La Tribune de Lyon

« Au Brésil, le Français est accueilli les bras ouverts. Le Lyonnais encore plus »

Franco- portugais, Olivier Costa est devenu consul honoraire du Brésil à Lyon en 2018. Passionné par le sport et le monde des affaires, cet avocat ( Bismuth & Associés) tente de créer des ponts entre Lyon et le Brésil.

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Antonio Cançado de Araujo s’est installé à Lyon après une grande défaite, celle du Brésil face à la France lors de la Coupe du monde de football en 1998. Il est aujourd’hui l’ambassadeu­r du Pão de Queijo ( Forno de Minas), un pain au fromage préparé à base de farine de manioc.

tombé amoureux de Lyon. J’ai été pendant huit ans à l’OL et j’ai eu le temps de m’adapter à la ville, à sa culture » , lance le défenseur surnommé « le policier » qui a joué en Turquie, puis à nouveau au Brésil, après avoir porté les couleurs des Gones. « Quand on est allé au Brésil, ma fille m’a demandé : “Quand est- ce que l’on rentre chez nous, à Lyon ?” En fait, on avait tous envie d’y retourner » , affirme celui qui vit aujourd’hui à Écully et entraîne l’équipe du MDA Foot à Chasselay.

Quelques décennies plus tôt pourtant, la communauté brésilienn­e était loin d’être aussi présente dans le paysage lyonnais. « Quand je suis arrivé en 1985, nous étions environ une trentaine, un peu comme une famille » , se remémore le bijoutier Roberto Cavalcante. Dans son atelier- boutique Concept Brésil de la rue Terme ( Lyon 1er), l’homme au large sourire façonne des parures à partir de matériaux naturels issus de l’Amazonie, comme l’ivoire végétal. Percussion­niste, Roberto Cavalcante s’est largement investi dans la vie lyonnaise, ouvrant un café- théâtre brésilien dans le Vieux- Lyon ( il n’existe plus aujourd’hui, NDLR) et collaboran­t avec Guy Darmet, le créateur de la Biennale de la danse, lui- même amoureux du Brésil.

Cécile Bennegent a elle aussi constaté une « véritable évolution » . « Quand j’ai commencé dans le milieu brésilien en 1994, il y avait une seule batucada à Lyon et une poignée de chanteurs et danseurs profession­nels » , note la créatrice de l’associatio­n Gingando et auteure de l’ouvrage Capoeira ou l’art de lutter en dansant. Au fur et à mesure capoeirist­es et musiciens se sont installés entre Saône et Rhône, notamment encouragés par les différente­s expérience­s d’échange culturel, d’autant plus que des liens historique­s forts rapprochen­t les deux pays et ce malgré la récente crise diplomatiq­ue. « Aujourd’hui, il y a énormément d’associatio­ns dans

la région ( forró, samba…). À Lyon, il ne se passe pas une semaine sans une soirée brésilienn­e. »

Mai s l ’ ar r ivée su r le V ieux Continent de ces personnali­tés souvent réputées pour leur joie de vivre ne s’est pas faite sans une petite phase d’adaptation. « Au début, je ne comprenais vraiment pas pourquoi tout le monde parlait sans cesse de la pluie et du vent du nord. Avant pour moi la question ne se posait pas : il allait y avoir du soleil. J’ai dû apprendre à vivre en regardant la météo ! » , raconte Tatiane qui a été tout aussi surprise lorsque son médecin a recommandé de la vitamine D pour ses deux filles nées à Lyon. Autre curiosité locale : l’inertie du mois d’août. « Tout est fermé, les rues se vident. La première année, j’ai cru qu’il y avait un gros souci et que je n’étais pas au courant. »

De ses premiers jours en terres lyonnaises, Sonny Anderson ( attaquant à l’OL de 1999 à 2003) garde surtout en mémoire sa soif de vivre au coeur de la ville pour prendre son pouls, se caler à son rythme. Après deux saisons au Barça, il choisit pour repaire la place Bellecour et passe du temps au café éponyme où il est encore possible de le croiser aujourd’hui. « À Barcelone, je vivais en dehors de la ville. J’avais presque l’impression d’être caché. En arrivant à Lyon, j’ai tout fait pour rencontrer les voisins de mon immeuble, les gens du quartier, les commerçant­s… Et je me suis vite adapté » , relate le super butteur.

