Ils recherchent
Virgo, Orion… Arrivé sur le campus universitaire de La Doua, à Villeurbanne, il suffit de suivre les noms de constellations pour trouver les laboratoires dont les travaux contribuent à éclairer notre connaissance de l’Univers. Érigés dans les années cinquante, les bâtiments sont défraîchis mais ne renferment pas moins que l’Institut de physique nucléaire de Lyon et le Laboratoire des matériaux avancés. Le LMA et l’IPNL viennent de fusionner en une seule unité, l’IP2I- L : l’Institut de physique des deux infinis de Lyon. Ces différentes structures sont placées sous l’égide de l’IN2P3 ( l’Institut national de physique nucléaire et de physique des particules) du CNRS, qui s’appuie également sur un centre de calcul ( CC- IN2P3), implanté à la Doua, dont l’objet est la compréhension de l’infiniment grand et de l’infiniment petit. Vous ne trouverez pas ici de télescope ou même de lunette astronomique : bienvenue au royaume de la recherche fondamentale. Au sein de cet institut, le LMA est une infrastructure de recherche unique, et vous allez comprendre pourquoi. En 1993, le laboratoire – qui abritait alors un accélérateur de particules – remporte un appel d’offres et rejoint le projet européen Virgo. Objectif : détecter des ondes gravitationnelles théorisées par les lois de relativité générale d’Albert Einstein. Ce sera chose faite en 2015, découverte récompensée par un prix Nobel en 2017. Directrice de l’IP2I- L, Anne Ealet est formelle : « Sans Lyon, pas de découverte. » Le rôle du Laboratoire des matériaux avancés fut de fournir
des optiques d’une très grande précision nécessaires au fonctionnement d’un interféromètre de grande envergure bâti près de Pise, en Italie : Virgo. « Les industriels n’étaient pas capables de les fournir » , se souvient Christophe Michel, responsable technique du LMA. Qu’à cela ne tienne, le laboratoire se dote d’une salle blanche qu’il équipe d’une machine unique au monde pour déposer des couches très fines sur des miroirs. L’objectif est d’empiler, sur un verre d’une qualité parfaite, jusqu’à 40 couches de 120 à 180 nanomètres, nécessitant 40 heures de dépose via un procédé complexe de pulvérisation par faisceau d’ions. Au bout du processus, l’optique des miroirs obtenus – traversée par un faisceau laser qu’elle dissèque – permet, grâce à sa pureté, de détecter d’infimes variations, signe direct de la collision de deux trous noirs : les ondes gravitationnelles.
Ces optiques hyper- perfectionnées ( elles réflechissent 99,9999 % de la lumière quand un miroir domestique n’en renvoit que 90 % environ) peuvent trouver d’autres applications, et équipent par exemple certains des télescopes les plus puissants au monde. « La première fois que la fusée Ariane a volé grâce à un guidage laser, les optiques venaient de cette machine » , ajoute Christophe Michel, non sans fierté. L’Institut des deux infinis travaille aussi sur la compréhension de la composition de l’Univers. Avec le projet Edelweiss, il s’agit cette fois de détecter directement la fameuse « matière noire » , dont serait composé 27 % de l’Univers. Des détecteurs faits de galets en germanium sont refroidis à - 273 ° C, et enfouis sous 1 500 mètres de roche dans les entrailles du tunnel du Fréjus, afin d’éviter toute interférence. Les meilleures mesures mondiales réalisées en surface pour tester ces détecteurs ont quant à elles été réalisées à Villeurbanne. On pourrait également parler du télescope spatial Euclid, projet spatial lancé par l’ESA en 2011, dont l’objet est de comprendre l’énergie noire, en observant de lointaines galaxies afin d’étudier l’évolution de l’Univers. Le projet est pharaonique : 1 300 personnes impliquées à travers l’Europe, un milliard d’euros de budget. Et c’est à La Doua que sont caractérisés les détecteurs infrarouges qui s’envoleront à son bord en 2022 pour six ans de mesure depuis l’espace.
Un peu plus près des étoiles.
