CLAUDE CORDIER
la carte de presse et pour qui le journalisme n’est qu’un complément, n’aura pas le statut de journaliste professionnel. Cela permet de garantir une forme d’indépendance. Nous avons des demandes de chroniqueurs qui sont médecins ou hommes politiques, par exemple, mais nous ne leur décernons pas la carte, car leur activité journalistique n’est qu’un complément. Seul un salarié peut être journaliste en France, n’est- ce pas étonnant au moment où d’autres formes de travail se développent ? C’est la loi et nous appliquons la loi. Mais je défends cette disposition au moment où l’ubérisation gagne du terrain. Le salariat protège le journaliste des pressions extérieures. Quand un journaliste dispose d’un salaire régulier, il est prémuni contre la corruption car il est moins tenté d’aller chercher des compléments de revenus ailleurs. Aujourd’hui que les pressions sont multiples et que des finan- ciers gèrent les groupes de presse, il est important de garantir l’indépendance financière des journalistes. Nous pourrions même aller plus loin. Certains souhaitent notamment que les rédactions bénéficient d’un statut spécial et d’une véritable indépendance juridique qui empêcherait le patron de presse d’avoir son mot à dire sur le contenu éditorial. Pour autant, des abus existent : certains journalistes exercent des activités rémunérées par des entreprises en dehors de leur travail – ce que l’on appelle des « ménages » . Et cela peut aussi nuire à leur indépendance… Bien sûr que c’est un problème ! La commission a refusé la carte de presse à des journalistes très réputés de l’audiovisuel parce que, malgré leur très haut salaire, ils faisaient des ménages qui représentaient plus encore ! Si on a connaissance de ménages, on se pose des questions, mais on ne peut pas intervenir directement, car la Commission de la carte n’a pas son mot à dire sur la déontologie. Du coup, personne ne sanctionne les fautes. Cela peut nourrir un sentiment d’impunité dans le grand public, donc de défiance… Les journalistes ne sont pas organisés comme les médecins ou les avocats en ordre professionnel. La solution pourrait être de créer un véritable « conseil de presse » qui sanctionnerait les écarts et qui associerait à la fois les utilisateurs de presse, les journalistes et les employeurs. Sur le papier, c’est donc souhaitable, mais la mise en place va être très compli quée. J’ajoute que nous sommes critiquables et sanctionnables comme tout le monde. Si quelqu’un se croit victime d’une injure ou d’une diffamation de la part d’un journaliste, il peut porter plainte et, s’il est dans son droit, le journaliste sera sanctionné. Il n’y a pas d’impunité. Ce sentiment est aussi nourri par le privilège fiscal dont bénéficie les journalistes… Ce « privilège fiscal » comme vous dites, représente une part significative des revenus des journalistes, qui sont peu élevés. Nous avons fait une étude et il en ressort que si cet avantage fiscal est supprimé, cela représente une perte moyenne de 20 % à 30 % des revenus des journalistes. Il faut savoir que le salaire moyen des journalistes en France est de 1 600 euros. On voit souvent les 300 qui sont tout en haut de la pyramide et qui sont très médiatiques, mais la réalité de la profession est bien différente ! C’est ça, la réalité du journalisme en France. Où est le privilège pour quelqu’un qui gagne 1 600 euros par mois ? Outre le sentiment que les journalistes sont privilégiés, le grand public a un sentiment de connivence. Les journalistes souvent perçus, parfois légitimement, comme des alliés du pouvoir. Certains journalistes fréquentent les cercles de pouvoir. Rien d’étonnant, donc, qu’ils puissent se marier avec les hommes ou les femmes de pouvoir ! Les journalistes ont toujours été proches du pouvoir, car c’est leur métier et ils ont toujours été critiqués pour cela… Il faut garder de la distance par rapport à tous les soi- disant « anti système » qui dénoncent les journalistes à longueur de journée : je le répète, ils savent très bien s’en servir quand ils en ont besoin.
« Ceux qui dénoncent les journalistes savent bien les trouver quand ils en ont besoin. »