Aujourd’hui consultant pour Bein Sport — il fait les allers- retours à Paris — Sonny n’a pas remis les pieds au Brésil depuis 2014. « Après avoir joué au Qatar, j’aurais pu retourner dans le sud de la France ou même à Barcelone, c’est sûr que le cadre de vie n’est pas le même. Mais cela ne fait pas tout. J’avais noué des liens forts à Lyon avec des amitiés sincères et fidèles » , souligne celui qui a même un

Comment êtes- vous devenu consul du Brésil ?

« Mes parents ont immigré du Portugal vers la France dans les années 1970. Je suis né à Lyon et je parle le portugais. Je connais depuis longtemps la communauté lusophone de la région. Dans le cadre de ma profession d’avocat, j’ai développé des liens avec les communauté­s portugaise­s, brésilienn­es mais aussi avec l’Afrique lusophone. J’ai eu l’occasion de rencontrer l’ancien consul Jean- François Perrier, qui a proposé mon nom au moment de son départ. C’était un honneur et aussi une suite logique et assez cohérente de mon parcours. Je pense que l’on peut mettre en avant la communauté brésilienn­e, notamment sur l’aspect économique.

En quoi consiste votre mission ?

Je reçois sur rendez- vous les Brésiliens et les Brésilienn­es au sein du cabinet d’avocat où j’exerce et je centralise les interrogat­ions. Il y a aussi une mission de représenta­tion du pays mais ce qui m’intéresse particuliè­rement c’est de mettre en relation les membres de la communauté brésilienn­e, pour essayer de promouvoir les projets, les événements, etc. Mon premier travail a d’ailleurs été d’identifier ces personnes dans la communauté brésilienn­e mais aussi tous les acteurs lyonnais impliqués : la Ville, la Métropole, l’université Lyon 3 qui a un double diplôme de droit France – Brésil, etc.

En 2020, je souhaite repérer les entreprise­s qui ont une activité avec le Brésil ou qui souhaitent en avoir une. Mon but est d’organiser en fin d’année une mission économique au Brésil avec des entreprise­s lyonnaises de Lyon.

Avant cela, vous avez participé, en 2012, à la création du Brasil Business Club à Lyon. Pourquoi ?

On observant tous les clubs d’affaires à Lyon – et il y en a beaucoup – nous nous sommes aperçus que le Brésil n’était pas représenté. Or, la région entretient des liens forts avec le Brésil depuis très longtemps. L’institut Pasteur, la famille Mérieux, ont eu depuis des actions au Brésil. Autre exemple : le fleuron local GL events a également une activité colossale au Brésil. Cela avait donc du sens de créer un club pour tisser des liens entre les deux pays, d’autant plus qu’à l’époque, les fondations d’une relation forte venaient d’être posées au niveau politique. Concrèteme­nt, le Brasil Business Club rassemble toutes les personnes ( représenta­nts d’entreprise­s, indépendan­ts, étudiants, etc.) intéressée­s par l’exercice d’une activité économique qui se retrouvent lors de déjeuners mensuels et de différents événements.

Combien d’entreprise­s lyonnaises travaillen­t avec le Brésil ?

Sur le plan national, il y a environ 500 entreprise­s françaises implantées au Brésil, d’abord en provenance de la région parisienne, ensuite d’Auvergne RhôneAlpes. C’est toujours très difficile d’avoir les chiffres localement car beaucoup de PME font de l’exportatio­n par leurs propres moyens. C’est aussi pour cela que je souhaite réaliser ce travail d’identifica­tion l’année prochaine. De l’autre côté, il y a péniblemen­t entre 45 et 50 entreprise­s brésilienn­es en France. Mais on commence à voir des marques d’intérêt de la part des entreprise­s brésilienn­es. Et comme la région lyonnaise est plus attractive que la région parisienne, des entreprise­s arrivent, derrière des moteurs déjà installés depuis quelques années comme WEG ( fabricants de moteurs électrique­s, NDLR) à Saint- QuentinFal­lavier et Romi à Saint- Priest ( constructe­ur de machines outils et presses à injecter, NDLR). Il y a donc une petite évolution.

Quel intérêt de se tourner vers le Brésil pour les entreprene­urs lyonnais ?

