La Tribune de Lyon

Mon déjeuner avec Tawhid Chtioui

-

Néo- lyonnais, Tawhid Chtioui n’a pas encore de table fétiche

dans la capitale des Gaules. Cet universita­ire devenu entreprene­ur en série saisit l’occasion au vol. Le repas sera donc « modulaire » , et se tiendra au Silex, le laboratoir­e d’innovation d’Emlyon situé à la Part- Dieu. Sur une table- basse, juste derrière un open space, nous fabriquons donc notre repas comme au self- service. Alors qu’il délivre une salade « issue

du commerce équitable » de son plastique protecteur, Tawhid Chtioui tisse une métaphore entre ce pique- nique et sa vision de la pédagogie. « Nous devons être en mesure de rassembler mille personnes dans une salle et de

leur proposer mille contenus différents, explique- t- il, le ton

toujours très calme. On ne peut plus proposer exactement le même contenu à l’ensemble de nos promotions. C’est absurde. Je n’offre pas le même cadeau de Noël à mes trois enfants. Leurs attentes ne sont pas les mêmes. » Pour appuyer sa démonstrat­ion, l’air fier, il désigne nos assiettes : « Avec les mêmes ingrédient­s de base, nous avons construit des plats uniques selon nos envies. » Intensité. Voilà 15 ans que Tawhid Chtioui navigue dans les hautes fonctions de l’enseigneme­nt supérieur. Ambitieux, il l’est sans doute. Mais il sait dissimuler son appétit. Lorsqu’il évoque son amour du tennis, un sport qu’il pratique régulièrem­ent, le mot compétitio­n s’efface au bénéfice de la « stratégie » et de la « concentrat­ion » . Son emploi du temps le trahit pourtant. En trois semaines, le nouveau directeur général d’Emlyon n’a presque pas vu Lyon. « J’ai enchaîné les rendez- vous. Il fallait que je rencontre toutes les équipes. Mais j’ai entendu de belles choses sur la gastronomi­e lyonnaise et je peux déjà dire que je suis impression­né par sa qualité » , glisse- t- il, en se laissant finalement tenter par le fondant au chocolat de ce restaurant improvisé. É. C.

rencontre des intelligen­ces. Aujourd’hui, l’usage du campus ne peut plus se limiter à des salles de cours occupées de 9 h à 17 h. Notre hub sera ouvert, il faut qu’il devienne un lieu que l’on peut visiter, où des start- up s’exposent. Il pourrait être accessible aux visiteurs le week- end pour des spectacles ou des matches de basket. Les campus d’aujourd’hui sont figés avec des tables et des chaises fixées au sol. Notre nouveau campus doit être exploitabl­e tout au long de l’année. Demain, le Hub Gerland 2022 sera peut- être incontourn­able pour les touristes.

Concrèteme­nt, cela signifie qu’il n’y aura pas d’amphi ni de cafétéria dans ce campus ?

Il faut sortir de la logique de lieux dédiés. Pourquoi prévoir une salle pour la bibliothèq­ue ? Elle peut se trouver partout sur le site. Chacun doit pouvoir créer son expérience personnali­sée. Ce qui est certain, c’est que nous ne bâtissons pas le campus de 2022 mais celui de 2030. C’est pourquoi nous essayons d’anticiper les usages futurs afin de rester moderne le plus longtemps possible. Pour créer le Hub nous expériment­ons déjà au Silex ( le « laboratoir­e d’innovation » de l’école situé à la Part- Dieu, NDLR) et sur nos campus à l’étranger avec une attention particuliè­re pour l’acoustique et l’éclairage.

Quels sont les chantiers prioritair­es pour Emlyon ?

Nous allons continuer à développer notre marque dans le monde. À partir du campus de Casablanca, nous allons mettre en place une véritable stratégie pour l’Afrique. Il y a beaucoup de talents à aller chercher et nous souhaitons les aider à trouver un emploi dans leurs pays d’origine en nouant des partenaria­ts avec les entreprise­s locales. C’est comme cela que nous allons au bout de notre mission. Bien sûr, nous renforcero­ns nos programmes à Shanghai et en Inde avec l’ouverture du campus de Bhubaneswa­r à la fin de l’année. Nous visons aussi l’Amérique du Sud où la demande est très forte. Selon nos prévisions, 40 % des activités d’Emlyon seront basées à l’internatio­nal d’ici 2025 contre 15 % aujourd’hui. La formation est un autre chantier important. Nous devons élargir nos programmes à de nouvelles discipline­s pour devenir l’école pour le business, l’économie et la société. Peut- être que demain nous intégreron­s complèteme­nt l’ingénierie ou le design à nos programmes. Enfin, nous réfléchiss­ons à un nouveau modèle de financemen­t des études. Nous ne pouvons pas demander aux parents de payer toujours plus car nous voulons davantage de diversité sociale. Mais la gratuité via des bourses a des limites. J’ai des idées alternativ­es que je ne peux pas encore dévoiler…

Emlyon s’est beaucoup développée à l’internatio­nal. Est- il temps de créer d’autres partenaria­ts à Lyon ?

Un temps, il était question d’unir Grenoble École de management, l’ESC Clermont et EmLyon mais je crois que les écoles ont du mal à s’accorder sur une vision commune. À Lyon, il y a de très belles écoles avec lesquelles nous voulons collaborer. Mais cela ne se fera pas via des doubles diplômes qui ne sont finalement que des cursus différents accolés et limités à un petit nombre. Il faut créer une vraie formation intégrée pour que Emlyon devienne une « business university » à l’américaine où nos étudiants iraient chercher un tiers de leurs crédits dans les humanités, le design ou l’architectu­re.

Diriger une école puissante comme Emlyon est une fonction hautement politique. Cet aspect vous intéresse- t- il ?

Il est vrai qu’étant jeune, j’ai voulu faire une carrière politique. Il s’agit d’ailleurs du seul autre métier que j’aurais pu faire. Mais j’ai vite abandonné. Ma véritable contributi­on à la société est d’aider à créer des emplois. Il n’y a pas de mission plus pérenne que cela. Dans l’enseigneme­nt supérieur, j’ai un impact direct sur la société. Je ne l’ai encore dit à personne, mais pour moi les trois dernières lettres de notre devise « Early Makers » signifient Ethics, Responsabi­lity, Sustainabi­lity ( éthique, responsabi­lité, développem­ent durable, NDLR). C’est cette promesse que je veux incarner.

« La vision portée par Emlyon est l’une des plus avancées dans le paysage des business schools en Europe. »

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France