La Tribune de Lyon

7e art. Lyon, ville de décor de cinéma

- DOSSIER RÉALISÉ PAR LUC HERNANDEZ

Parmi les centaines de films tournés à Lyon, sans prétendre être exhaustif, nous avons choisi de nous concentrer autour de la Presqu’Île de 1928 à nos jours, à travers les plus grandes stars du cinéma d’hier et d’aujourd’hui et les genres les plus variés. De quoi découvrir les visages d’une ville en perpétuell­e mutation, loin des clichés grisonnant­s de la Seconde Guerre mondiale. Promenade dans l’histoire du cinéma autour de 30 films entre Rhône et Saône.

Lyon au cinéma, dans l’imaginaire collectif, ce sont surtout les films sur la Résistance, de L’Armée des ombres à Lucie Aubrac, et les polars de Lyon la grise d’après- guerre jusqu’aux années soixante- dix. Vous en trouverez quelques exemples dans le parcours qui va suivre, mais en nous concentran­t sur la Presqu’Île et le Vieux- Lyon, nous avons voulu mettre en avant des films plus étonnants ou insolites, aux interprète­s souvent prestigieu­x, de Greta Garbo en 1928 à Sandrine Bonnaire l’année dernière, en passant par Catherine Deneuve, Alain Delon, Simone Signoret, Vincent Lindon ou François Cluzet qui y sont chacun venu tourner plusieurs fois. Du polar à la comédie loufoque, du film d’action à la reconstitu­tion historique, les films dont vous ignoriez peut- être le lien avec Lyon sont nombreux, montrant même en plein centre des visages multiples de la ville.

Delon et Tante Olga

C’est à la gare de Perrache que choisit de descendre A lain Delon, pour « 20 minutes d’ar

rêt » , en débarquant d’Algérie. On est en 1964, au beau milieu de L’insoumis, d’Alain Cavalier, un réalisateu­r qui connaît bien Lyon pour y avoir vécu. Le film passa inaperçu, premier échec public vécu douloureus­ement par Delon, a lors au faî te de sa gloire sortant tout juste du

Guépard et de Plein soleil. C’est pourtant un des rares films de fiction de l’époque abordant la guerre d’Algérie : Delon y joue un légionnair­e déserteur qui a réellement existé, retrouvant la belle Lea Massari avant d’échapper à ses poursuivan­ts à travers la ville. Le style taiseux d’Alain Cavalier déconcerte, d’autant que L’insoumis a pour particular­ité d’être un des rares films français produits par la MGM, la prestigieu­se Metro Goldwyn Meyer hollywoodi­enne, pariant sur le nom de Delon. À Perrache et dans le Vieux- Lyon se déroule aussi un an plus tard un autre film pas banal : Pas de caviar pour Tante Olga, parodie loufoque des films d’espionnage à la James Bond, signé Jean Becker, le futur réalisateu­r de

L’été meurtrier ou des Enfants du marais. Mais le Vieux- Lyon et son palais de justice restent évidemment un lieu de prédilecti­on pour les films de prétoire : Verdict d’André Cayatte, débutant par une Sophia Loren assaillie par les journalist­es sur les marches de l’ancien palais, avant un face- à- face de légende avec Jean Gabin en juge hautain, qui nous mènera jusqu’aux docks du Lyon des années 1970. Alain Delon y est de retour en avocat cette fois pour Un Crime de Jacques Deray en 1993, avec la jeune vedette de l’époque, Manuel Blanc, oublié depuis, et Bruno Crémer y monte les marches pour Mon Père de José Giovanni en 2001, figurant pourtant le Paris des années quarante, avant de s’arrêter boire un verre au café Bellecour. Mais la scène de prétoire la plus

improbable revient à Claude Lelouch et son nanar hors pair, Tout ça… pour ça ! , en faisant danser entièremen­t nue au beau milieu de la salle d’audience sa femme de l’époque, Alessandra Martines, devant les yeux ébahis d’une pléiade d’acteurs : Fabrice Luchini, Gérard Darmon, Jacques Gamblin, Francis Huster et Vincent Lindon !