Si l’un de ses sites est implanté sur le campus Monod de l’ENS ( Lyon 7e), c’est à Saint- Genis- Laval que nous nous sommes rendus afin d’en savoir plus sur les projets du Cral, le réputé Centre de recherche astrophysique de Lyon. Et pour cause, cette unité mixte de recherche créée en 1995 et placée sous l’égide de l’Institut national des sciences de l’univers du CNRS se situe majoritairement sur le site historique de l’Observatoire de Lyon, affilié à l’université Lyon 1. Sur place, impossible de manquer les coupoles jumelées abritant les télescopes dotés d’un miroir d’un mètre de diamètre pour l’un et 60 centimètres pour l’autre. L’occasion d’observer enfin le ciel ? Laurence Tresse, directrice du Cral, vient calmer nos ardeurs : « Des observations ont eu lieu jusque dans les années vingt à quarante, puis ont été rendues impossibles par la dégradation de la qualité du ciel. » Isolé lors de sa création en 1878, le site a depuis été rattrapé par l’urbanisation. Les télescopes servent aujourd’hui à la « diffusion des savoirs » auprès du grand public et à l’astronomie amateur. Ce qui n’empêche absolument pas le Cral et sa centaine de chercheurs, ingénieurs, post- doctorants et étudiants en thèse, de travailler. Ses domaines de recherche vont de l’étude des petites échelles, comme les disques constitués de poussière et de gaz à partir desquels des planètes se forment, les étoiles, les galaxies, les amas de galaxies jusqu’aux grandes structures de l’univers et la cosmologie. La recherche au Cral s’appuie sur des développements théoriques, des simulations numériques et des observations, ainsi que le développement d’instruments et de techniques d’observation destinés aux grands observatoires. Depuis sa création, l’unité de recherche a collaboré à l’élaboration de quatre spectrographes qui ont équipé des télescopes au Chili, à Hawaii et sur les Îles Canaries, et au développement d’un logiciel de performance pour le spectrographe d’un télescope spatial, le JWST, dont le lancement est prévu en 2021. « Seuls quelques sites au monde sont adaptés pour nos instruments, ce sont des projets à plusieurs millions d’euros. Les conditions d’observations doivent être excellentes, avec peu de vent, de pluie, de neige, d’humidité par exemple » , cadre Laurence Tresse. Le projet dont le Centre de recherche astrophysique de Lyon est le plus fier est le projet Muse, installé depuis 2014 sur le VLT ( Very Large Telescope) dans le désert d’Atacama. L’instrument fait partie de la gamme des IFU, les spectrographes à intégral de champ, dont le Cral est devenu un spécialiste mondial. Des treize instruments installés sur les unités du VLT, Muse est le plus demandé et 250 nuits d’observation ont été garanties au consortium Muse piloté par le Cral. L’un de ses concepteurs, l’astrophysicien Roland Bacon, a d’ailleurs dirigé le Cral
« Cela nous a permis de découvrir des sources lumineuses qui n’avaient jamais été révélées par le télescope spatial Hubble. »
pendant dix ans. Tout l’intérêt de cet instrument est de pouvoir apporter la troisième dimension simultanément avec l’observation des images de champs profonds de l’univers. « Cela nous a permis de découvrir des sources lumineuses qui n’avaient jamais été révélées par le télescope spatial Hubble » , souligne l’actuelle directrice du Cral. Un des sujets brûlants est de comprendre comment l’Univers, vieux de 13,6 milliards d’années, s’est peu à peu « réionisé » , c’est- à- dire comment est- il passé progressivement d’opaque à transparent à la lumière que nous captons aujourd’hui. Deux autres instruments sont en cours d’assemblage. Lorsque l’Extremely Large Telescope ( ELT) – le plus grand du monde avec 39 mètres de diamètre – de l’Observatoire Européen Austral ( ESO) verra le jour d’ici 2025/ 2026 au Chili, l’instrument Harmoni pourra y prendre place. Haut de neuf mètres et pesant 40 tonnes, il s’agit d’un IFU, comme Muse, dont le Cral est responsable au sein d’un consortium international éponyme. Le Cral est également responsable de deux spectrographes à basse résolution au sein du projet 4Most, qui permettront d’observer 2 400 spectres simultanément à partir de 2023 lorsqu’il sera installé sur le télescope Vista de l’ESO, également au Chili à côté du VLT.
Consortiums internationaux.
Un travail est également mené sur les exoplanètes, ces corps orbitant autour d’une autre étoile que notre Soleil. Des simulations numériques sont menées afin de comprendre comme se forment ces planètes, doublées d’observations que viendront encore enrichir les instruments en cours de conception. L’ensemble de ces projets sont en effet intimement liés. 4Most pourra par exemple permettre d’assurer un suivi spectroscopique de la mission Euclid. Le travail sur les optiques du Laboratoire des matériaux avancés a également été précieux pour les projets Muse et 4Most. Le centre de calcul installé sur La Doua a par ailleurs été mis à contribution pour des projets numériques nécessitant plusieurs millions d’heures de calcul. « Lyon est une belle plateforme pour l’astrophysique, résume Laurence Tresse. Nous avons l’avantage de faire partie de consortiums internationaux, de travailler en réseau avec d’autres labos. »