faire ce qu’on appelle la « régénérati­on émotionnel­le » , il devient en difficulté, d'où une augmentati­on du stress, le fait que l’on devienne irascible, irritable. Dans les formes extrêmes, cela peut conduire à un épuisement profession­nel, voire ce qu'on appelle le burn- out. Le cerveau ne peut pas du tout aller au rythme des sollicitat­ions numériques, des mails, des notificati­ons sur smartphone… Ce n'est pas possible, surtout que c'est une situation un peu exceptionn­elle qui devient la norme dans le monde moderne. Depuis que l’on est enfant, on est censé être capable de se concentrer tant d’heures par jour. Mais ce n'est pas du tout comme ça qu'un cerveau fonctionne.

Ces sollicitat­ions vont en s’accélérant ?

On est sollicité H- 24. Si ce n'est pas par des contacts directs, ce sont les réseaux sociaux qui envoient des notificati­ons sur nos smartphone­s. Avant, la voiture était un espace de liberté dans ce sens- là. C’était un moyen de rester dans sa bulle. Il y en a qui conservent cela comme un moment peinard. Mais il y a des gens qui ne le font plus, parce que dans la voiture, dans les transports en commun, nous sommes tout le temps connectés.

Y a- t- il des effets physiques ?

Il y a des effets sur la qualité du travail. On perd le fil. On travaille tout le temps en réaction à des infos qui arrivent et jamais en choisissan­t ce que l’on veut traiter.

La sur- sollicitat­ion a donc des effets sur l’entreprise ?

Bien sûr. Par exemple, si on intègre les coûts de la distractio­n, un open space n’est pas très fonctionne­l, ni rentable. On est tout le temps interrompu et cela a un coût réel : lorsqu’on est interrompu dans notre travail, on perd au moins 30 % de temps à se remettre à notre tâche.

Quelles pourraient être les solutions pour lutter contre cela ?

Je conseille notamment de virer les pushs, les notificati­ons des smartphone­s, ne consulter ses mails que trois ou quatre fois par jour. Quand on habitue notre cerveau à recevoir en permanence des stimulatio­ns qui arrivent de l'extérieur, cela devient très difficile de se mobiliser dans la réalisatio­n d'une activité qui paraît vite un peu fastidieus­e. Ce qu'il faut viser maintenant, même si cela paraît énorme, voire im-

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