La Tribune de Lyon

François Decoster :

« On va rendre la Part- Dieu un peu plus aimable »

- PROPOS RECUEILLIS PAR DAVID GOSSART

François Decoster est l’architecte conseil et l’urbaniste du projet Part- Dieu. Un chantier permanent qui crispe les Lyonnais et soulève nombre de récriminat­ions : pas assez vert, trop de bureaux, risque de gentrifica­tion… L’architecte parisien revient pour Tribune de Lyon sur ce qu’est la Part- Dieu, et ce que le quartier doit devenir.

En venant à ce déjeuner, dans notre bus un voyageur évoquait le « bazar de la PartDieu » . N’est- ce pas frustrant pour vous que les Lyonnais ne le voient que comme ça ?

François Decoster : « Les chantiers c’est toujours perturbant, et celui- là est assez gros, en effet ! ( sourire) Mais on voit qu’une rue comme la rue Desaix a été livrée assez rapidement. Maintenant les gens y mangent en terrasse sans travaux autour. La place de Francfort a aussi été entièremen­t transformé­e : les Lyonnais s’assoient sur les bancs, boivent leur café… Peu à peu, il y a quand même de petits cadeaux.

Quelle est l’idée derrière cet énorme chantier, seulement booster les bureaux ?

Quand le projet a été lancé il y a une dizaine d’années, Confluence était bien parti, Gerland et Carré de Soie aussi. La rive gauche s’était aussi beaucoup développée. Le centre ce n’est donc aujourd’hui plus seulement la Presqu’île et le Vieux- Lyon, c’est cette aire plus large qui inclut Gerland et va presque jusqu’à Carré de Soie. Or Part- Dieu en est un peu la porte d’entrée. Mais c’était un « trou » utilitaire où l’on passe mais ne s’arrête pas, le quartier ingrat avec beaucoup de passage mais un espace public vieilli. Au départ les objectifs étaient le développem­ent économique, atteindre une jauge théorique d’un million de mètres carrés de bureaux. Le projet a ensuite évolué vers des questions autour du commerce, des transports, des déplacemen­ts…

Mais c’est un quartier pour qui ? Les collectifs se plaignent que les prix augmentent et que les habitants historique­s doivent s’excentrer.

C’est un peu bête de répondre ça, mais le changement est inéluctabl­e dans des projets d’une telle

ampleur. Il y a quand même une part de social de 30 % dans toutes les opérations. Par exemple dans le projet Sky Avenue rue Desaix, il y a des logements luxe au sommet, une résidence service, des city lofts pour des familles d’acquéreurs et un immeuble de logement social avec la boulangeri­e en bas. L’idée est d’introduire le plus possible de mixité à l’intérieur du quartier, ne pas faire entrer qu’un seul type d’habitat et résister à la tentation de faire uniquement de l’habitat d’affaires.

Le carré autour de la gare manque de commerces de proximité. Le centre commercial phagocyte- t- il l’activité ?

Ce n’est pas forcément le centre commercial qui phagocyte. Ce qui fait qu’il n’y a pas de commerces de rues, c’est que ce n’est pas pensé pour ! Quand vous déambulez, vous longez des murs aveugles et derrière, il y a des parkings. Mais la gare va se développer avec des commerces, le centre commercial aussi, et en ouvrant des rez- de- chaussée dits “actifs”, ce sera investi par des commerces. Place de Milan ou place Béraudier il y aura forcément des terrasses. Ce n’est pas parce que le centre commercial se développe qu’un café ne va pas venir à la sortie de la gare.

Le centre commercial pose un autre problème : il forme une barrière entre le quartier et le centre- ville…

Le centre commercial est un objet assez compliqué à manipuler. Dans le plan d’origine de La Part- Dieu de Charles Delfante, il n’y avait pas de gare. Donc tout le plan lui tourne le dos : l’entrée de la bibliothèq­ue est surélevée et tournée de l’autre côté. En plus le centre commercial barre la route vers le centre- ville en face de la bibliothèq­ue. D’où cette entrée principale face à un mur du centre commercial. Celui- ci prend toute la place et se met sur la rue Servient. Du coup, on n’a pas la rue qui mène à la gare. C’est la rue Bouchut qui va tenir ce rôle. C’est pour ça que nous la prolongeon­s, et qu’on agrandit la place Béraudier vers le sud.

Vous avez déjà évoqué le fait que le problème du centre commercial aurait pu être résolu en le coupant en deux. Vraiment ?

On a « forcé » le centre commercial dans son nouveau projet à intégrer une galerie qui permettra de le traverser au niveau de la rue pour aller de la gare jusqu’à Garibaldi. Cette galerie sera ouverte aux horaires du centre commercial, donc de manière assez large puisqu’il reste circulable aux heures du métro. C’est une première manière d’absorber la barrière. On aurait pu essayer de dire effectivem­ent « vous coupez le centre commercial en deux » , mais je pense qu’on serait encore en train de discuter ! Au début dans nos premiers dessins on avait de grands trous dans le toit, des patios… Unibail Rodamco était venu voir la maquette : ils transpirai­ent ! ( rires) On a discuté et ils ont retravaill­é la programmat­ion, ce qui les a amenés à un projet plus ambitieux avec l’investisse­ment de la toiture et les trois escaliers monumentau­x qui descendent sur les côtés.

C’est un quartier de dalles, très minéral. Avec la canicule, une pétition est née pour demander plus de verdure, notamment de pleine terre. Peut- on faire mieux ?

On va planter beaucoup d’arbres. Sur la place de Francfort, ceux plantés il y a un an commencent à donner de l’ombre. Rue Desaix ils sont encore petits. Mais c’était très difficile, dans les espaces publics que l’on aménage dans cette première phase, de prévoir de grandes bandes de pleine terre comme sur la rue Garibaldi. Car entre les flux piétons, vélos, voitures, on n’aurait pas eu la place de passer sur les trottoirs. Et on a énormément de réseaux en sous- sol donc on ne peut pas planter où l’on voudrait. Mais partout où l’on peut, on met des fosses en pleine terre comme place de Francfort où l’on a tout décaissé sur 1,50 m. Si un jour la gare routière ou le parking s’en vont, on fera de même. Nous serons un peu plus libres sur le jardin de la bibliothèq­ue, qui sera un nouvel espace vert la plupart du temps accessible, un lieu où se poser, lire…

À quoi ressembler­a la Part- Dieu quand tout le « bazar » sera fini ?

Ça va ressembler à la Part- Dieu, comme elle devrait être. Avec plus de monde, mais plus calme et plus équilibrée. Il y a de l’inspiratio­n, un peu subliminal­e, de Tokyo où les gares sont intégrées dans les villes, sont des centres commerciau­x avec des équipement­s culturels dedans. Cela génère une urbanité particuliè­re qu’on a un peu ici, avec ces trains qu’on voit passer dans la ville. À Tokyo, il y a énormément de flux, et c’est en même temps assez calme. Ce serait ça l’ambition, de rendre la Part- Dieu plus pratique, plus aimable, morceau par morceau. »

« Il y a de l’inspiratio­n, un peu subliminal­e, de Tokyo où les gares sont intégrées dans les villes, sont des centres commerciau­x avec des équipement­s culturels dedans. »

Newspapers in French

Newspapers from France