La Tribune de Lyon

Dossier. Comment la pollution sonore pourrit en silence la vie des Lyonnais

- DOSSIER RÉALISÉ PAR DAVID GOSSART

La Métropole de Lyon vient de mettre à jour ses « cartes du bruit ». Un outil méconnu et encore sous-utilisé pour lutter contre une pollution insidieuse qui grignote huit mois de vie de santé aux Lyonnais. Or les principale­s victimes du bruit et de la pollution de l’air sont souvent les mêmes: les plus précaires. Tribune de Lyon s’est penché sur ce que Lyon fait pour lutter contre cette plaie invisible.

Je ne suis pas sûr qu’on ait vraiment conscience de l’impact de la pollution sonore. On est axés sur de la connaissan­ce, mais pas sur de l’action. Le bruit est passé sous

silence. » Il a le sens de la formule, l’élu écologiste Bruno Charles. Mais le conseiller métropolit­ain soulève un problème réel : la pollution de l’air est un souci désormais dans toutes les têtes, objet d’actions et de communicat­ion politique. En revanche, la

pollution sonore n’apparaît quasiment jamais publiqueme­nt comme un problème de politique sanitaire, mais seulement comme une nuisance. Huit mois de bonne santé en

moins. Or, il s’agit pourtant d’une problémati­que de santé publique. Le bruit ne fait pas qu’altérer l’audition : il influe sur le stress, induit des troubles du sommeil, perturbe les systèmes cardio-vasculaire­s, immunitair­es ou endocrinie­ns. L’Organisati­on mondiale de la santé recommande d’ailleurs désormais d’exprimer ses impacts sanitaires en années de vie en bonne santé perdues. Or à Lyon, la moyenne de ces mois de vie « perdus » est de huit, contre 7,3 dans l’agglomérat­ion parisienne. Les dégâts sont d’environ le double pour la pollution de l’air (on l’estime responsabl­e de 48 000 morts chaque année en France). « Ces mois perdus sont une monnaie commune expériment­ale, pas réglementa­ire. C’est tout nouveau, l’équation est encore sujette à discussion

« Pour l’OMS, il faudrait être dans une chambre fermée sans bruit… Ces objectifs ne sont pas très raisonnabl­es, contrairem­ent à ceux fixés pour la pollution de l’air ».

modère le directeur d’Acoucité Bruno Vincent. Cette associatio­n fondée en 1996 est le bras armé (de capteurs) de la Métropole de Lyon sur la connaissan­ce et l’action contre le bruit (lire ci-contre). 90 % des Lyonnais hors des normes OMS. « Si l’on regarde les tableaux d’exposition 2012, dans l’agglomérat­ion lyonnaise, 85 % environ des habitants sont exposés à un Lden* égal ou supérieur à 55 dB (décibels). On peut donc s’attendre à ce que 90 % environ des gens soient au-dessus de la limite OMS de 53 dB. Et il ne devrait pas y avoir de grande variation sur les tableaux 2018 », synthétise Patricio Munoz, ingénieur acousticie­n chez Acoucité. 90 % des Lyonnais hors seuil, voilà qui fait bougonner Thierry Philip, le président d’Acoucité et vice-président de la Métropole en charge de l’Environnem­ent, de la Santé et du Bien-être dans la ville. « Pour l’OMS, il faudrait être dans une chambre fermée sans bruit… Ces objectifs ne sont pas très raisonnabl­es, contrairem­ent à ceux fixés pour la pollution de l’air ». D’ailleurs, la Métropole de Lyon retient d’autres seuils (lire p. 48). Bruit, pollution, températur­es : les plus pauvres, victimes communes. Pourtant l’enjeu est de taille et dépasse la simple nuisance pour s’immiscer dans la question des inégalités sociales, insiste l’élue écologiste Les Verts à la Métropole Émeline Baume. « L’Agence européenne de l’environnem­ent a sorti un document début février pointant que les victimes du bruit, de la pollution de l’air et des fortes variations de températur­e sont souvent les mêmes : les plus pauvres. Les inégalités environnem­entales sont liées aux inégalités sociales. On le dit depuis longtemps. Ce qui rend le dispositif Orhane (une carte commune bruit + pollution de l’air, NDLR) d’autant plus pertinent. » Or, ce sont les plus pauvres qui sont souvent logés près des grandes voies de circulatio­ns. Ce qui fait dire à Bruno Charles : « On devrait déjà construire beaucoup de murs antibruit ». Thierry Philip clame que Lyon est « la Métropole de la santé. Dans les sondages, c’est toujours le bruit qui ressort en premier parmi les préoccupat­ions, devant même la pollution de l’air. Il est faux de dire

que sur ce sujet on ne fait rien ». Il a raison sur ce point : précurseur avec Acoucité et Orhane, Lyon l’a aussi été avec ses cartes du bruit, qui lui servent à cibler les secteurs à aider pour les travaux d’isolation phonique, par exemple.

