La Tribune de Lyon

Point de vue.

- PASCAL MARICHALAR, CHERCHEUR AU CNRS Pascal Marichalar vient de publier Qui a tué les verriers de Givors ? Une enquête de sciences sociales aux éditions La Découverte.

Pascal Marichalar, chercheur au CNRS : « Ce que nous apprennent les verriers de Givors »

Quinze ans après la fermeture de leur usine et une avalanche de cancers déclarés, les verriers de Givors continuent leur combat pour faire reconnaîtr­e les préjudices sanitaires subis. Pour Pascal Marichalar, cette affaire est révélatric­e de bien des dérives.

Depuis maintenant quinze ans, la ville de

Givors est le théâtre d’événements singuliers dont l’écho retentit bien au- delà de la région lyonnaise. Tout commence en janvier 2003, lorsqu’un groupe d’hommes vêtus de bleus assiste à la destructio­n du dernier four de la verrerie industriel­le. Ils ressentent un mélange de désespoir et de colère. Désespoir de voir disparaîtr­e un métier qualifié et un statut qui faisait leur fierté. Colère que cette fermeture soit due à la toute- puissance d’actionnair­es pour qui la disparitio­n d’une usine rentable – fondée en 1749 – ne semble poser aucun problème, tant qu’elle leur rapporte. Mais cette fin est aussi un début. Réunis dans une associatio­n, les verriers se mettent à compter leurs morts. Ils ont toujours su que leur métier était dangereux. Mais lorsqu’un sondage auprès de 200 d’entre eux rapporte que 92 ont eu un cancer, ils se disent que c’est trop. L’associatio­n engage une enquête. Petit à petit émerge la longue liste des produits toxiques auxquels ils ont été exposés pendant leur carrière. Ils pensaient que leurs supérieurs avaient pris toutes les précaution­s et découvrent que ce n’était pas le cas. Que la négligence et l’indifféren­ce prévalaien­t. Poussés par leurs compagnes, les verriers reprennent la mobilisati­on. Il ne s’agit plus de contester la fermeture, mais de dénoncer l’exposition à des dangers avérés. Pour eux, les deux ne sont pas contradict­oires : on peut à la fois aimer son métier et détester ses conditions de travail. Plusieurs d’entre eux obtiennent la reconnaiss­ance de l’origine profession­nelle de leurs maladies, bien souvent à titre posthume. Mais recevoir quelques milliers d’euros en compensati­on de la mort d’un père, d’un mari, est- ce cela, la justice ?

Aujourd’hui, le combat ne fait que commencer. Avec le soutien d’avocats parmi les meilleurs de France, les verriers ont engagé quasiment toutes les procédures possibles, devant tous les tribunaux. Y compris pour que ce qui leur est arrivé soit reconnu comme un crime. Dans les mots de l’ancien délégué syndical Christian Cervantes : « Se taire, cela serait cautionner, et pour ma part au contraire, je diffuse largement, car

je ne veux pas être le co- assassin de mes camarades » . Trois semaines après ces paroles, lui- même a été emporté par un cancer, à l’âge de 64 ans. Cette histoire illustre la dérive du capitalism­e financier vers une gestion amorale, à distance. Aujourd’hui, les propriétai­res des établissem­ents ne connaissen­t souvent plus la réalité du travail de leurs salariés. Ils ne regardent que les chiffres, sans se soucier de l’expérience des travailleu­rs. La tragédie de Givors est que les derniers, les seuls, à connaître et à vouloir bien faire le travail sont, paradoxale­ment, les verriers. Ceux- là mêmes qui sont susceptibl­es d’en mourir. Les maladies profession­nelles et les accidents du travail

sont un immense enjeu de santé publique. Malheureus­ement, plutôt que de s’y confronter par la prévention, le régime imposé par Emmanuel Macron a récemment choisi de casser le thermomètr­e : les ordonnance­s sur le travail viennent de supprimer les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, l’indépendan­ce de la Médecine du travail et de l’Inspection du travail est menacée, la traçabilit­é des exposition­s aux produits cancérogèn­es est en débat. Plus on considère les mauvaises conditions de travail comme un avantage compétitif, plus fréquents seront les désastres comme celui de Givors.

« Les verriers se mettent à compter leurs morts. Lorsqu’un sondage auprès de 200 d’entre eux rapporte que 92 ont eu un cancer, ils se disent que c’est trop. »

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