La Tribune de Lyon

- ÉLISE CAPOGNA

Août 1536, tragique jeu de paume à Lyon : pris d’un mal violent après une séance de ce sport en vogue au XIVe siècle, le fils aîné de François Ier trépasse sans crier gare. Le Dauphin devait rejoindre son père en Provence pour affronter les armées de Charles Quint. Il ne prendra jamais les armes, puisqu’il meurt à dix- huit ans, au château de Tournon, après quatre jours d’agonie. S’il est aujourd’hui admis qu’une pleurésie a emporté François de Valois, sa mort brutale a suscité bien des spéculatio­ns. Dans ses Études philosophi­ques, Honoré de Balzac évoque une mort « enve

loppée de nuages » et le Dauphin a eu l’honneur de figurer parmi les nombreuses Morts mystérieus­es de l’His

toire, recensées au XIXe siècle par le Docteur Cabanès. La thèse de l’assassinat tient pourtant de la pure stratégie politique. Admettre que le sort s’acharne sur le trône de France : un impossible aveu de faiblesse pour un roi qui a déjà été vaincu par Charles Quint dans le passé. Il faut que ce soit un meurtre, commis par une main bien humaine. Et puis, le malheureux Dauphin est une victime toute désignée des jeux de trône ; l’héritier bienaimé du Roi de France a sacrifié une partie de son jeune âge à la guerre contre l’empereur, dont il fut l’otage entre 1526 et 1530. Les juges doivent trouver un coupable : ce sera l e comte Sébast ien de Montecucul­li, échanson du Prince. Son tort : ses connaissan­ces en médecine, rendues suspectes par l’ouvrage qu’il a consacré aux poisons.

Autre élément à charge, un précédent emploi auprès de Catherine de Médicis, qui pouvait profiter de la mort du Dauphin, son beau- frère, pour avancer ses pions sur l’échiquier politique. Le scénario se dessine alors, limpide comme peuvent l’être les demi- vérités opportunes. Montecucul­li aurait donc saupoudré de l’arsenic dans les verres destinés au Dauphin, qu’une partie de jeu de paume avait assoiffé. Et cela tombe bien, puisque Montecucul­li avoue le crime — sous la torture, certes. L’arrêt rendu par les juges le condamne à la peine des régicides : « au lieu de la

Grenette » ( de nos jours, l’angle de la rue de Brest et la rue Grenette), le coupable doit être « tiré et démembré à quatre chevaux » .

Mais la culpabilit­é de l’échanson du

Dauphin est douteuse. La hâte dont font preuve les accusateur­s trahit les tensions géopolitiq­ues du moment. Et, peut- être, le chagrin du Roi pour ce fils qu’il « aimait de préférence » , comme on disait alors. La politique des émotions n’est pas une idée neuve. La thèse de l’assassinat ne résiste pourtant pas aux investigat­ions : depuis le XVIe siècle, les études se succèdent pour évoquer l’hypothèse plus crédible d’une pleurésie, sans doute provoquée par l’eau glacée que le Dauphin avala d’une traite alors qu’il transpirai­t abondammen­t. Le poète Brantôme a beau le ranger parmi les « grands capitaines » de son temps, le Dauphin ne peut se targuer de grandes victoires militaires. Pourtant, il inspira les écrivains d’alors. Ils furent nombreux à participer à son tombeau poétique, un ouvrage collectif destiné à honorer le défunt par la plume. Fauché trop jeune pour régner, le Dauphin est couvert des lauriers dont le destin l’a privé. Son meurtrier présumé l’égale en célébrité. Bien malgré lui, le comte de Montecucul­li et son terrible supplice suscitent l’effroi depuis six siècles.

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