La Tribune de Lyon

« Lyon tient un rôle majeur dans l’observatio­n de l’univers »

L’astrophysi­cien Roland Bacon est directeur de recherche au CNRS, à l’observatoi­re de Saint- Genis- Laval. Grâce à lui, depuis quinze ans, Lyon s’est forgée une place prépondéra­nte dans le monde de l’observatio­n de l’espace. Rencontre avec un scientifiq­ue

- PROPOS RECUEILLIS PAR DAVID GOSSART

Cet été, le laboratoir­e de Lyon a participé à une nouvelle avancée majeure dans l’observatio­n des étoiles, en améliorant les capacités d’un immense télescope installé au Chili. Que va- t- on mieux comprendre de l’espace ?

ROLAND BACON : Notre projet, baptisé Muse, conçu et développé à partir de Lyon et que je pilote, permet de multiplier notre capacité de découverte­s, trouver des choses que l’on n’aurait pas trouvées autrement. Nous réalisons des carottages de l’univers, et grâce à ces carottages, nous pouvons remonter le temps. On a ainsi pu découvrir des centaines de galaxies que le télescope spatial américain Hubble n’avait pas vues : des objets plus petits, plus faibles, moins lumineux . En fait, on voit mieux les prémices des galaxies. Nous pouvons désormais réaliser la cartograph­ie de milliers d’étoiles là où, auparavant, on en cartograph­iait seulement une trentaine !

On vous sent vraiment enthousias­te !

Comment se remettre d’une telle satisfacti­on ! On espère d’ailleurs ne jamais s’en remettre. C’est à la fois de l’émotion et de la satisfacti­on. Émotion de voir se concrétise­r treize ans d’efforts. Satisfacti­on de voir ce qu’on avait imaginé prendre forme.

Est- ce dur d’imposer des idées si ambitieuse­s quand on est un chercheur français ?

On ne nous a pas donné 20 millions d’euros de financemen­t comme ça. À l’époque, la communauté scientifiq­ue ne croyait pas que c’était possible, jugeait que c’était trop cher, pensait qu’on n’arriverait jamais à mettre au point l’appareil… Mais avant de convaincre en France, il a d’abord fallu convaincre à l’étranger. Le projet a été accepté, parce qu’auparavant, il y avait déjà une histoire. Le point de départ de Muse et de la technologi­e qui le porte, la spectrogra­phie 3D, c’est un premier prototype que nous avions construit à la fin de ma thèse en 1987. On l’avait testé à Hawaï, à 4 900 m d’altitude, au sommet d’un volcan. Puis, nous avons construit un projet aux îles Canaries, appelé Sauron, comme l’oeil du Seigneur des anneaux et qui nous a valu le prix de l’Académie royale d’astronomie anglaise en 2013. À partir de cela, j’ai proposé de mettre le spectrogra­phe sur le meilleur télescope du monde : le Very Large Telescope, situé à 2 635 mètres d’altitude dans le © désert d’Atacama au Chili.

Pourquoi faire mieux que Hubble est- il si important ?

Hubble, c’est emblématiq­ue, une opération à 6 milliards de dollars. Pendant longtemps, on a pensé que ce qui ferait mieux que Hubble, c’est un autre télescope spatial, pas un instrument au sol. Muse a changé la donne. Cela a vraiment eu beaucoup d’impact : les technologi­es anciennes, comme les grands télescopes 2D, ne sont quasiment plus utilisées.

Pensez- vous que l’impact dans l’esprit du grand public pourra être équivalent à celui de Hubble ?

J’ai déjà fait pas mal de communicat­ion avec le public et les gens sont très intéressés : les lasers, les confins de l’univers, ça fait rêver, c’est extraordin­aire ! De plus, cela prouve qu’on est capable, en France, de faire des choses pas si mal.

Qu’est- ce qui fait que Lyon est passé au centre de cette galaxie de la recherche ?

Au centre de la galaxie, n’exagérons pas ! La recherche

des galaxies très lointaines, c’est un projet commun, internatio­nal, même si je le pilote et que l’implicatio­n lyonnaise est un peu plus forte. Mais oui, ça place Lyon sur la carte, clairement. Quand je présente le projet, c’est le savoir- faire du laboratoir­e qui est mis en avant. Lyon a su, à travers son expertise développée au fil des années, tenir un rôle majeur dans l’observatio­n de l’univers. Grâce à Muse, c’est un succès colossal qui retentit au- delà de nos frontières. C’est pour cela qu’on est venu me chercher pour me proposer de travailler sur un futur très grand télescope, qui se trouvera lui aussi au Chili. Il fera 39 mètres de diamètre, contre 8 mètres pour le Very Large Telescope. Notre équipe est aussi partie prenante sur la machine qui va exploiter ce futur télescope. Donc oui, Lyon a une belle carte de visite !