Signoret et Fernandel

Le Vieux- Lyon n’est évidemment pas qu’un théâtre pour la justice, même s’il reste un endroit de prédilecti­on pour les polars : Michel Serrault, assassin de sa propre femme, déambule dans les rues sombres et pluvieuses du quartier Saint- Georges pour Vieille

canaille de Gérard Jourd’hui en 1992, et c’est rue Saint- Jean que Simone Signoret – une des stars ayant le plus tourné à Lyon – tient sa mercerie dans Thérèse

Raquin de Marcel Carné, après avoir flâné au début du film au milieu des boulistes des berges du Rhône, déjà bien aménagées à l’époque ( 1953). Le Lyon gris d’après- guerre est alors au coeur des polars ou des drames intimes, y compris dans un film en couleur inattendu de 1966 :

Le voyage de mon père de Denys de la Patellière, où l’on retrouve Fernandel dans un rôle on ne peut plus dramatique, celui d’un paysan du Jura à la recherche de sa fille. On y croise aussi Laurent Terzieff, grand complice du TNP, dans le rôle de l’instituteu­r. Le film, mineur, permet de voir encore sur la Saône le pont du Change à hauteur de SaintPaul qui sera détruit quelques années plus tard.

Gros budgets

C’est aussi dans le Vieux- Lyon que se tourneront des années plus tard une sér ie de films à gros budget s : La Vérité ou

presque de Sam Karmann ( 2007), dans lequel se rencontren­t François Cluzet et Karin Viard à la Villa Florentine autour d’André Dussolier avant que les couples ne s’échangent, tandis que Les Lyonnais d’Olivier Marchal ( 2011), sur le g rand bandit isme et Momon Vidal, reste un des films les plus chers de l’histoire du cinéma à Lyon, à défaut d’être entré dans l’imaginaire collectif. Cas d’école : faute d’autorisat ion dans les pays de l’Est en pleine tourmente, c’est dans le Vieux- Lyon que sera reconstitu­é le Printemps de Prague pour les besoins de L’Insoutenab­le légèreté de l’être de Philip Kaufman en 1988, avec un casting internatio­nal des plus glamour : Juliette Binoche et Daniel Day- Lewis, s’embrassant devant le pont Bonaparte… Mais le grand cinéaste de Lyon et du V ieux- Lyon reste év i - demment Bertrand Tavernier, depuis son premier film en 1974,

L’horloger de Saint- Paul avec Noiret et Rochefort, superbe mélo social sur le père d’un fils meurtrier. Sans oublier quelques années plus tard Une semaine

de vacances avec Nathalie Baye et un Michel Galabru bouleversa­nt, un des films qui montrent le mieux l’ambiance des cafés et

restaurant­s lyonnais. L’horloger de Saint- Paul débutait d’ailleurs lui aussi dans le meilleur bouchon de Lyon, au Garet ( Lyon 1er). Tavernier aimera Lyon jusqu’à y tourner même quelques scènes d’Autour de minuit ( 1986), son film sur le jazz américain, avec François Cluzet et Dexter Gordon sur les bas- ports de la Saône.

Deneuve, « une joie et une souffrance »

C’est de l’autre côté du pont, quai Saint- Vincent, qu’on retrouve une des g randes l égendes du cinéma actuel : Catherine Deneuve, venue par trois fois tourner à Lyon. « Quand je te regarde, c’est une joie et une souffrance » : c’est ce que lui dit JeanPaul Belmondo dans La sirène du Mississipi de François Truffaut ( 1969), une des plus belles déclaratio­ns d’amour au cinéma et la définition parfaite de la grande Catoche, prix Lumière en 2016, qui reviendra tourner quelques scènes d’Après lui de Gaël Morel en 2007, incarnant cette fois une mère ayant perdu son fils dans un accident de la route. Mais c’est dans Les voleurs d’André Téchiné en 1996 qu’el le incarne une Lyonnaise, professeur lesbienne à l’Université sur les quais du Rhône, se disputant les amours de la jeune Laurence Côte avec un flic nommé Daniel Auteuil. Le film se déroule sur toute la Presqu’île, avec une séquence magique : un dialogue en travel

ling entre Deneuve et Auteuil le long de la piscine du Rhône. C’est sur ces mêmes quais du Rhône que Sandrine Bonnaire dialogue avec son fils dans le tout récent

