La Tribune de Lyon

Mon déjeuner avec Cathy Bouvard

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Mauvaise surprise : Chez Albert, son resto préféré, était fermé le jour de notre rencontre. On a failli atterrir chez elle, juste à côté, dans son quartier de La Martinière, où elle a cuisiné toute la semaine, notamment un « délicieux gaspacho » .

On la croit sur parole. On a fini par échoir en bord de Saône pour un pique- nique improvisé, au soleil. Difficile de trouver plus simple que Cathy Bouvard. Elle ne s’est jamais embarrassé­e de protocole et se force même parfois à aller dans ces cocktails qui la rasent plus qu’ils ne la nourrissen­t. Elle organise aujourd’hui sa vie en mère de famille et adapte ses horaires pour aller récupérer son fils Simon à l’école. D’habitude à midi, elle va « à la gym ou à la piscine » . Une vie simple. Elle a pourtant toujours aimé ne rien faire comme tout le monde, librement, tranquille­ment. Un anticonfor­misme qui lui vient notamment de son père : ne voulant rien devoir à personne, il ne possédait qu’une voiture et avait prévenu ses enfants qu’ils « n’hériteraie­nt de rien » . « Ça m’a donné beaucoup de recul par rapport aux valeurs de l’argent » , s’amuse- t- elle, en allusion aux coupes de la Ville de Lyon pratiquées au détriment des Subsistanc­es. Depuis, elle a refusé des postes dans d’autres institutio­ns. Elle aime avant tout participer « au début d’aventures nouvelles » , défendre les marges et les chemins de traverse plutôt que les autoroutes de la communicat­ion.

Gourgandin­e, comme aurait dit Françoise Rey, elle a aussi toujours assumé sa période libertine en la revendiqua­nt là encore comme une forme de liberté. Jusqu’à se laisser filmer dans le documentai­re de Daniel Karlin, Et si on parlait d’amour. « J’ai toujours travaillé avec

des dingues » , explique- t- elle, aussi bien en référence à Philippe Faure, l’ancien directeur du théâtre de la Croix- Rousse, que Guy Walter, qui l’a choisie pour diriger les Subs avec lui. Aujourd’hui, elle partage sa vie avec l’actuel directeur du théâtre de la Croix- Rousse, Jean Lacornerie. La boucle est bouclée. Elle est on ne peut mieux insérée dans un milieu culturel qu’elle continue de vouloir bousculer.

Toute la société veut nous faire entendre l’inverse : elle nous met dans des cases. Mais je crois que la vie est complexe. Ce que je veux transmettr­e, c’est qu’on peut faire des choix qui ne soient pas consensuel­s tout en étant au coeur de la société. Beaucoup de gens ignorent encore la facilité du partage de cette culture contempora­ine. Les Subs, ce n’est pas cher et tout le monde y est le bienvenu. On peut aimer ou ne pas aimer, comprendre ou ne pas comprendre, ça n’a pas d’importance. L’essentiel, c’est de se confronter à des sensibilit­és qui ne sont pas immédiatem­ent les nôtres, et qui font qu’on voit les choses autrement en sortant.

La Ville de Lyon vous a reproché d’être un lieu pas assez ouvert sur la ville. Qu’en pensez- vous ?

On a fait 28 événements en collaborat­ion avec d’autres structures la saison dernière pour 54 000 spectateur­s, comme le Lyon Street Food Festival. Franchemen­t, des lieux aussi ouverts que le nôtre, je crois qu’il n’y en a pas tant que ça. On a créé aussi le festival Best of pour montrer une nouvelle fois ceux qui avaient fait leurs premiers pas aux Subsistanc­es, comme la compagnie de théâtre burlesque des Chiens de Navarre, avant que les Nuits de Fourvière ne les récupèrent… Donc ce travail d’ouverture, on le fait. Notre rôle, c’est toujours d’avoir un pas d’avance sur les autres. On est un laboratoir­e de recherche, y compris au niveau des publics.

Avez- vous le sentiment que les politiques sont toujours attentifs au travail de recherche ?

C’est une vraie difficulté. Aujourd’hui, avant qu’un spectacle n’arrive sur une scène, ce sont des mois de travail, et notre mission en tant qu’institutio­n, c’est de payer ce travail. Mais c’est clair qu’il est plus difficile de faire entendre aujourd’hui qu’il faut payer un artiste pour qu’il cherche ! C’est pourtant la raison d’être des Subs : une structure de recherche pour artistes avec 23 chambres, il n’y en a pas deux en Europe. Qu’il faille réinventer un modèle économique, je peux l’entendre, mais se réinventer, ça ne veut pas dire ressortir la tarte à la crème de l’entreprene­uriat culturel. L’entreprene­uriat culturel, c’est bon pour les gros festivals. En clair, ça veut dire ouvrir des bars ! Ça ne répond absolument pas aux missions de service public pour des structures de recherche telles que la nôtre.

Déjà avant d’être aux Subsistanc­es, comme journalist­e, vous défendiez les gens en marge, hors de la norme. D’où vous vient cette nécessité ?

Vaste question… Je suis sûre qu’une société se renouvelle à la lisière et qu’il faut faire en sorte que cette lisière communique avec le plus grand monde. J’ai cette certitude- là depuis toujours.

Vous ne vouliez pas voir la photo pour cet entretien. Pourtant, vous aviez accepté d’être filmée en pleine intimité dans le documentai­re de Daniel Karlin en 2001, Et si on parlait d’amour. Pourquoi ?

C’est de la vieille histoire ! Depuis, l’eau est largement passée sous les ponts, mais je voulais parler de ma liberté sexuelle à un instant T. La liberté, ça se dit et ça se transmet. Personne ne peut le faire à ma place.

Mais vous auriez pu témoigner sans accepter de laisser filmer votre sexualité…

Je crois que si ça avait été quelqu’un d’autre que Daniel, ça ne se serait pas fait. Il est resté un de mes grands amis, une vraie grande rencontre. Et sans doute à un moment de ma vie où la question de prendre corps était importante. Se raconter ou faire de la téléréalit­é n’a aucun intérêt. En revanche qu’un artiste se mette à faire le récit de quelque chose de personnel, ça permet à tous les autres de porter un regard différent sur sa propre vie. Daniel est vraiment quelqu’un d’incroyable. Quand on voit ce qu’il faisait à la télévision et ce qui se fait aujourd’hui, on se dit « mais où est passée cette

liberté ? » J’ai toujours pensé que l’art nous permet de prendre corps autant qu’esprit. Je n’ai jamais cru à une vision de la culture purement intellectu­elle. Il nous permet d’être au plus près de nous- mêmes, c’est- à- dire hors du masque social.

« Notre rôle, c’est toujours d’avoir un pas d’avance sur les autres. Les Subsistanc­es sont un laboratoir­e de recherche, y compris au niveau des publics. »

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