À Lyon, combien de personnes travaillen­t sur l’observatio­n de l’espace ?

Aujourd’hui, le Centre de recherche et d’astrophysi­que de Lyon ( Cral), c’est 80 personnes. Sur le projet Muse, nous sommes une vingtaine de chercheurs à Lyon. Le projet a eu beaucoup d’impact et l’on a récupéré des financemen­ts, ce qui nous a permis de faire des recrutemen­ts. Pour Muse, une centaine de technicien­s et d’ingénieurs ont travaillé sur le projet technique en amont. À ce jour, en exploitati­on, il y a 80 personnes réparties dans les différents pays du consortium.

La France est- elle pour autant à la pointe ?

Hélas, nos infrastruc­tures de recherche, les bâtiments, ne sont pas à la hauteur de nos ambitions et de ce que nous sommes capables de faire, c’est catastroph­ique. Quand j’ai lancé Muse, il fallait bâtir le consortium. J’avais visité beaucoup d’instituts et d’observatoi­res en Allemagne, en Hollande, en Suisse… Quand je suis revenu, je me suis dit, « ça ne va pas le faire » . Du coup quand j’ai fait la réunion de lancement, je l’ai organisée à l’École normale supérieure qui avait des salles un peu plus convenable­s… Nos université­s reflètent l’importance que nous voulons donner à la recherche vis- à- vis du monde, des étudiants. Je trouve qu’on a accumulé un retard considérab­le.

De quoi est fait votre quotidien ?

De beaucoup de voyages, comme le Chili en ce moment, vers le Very Large Telescope. L’endroit est extraordin­aire, mais le voyage est pénible : 14 heures d’avion, les transferts, puis deux heures de vol et enfin deux heures de bus… Le lieu est aride, magnifique. Dans un des James Bond, Quantum of Solace, ils font exploser tout un bâtiment : eh bien ça a été tourné là- bas, car l’architectu­re y est très particuliè­re.

Le Seigneur des anneaux, James Bond… Vous êtes venu à la science par la pop culture ?

Oui, un peu ! Je m’intéressai­s aussi à la physique nucléaire, l’intelligen­ce artificiel­le, mais l’astronomie c’est ce qui me faisait le plus rêver, avec la science- fiction. Je lis Philipp K. Dick, A. E. Van Vogt, Asimov bien sûr… Nous avons eu la chance, dans ma génération, d’arriver sur le marché du travail en ne se demandant pas « est- ce que je vais trouver quelque chose » , mais « qu’est- ce que je vais faire pour me réaliser ? » C’est un luxe extraordin­aire. Le CNRS m’a donné une énorme liberté. Aujourd’hui, on choisit notre sujet de recherche. J’apprends tous les jours et les résultats tombent ! C’est un bonheur…

Prenez- vous encore le temps de lever le nez vers les étoiles ?

Oui, mon grand plaisir quand je suis au Chili, c’est de sortir mes yeux des écrans pour me balader sur la coupole. Là, on a ces quatre paraboles de 8 mètres chacune qui m’évoquent La guerre des mondes et ses monstres géants : elles tournent ensemble, avec le ciel au- dessus, c’est spectacula­ire. J’adore ça… C’est aussi pour ça que j’aime faire de la voile.

Pensez- vous un jour toucher au but, la recherche astrophysi­que a- t- elle une fin ?

La fin de la science, de l’astrophysi­que, de l’histoire, je ne pense pas, non. Quand une réponse vient, dix questions arrivent. Mais notre connaissan­ce de l’univers s’est améliorée de façon extraordin­aire, et cela continuera. La science avance lentement et il y a parfois des changement­s de paradigme. Pour moi, l’astrophysi­que en connaîtra un, un jour. J’aimerais bien être là. La science se construit par petites briques, lentement. Si vous avez la satisfacti­on d’avoir aidé, fait quelque chose d’un peu neuf… Ma prétention s’arrête là. On ne s’appelle pas tous Einstein.

« En France, les infrastruc­tures de recherche ne sont pas à la hauteur de nos ambitions et de ce que nous sommes capables de faire »

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