Prendre le large, toujours de Gaël Morel, avant de s’envoler pour le Maroc. Si la scène se déroule à Paris dans le film, elle a bien été tournée à Lyon, dans la foulée du tournage, basé à Villefranc­he.

Thrillers lyriques et cascade dans le Rhône

C’est toujours sur les berges, un peu plus bas, qu’on retrouve Clovis Cornillac dans un rôle pas banal : celui d’un assassin- guitariste sur la péniche du Sirius, pour les besoins du thr i l ler

Requiem pour une tueuse ( Jérôme Le Maire, 2011), sombre histoire du meurtre commandité d’un… baryton, par une tueuse à gages nommée… Mélanie Laurent ! Quelques raccords de ce thriller improbable ont même été réalisés à l’opéra de Lyon. C’est aussi sur fond d’opéra inattendu ( Tristan et Isolde de Wagner !) qu’on assiste à la cascade d’Alain Delon plongeant en voiture dans le Rhône pour échapper à la poursuite du jeune Vincent Lindon. Nous sommes en 1985, le film s’appelle Parole

de flic. Il est signé José Pinheiro et contient à notre connaissan­ce la seule cascade réelle tournée à Lyon. Delon est alors le Charles Bronson français : il enchaîne les films de justicier du dimanche soir. Après avoir plongé dans le Rhône, il remontera évidemment à la surface avec ses yeux de caïman avant d’aller se rabibocher

avec son fils dans un cirque à la Confluence… Le quartier de la Confluence qui sera le terrain de plusieurs films à connotatio­n sociale : 11.6 de Philippe Godeau avec François Cluzet, tiré du fait divers dans lequel Toni Musulin avait dérobé 11,6 millions d’euros, tourné en 2013 au milieu des travaux du futur musée ; et c’est sur la pointe de la Confluence, les pieds dans l’eau, que se termine dix ans plus tôt Violence des échanges en milieu tempéré avec Jérémie Renier, joli premier film de Jean- Marc Moutout, dénonçant ( déjà) les dérives du management en entreprise.

Grandes tables, Lyon libertin et meurtre à l’Hôtel de Ville

Mais Lyon est aussi bien évidemment un décor privilégié pour la gastronomi­e. Bernard Rapp aura offert à Bernard Giraudeau un de ses plus beaux rôles avec Une

Affaire de goût ( 2000), relation trouble et perverse entre un riche industriel gourmet et un serveur devenu son « goûteur » ( Jean- Pierre Lorit). Les scènes de restaurant y sont principale­ment tournées au Passage, devenu désormais le QG des invités du festival Lumière, rue du Plâtre dans le 1er. Toute aussi vénéneuse, La fille coupée en

deux de Claude Chabrol ( 2007) se déroule dans les milieux libertins lyonnais, dans lequel un fils de bourgeois rentier ( Benoît Magimel) invite une miss Météo locale ( Ludivine Sagnier) chez Le Bec rue Grôlée ( devenu aujourd’hui le restaurant Le Centre), pour tenter de la séduire. En vain : elle reste désespérém­ent amoureuse d’un riche écrivain, beaucoup plus âgé qu’elle ( François Berléand). Après avoir débuté à la librairie du Tramway devant la Bourse du travail, ce chassé- croisé passionnel se terminera par une scène unique en son genre : un meurtre dans les grands salons de l’Hôtel de Ville ! Plus inoffensiv­e et plus romantique : la rencontre amoureuse entre Isabelle Carré et Benoît Poelvoorde autour d’une bonne table au Cintra, rue de la Bourse, pour Les émotifs ano

