« Lyon tient un rôle majeur dans l’observation de l’univers »
L’astrophysicien Roland Bacon est directeur de recherche au CNRS, à l’observatoire de Saint- Genis- Laval. Grâce à lui, depuis quinze ans, Lyon s’est forgée une place prépondérante dans le monde de l’observation de l’espace. Rencontre avec un scientifique
Cet été, le laboratoire de Lyon a participé à une nouvelle avancée majeure dans l’observation des étoiles, en améliorant les capacités d’un immense télescope installé au Chili. Que va- t- on mieux comprendre de l’espace ?
ROLAND BACON : Notre projet, baptisé Muse, conçu et développé à partir de Lyon et que je pilote, permet de multiplier notre capacité de découvertes, trouver des choses que l’on n’aurait pas trouvées autrement. Nous réalisons des carottages de l’univers, et grâce à ces carottages, nous pouvons remonter le temps. On a ainsi pu découvrir des centaines de galaxies que le télescope spatial américain Hubble n’avait pas vues : des objets plus petits, plus faibles, moins lumineux . En fait, on voit mieux les prémices des galaxies. Nous pouvons désormais réaliser la cartographie de milliers d’étoiles là où, auparavant, on en cartographiait seulement une trentaine !
On vous sent vraiment enthousiaste !
Comment se remettre d’une telle satisfaction ! On espère d’ailleurs ne jamais s’en remettre. C’est à la fois de l’émotion et de la satisfaction. Émotion de voir se concrétiser treize ans d’efforts. Satisfaction de voir ce qu’on avait imaginé prendre forme.
Est- ce dur d’imposer des idées si ambitieuses quand on est un chercheur français ?
On ne nous a pas donné 20 millions d’euros de financement comme ça. À l’époque, la communauté scientifique ne croyait pas que c’était possible, jugeait que c’était trop cher, pensait qu’on n’arriverait jamais à mettre au point l’appareil… Mais avant de convaincre en France, il a d’abord fallu convaincre à l’étranger. Le projet a été accepté, parce qu’auparavant, il y avait déjà une histoire. Le point de départ de Muse et de la technologie qui le porte, la spectrographie 3D, c’est un premier prototype que nous avions construit à la fin de ma thèse en 1987. On l’avait testé à Hawaï, à 4 900 m d’altitude, au sommet d’un volcan. Puis, nous avons construit un projet aux îles Canaries, appelé Sauron, comme l’oeil du Seigneur des anneaux et qui nous a valu le prix de l’Académie royale d’astronomie anglaise en 2013. À partir de cela, j’ai proposé de mettre le spectrographe sur le meilleur télescope du monde : le Very Large Telescope, situé à 2 635 mètres d’altitude dans le © désert d’Atacama au Chili.
Pourquoi faire mieux que Hubble est- il si important ?
Hubble, c’est emblématique, une opération à 6 milliards de dollars. Pendant longtemps, on a pensé que ce qui ferait mieux que Hubble, c’est un autre télescope spatial, pas un instrument au sol. Muse a changé la donne. Cela a vraiment eu beaucoup d’impact : les technologies anciennes, comme les grands télescopes 2D, ne sont quasiment plus utilisées.
Pensez- vous que l’impact dans l’esprit du grand public pourra être équivalent à celui de Hubble ?
J’ai déjà fait pas mal de communication avec le public et les gens sont très intéressés : les lasers, les confins de l’univers, ça fait rêver, c’est extraordinaire ! De plus, cela prouve qu’on est capable, en France, de faire des choses pas si mal.
Qu’est- ce qui fait que Lyon est passé au centre de cette galaxie de la recherche ?
Au centre de la galaxie, n’exagérons pas ! La recherche
des galaxies très lointaines, c’est un projet commun, international, même si je le pilote et que l’implication lyonnaise est un peu plus forte. Mais oui, ça place Lyon sur la carte, clairement. Quand je présente le projet, c’est le savoir- faire du laboratoire qui est mis en avant. Lyon a su, à travers son expertise développée au fil des années, tenir un rôle majeur dans l’observation de l’univers. Grâce à Muse, c’est un succès colossal qui retentit au- delà de nos frontières. C’est pour cela qu’on est venu me chercher pour me proposer de travailler sur un futur très grand télescope, qui se trouvera lui aussi au Chili. Il fera 39 mètres de diamètre, contre 8 mètres pour le Very Large Telescope. Notre équipe est aussi partie prenante sur la machine qui va exploiter ce futur télescope. Donc oui, Lyon a une belle carte de visite !