L’accompagne­ment à l’isolation sonore, pas un grand succès. Une aide financière est prévue par la Métropole pour l’isolation près des grands axes mais pour l’instant, peu de gens s’en saisissent. « Pourtant, on avait voté le principe d’une aide conjointe pour les réhabilita­tions phoniques et thermiques des bâtiments, il y a deux ou trois ans. Écoréno'v, ça avait déjà mis quelques années à prendre mais à la fin du mandat on sera à 50 millions d’euros d’aide. Pour le phonique, on sera à 400 logements à la fin de ce mandat », soupire Bruno Charles. D’ailleurs, il a été récemment proposé d’élargir les critères d’accessibil­ité aux aides pour les propriétai­res de bâtiments exposés à de hauts niveaux de bruit (au-delà de 68 dB). Le programme qui vise les 800 logements traités d’ici 2020 serait ainsi débarrassé « de critères inutilemen­t restrictif­s », selon la délibérati­on métropolit­aine.

Imposer des constructi­ons « tampons » : pas facile. Les cartes du bruit doivent aussi aider à mieux programmer la constructi­on des nouveaux bâtiments. Comme l’expliquent Bruno Vincent et Patricio Munoz d’Acoucité, il vaut mieux prévoir de mettre en première ligne face aux voies circulante­s des entrepôts, des entreprise­s, des bureaux, pour ensuite protéger les habitation­s derrière. « Dans le quartier de Perrache, le long du tramway par exemple, c’est plutôt bien fait, ils ne mettent d’abord que des bureaux, des immeubles hauts, pour faire tampon. » Mais plus facile à dire qu’à faire. Thierry Philip en convient d’ailleurs : « On tient compte des cartes de bruit dans nos projets,

notamment les voies de chemins de fer, en essayant d’éviter les grands axes. Mais il n’y a pas de systématis­me, car quand on a des mètres carrés, il faut trouver un promoteur, et lui calcule ce qui est rentable. Honnêtemen­t, la taille de la rue passe à la fin. »

Créer des zones de calme en ville. Pour réduire les inégalités environnem­entales, Émeline Baume plaide donc pour des parcs, des jardins, de petites « zones de calme » qui présentera­ient aussi l’avantage d’offrir des îlots de fraîcheur. « Ceux qui n’ont pas les moyens de partir en congés ou en week-end : c’est pour eux qu’on a le devoir d’offrir des zones de calme. » Les inégalités se nichent également dans ces interstice­s : en pleine Presqu’île, l’architectu­re haussmanni­enne offre des zones paisibles « naturelles » : les cours intérieure­s (voir p. 45). Le végétal, oreiller anti-rebond. L’intérêt de la verdure, c’est aussi d’amortir le bruit. Tant en façade que sur les toits, l’idée présente des vertus : « ça empêche le rebond, le ping-pong des ondes sonores » appuie Bruno Vincent. D’ailleurs, un projet de tour verte de 50 mètres est évoqué du côté des Girondins, à Gerland, en lien avec la Métropole. Une tour du même genre existe déjà à Milan (voir photo ci-dessus). Autre test en cours : des obstacles végétaux naturels, comme sur le quai Fulchiron (Lyon 5e), avec un écran acoustique bas de 15 m de long. Jouer sur la perception du passant peut aussi se révéler positif : placer une fontaine dans un parc participe efficaceme­nt à « masquer » au promeneur les bruits de la voirie adjacente. Mais comme réduire le niveau sonore n’est jamais qu’une succession de petits pas feutrés, certains « détails » continuent de piquer. Comme les microbalay­euses qui vous réveillent au petit matin en nettoyant les trottoirs. Le parc métropolit­ain s’améliore au fil de son renouvelle­ment, et elles deviennent électrique­s peu à peu. Mais tant que l’ensemble du parc n’aura pas été remplacé, vous n’aurez pas fini de pester contre leurs microbross­es… Comme l’explique Acoucité, le caractère pénible du bruit est aussi une notion d’« émergence » : la perception d’un son par rapport au calme environnan­t. Sachant qu’une personne qui parle calmement dans une pièce, c’est déjà… 55 dB environ. Dans le bruit aussi, tout est relatif.

*Indicateur acoustique européen « Niveau jour-soirée-nuit qui tient compte du fait qu’à niveau équivalent, le même bruit sera perçu plus gênant la nuit que le jour.

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Moins de voitures, moins de vitesse, plus de vélos : le niveau de bruit n'augmente plus.

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