nymes ( 2 010) du réalisateu­r lyonnais Jean- Pierre Améris. Mais Claude Chabrol n’aura pas filmé

que les grands restaurant­s. Il aura aussi filmé les cafés du quartier d’Ainay dans un de ses plus beaux films, Betty ( 1992), adapté de Simenon, plongée vaporeuse dans le monde de l’alcool à travers le portrait d’une jeune femme flouée par une grande fami lle bourgeoise lyonnaise. C’est aussi le plus beau film de Marie Trintignan­t, de chaque plan, secondée par Stéphane Audran.

Jean- Louis Trintignan­t de retour rue de la Ré

Autre table, moins luxueuse : celle du McDo place Bellecour, à laquelle on trouvait Sandrine Kiberlain pour son premier grand rôle au cinéma dans En avoir ( ou pas) de Laetitia Masson en 1995. Les immeubles de la rue de la Ré se retrouvero­nt même en fond sur l’affiche. Une rue de la Ré dans laquelle seront venus aussi tourner Jacques Dutronc et Patrick Bruel pour Toutes peines confondues de Michel Deville en 1991, un des réalisateu­rs les plus fidèles à Lyon. C’est aussi rue de la Ré, en face du Pathé Bellecour dans la rue Simon- Maupin mal famée, que Jean- LouisTrint­ignant tournera le premier film de Jacques Audiard, magnifique, Regarde les hommes

tomber, avec Jean Yanne et Mathieu Kassovitz. Désormais retraité du cinéma, Trintignan­t sera toujours resté fidèle à Lyon et notamment au théâtre des Célestins, où il vient encore de jouer cette année. Le théâtre des Célestins qui sert de décor pour la scène finale des

Grands Ducs de Patrice Leconte ( 1995), comédie loufoque en hommage aux acteurs de boulevard, réunissant pour la première fois à l’écran Marielle, Rochefort et Noiret, l’ancien Horloger de Saint- Paul. Du drame social au comique, Lyon aura finalement aussi été le théâtre, avec Deneuve, Signoret, Delon, Lindon ou Cluzet, d’une des plus belles familles de comédiens du cinéma français.

 ??  ?? Karin Viard et François Cluzet dans La vérité ou presque, de Sam Karmann
Karin Viard et François Cluzet dans La vérité ou presque, de Sam Karmann
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 ??  ?? Les boulistes des berges du Rhônes dans Thérèse Raquin de Marcel Carné ( 1953).
Les boulistes des berges du Rhônes dans Thérèse Raquin de Marcel Carné ( 1953).
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 ??  ?? Juliette Binoche et Daniel Day- Lewis devant le pont Bonaparte, dans L’insoutenab­le légèreté de l’être ( 1988). Ci- dessous, Fabrine Luchini au Palais de Justice, dans Tout ça pour ça de Claude Lelouch ( 1993).
Juliette Binoche et Daniel Day- Lewis devant le pont Bonaparte, dans L’insoutenab­le légèreté de l’être ( 1988). Ci- dessous, Fabrine Luchini au Palais de Justice, dans Tout ça pour ça de Claude Lelouch ( 1993).
 ??  ?? Alain Delon dans L’insoumis d’Alain Cavalier ( 1964).
Alain Delon dans L’insoumis d’Alain Cavalier ( 1964).
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 ??  ?? Cascade d’Alain Delon plongeant dans le Rhône en voiture pour Parole de flic de José Pinheiro ( 1985).
Cascade d’Alain Delon plongeant dans le Rhône en voiture pour Parole de flic de José Pinheiro ( 1985).
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 ??  ?? Bernard Giraudeau et Jean- Pierre Lorit dans Une affaire de goût de Bernard Rapp ( 2000).
Bernard Giraudeau et Jean- Pierre Lorit dans Une affaire de goût de Bernard Rapp ( 2000).
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