À Lyon, combien de personnes travaillent sur l’observation de l’espace ?
Aujourd’hui, le Centre de recherche et d’astrophysique de Lyon ( Cral), c’est 80 personnes. Sur le projet Muse, nous sommes une vingtaine de chercheurs à Lyon. Le projet a eu beaucoup d’impact et l’on a récupéré des financements, ce qui nous a permis de faire des recrutements. Pour Muse, une centaine de techniciens et d’ingénieurs ont travaillé sur le projet technique en amont. À ce jour, en exploitation, il y a 80 personnes réparties dans les différents pays du consortium.
La France est- elle pour autant à la pointe ?
Hélas, nos infrastructures de recherche, les bâtiments, ne sont pas à la hauteur de nos ambitions et de ce que nous sommes capables de faire, c’est catastrophique. Quand j’ai lancé Muse, il fallait bâtir le consortium. J’avais visité beaucoup d’instituts et d’observatoires en Allemagne, en Hollande, en Suisse… Quand je suis revenu, je me suis dit, « ça ne va pas le faire » . Du coup quand j’ai fait la réunion de lancement, je l’ai organisée à l’École normale supérieure qui avait des salles un peu plus convenables… Nos universités reflètent l’importance que nous voulons donner à la recherche vis- à- vis du monde, des étudiants. Je trouve qu’on a accumulé un retard considérable.
De quoi est fait votre quotidien ?
De beaucoup de voyages, comme le Chili en ce moment, vers le Very Large Telescope. L’endroit est extraordinaire, mais le voyage est pénible : 14 heures d’avion, les transferts, puis deux heures de vol et enfin deux heures de bus… Le lieu est aride, magnifique. Dans un des James Bond, Quantum of Solace, ils font exploser tout un bâtiment : eh bien ça a été tourné là- bas, car l’architecture y est très particulière.
Le Seigneur des anneaux, James Bond… Vous êtes venu à la science par la pop culture ?
Oui, un peu ! Je m’intéressais aussi à la physique nucléaire, l’intelligence artificielle, mais l’astronomie c’est ce qui me faisait le plus rêver, avec la science- fiction. Je lis Philipp K. Dick, A. E. Van Vogt, Asimov bien sûr… Nous avons eu la chance, dans ma génération, d’arriver sur le marché du travail en ne se demandant pas « est- ce que je vais trouver quelque chose » , mais « qu’est- ce que je vais faire pour me réaliser ? » C’est un luxe extraordinaire. Le CNRS m’a donné une énorme liberté. Aujourd’hui, on choisit notre sujet de recherche. J’apprends tous les jours et les résultats tombent ! C’est un bonheur…
Prenez- vous encore le temps de lever le nez vers les étoiles ?
Oui, mon grand plaisir quand je suis au Chili, c’est de sortir mes yeux des écrans pour me balader sur la coupole. Là, on a ces quatre paraboles de 8 mètres chacune qui m’évoquent La guerre des mondes et ses monstres géants : elles tournent ensemble, avec le ciel au- dessus, c’est spectaculaire. J’adore ça… C’est aussi pour ça que j’aime faire de la voile.
Pensez- vous un jour toucher au but, la recherche astrophysique a- t- elle une fin ?
La fin de la science, de l’astrophysique, de l’histoire, je ne pense pas, non. Quand une réponse vient, dix questions arrivent. Mais notre connaissance de l’univers s’est améliorée de façon extraordinaire, et cela continuera. La science avance lentement et il y a parfois des changements de paradigme. Pour moi, l’astrophysique en connaîtra un, un jour. J’aimerais bien être là. La science se construit par petites briques, lentement. Si vous avez la satisfaction d’avoir aidé, fait quelque chose d’un peu neuf… Ma prétention s’arrête là. On ne s’appelle pas tous Einstein.
« En France, les infrastructures de recherche ne sont pas à la hauteur de nos ambitions et de ce que nous sommes capables de faire »