Il y a, bien évidemment, un marché très étendu. Mais cela ne suffit pas. Un autre point est important : on se comprend avec les Brésiliens, même si il y a bien sûr quelques différence­s culturelle­s. Les Brésiliens sont d’ailleurs très francophil­es : ils adorent notre langue ! C’est quand même assez fou de se dire que la devise inscrite sur le drapeau brésilien Ordem e Progresso ( ordre et progrès), vient du philosophe français Auguste Comte ( fondateur du positivism­e, NDLR). Plusieurs anecdotes comme celle- ci témoignent des liens existants. À Lyon, une plaque en hommage à Allan Kardec est installée juste devant le Sofitel. Peu de gens le connaissen­t mais cet homme, né à Lyon en 1804, a fondé le spiritisme qui a des millions d’adeptes au Brésil. Et puis, l’Olympique lyonnais a été vecteur de développem­ent et de notoriété de Lyon au Brésil à un point insoupçonn­é chez nous. Les matches étaient diffusés là- bas. En interview, les joueurs parlaient de sport mais aussi de la ville de Lyon. Ils ont toujours mis en avant la qualité de vie. En résumé, au Brésil, le Français est accueilli les bras ouverts. Le Lyonnais encore plus. »

stade à son nom dans le quartier de Confluence.

Perdre en souriant. L’histoire de ces Brésiliens qui ont choisi Lyon n’est évidemment pas toujours cousue de fil rose. Certains ont échoué ici après un véritable coup dur. C’est le cas d’Antonio Cançado de Araujo qui a découvert la capitale des Gaules à ses dépens après un certain 3- 0 en 1998. Une défaite sportive mais aussi entreprene­uriale pour celui qui avait tout misé sur la victoire de sa patrie. « Je vivais à Paris et j’avais investi tout ce que j’avais et ce que je n’avais pas dans la Coupe du monde en créant la chanson de la victoire du Brésil. Vous devinez la suite : il n’y a pas eu de triomphe et la chanson n’a pas fait le boum que j’attendais. Pour moi c’était pourtant dans la poche, je me disais que les Français ne savaient pas vraiment jouer au foot. Je me suis carrément trompé » , explique en souriant celui qui a également créé le site bresil. fr pour promouvoir la culture brésilienn­e à travers l’Hexagone. Antonio se fera finalement recruter pour l’ouverture d’une agence de voyages à Lyon, puis retournera dans son « petit » pays pour tenter de lancer une nouvelle affaire, cette fois- ci dans le domaine de la réparation automobile. « Ça n’a pas du tout marché ! » , lance- t- il dans un éclat de rire désarmant. « La réussite du jour au lendemain, cela met longtemps à arriver. Dans mon cas, cela fait 45 ans que je me bats » , philosophe- t- il.

Sonny Anderson a lui aussi connu un revers lyonnais. En 2005, il ouvre son propre restaurant Mon Brésilien pour partager un pan de sa culture dans le quartier de Gerland. L’aventure ne dure que trois ans. « C’était un gros pari et je n’ai pas de regrets » , confie- t- il. De son côté, Antonio Cançado de Araujo s’est depuis lancé dans une nouvelle épopée en devenant l’ambassadeu­r du Pão de Queijo, un petit pain au fromage à base de farine de manioc, pour une grande marque brésilienn­e. « C’est un monument de notre gastronomi­e, une part de mon ADN » , explique celui qui vient tout juste de lancer le site paodequeij­o. fr.

Son objectif : faire connaître cet emblème culinaire en France, en commençant par Lyon. « J’ai adoré vivre à Paris mais aujourd’hui, je trouve que Lyon a plus de possibilit­és et d’ouverture. »

Ce petit truc en plus. Essayer, échouer, se relever, recommence­r. S’il y a bien un ingrédient que ces expatriés ont ramené avec eux lors de leur traversée de l’Atlantique, c’est cet élan vibrant, ce supplément d’âme, cet optimisme à toute épreuve qui les pousse sans cesse à aller de l’avant. « On est très ouvert et on n’a pas peur de s’investir. D’oser. S’il y a un échec, on va se relever, apprendre, rebondir, aller jusqu’au bout, assure Cris. S’il y a une forme de réussite brésilienn­e, c’est parce que nous avons insisté. »

« Ce que j’apprécie beaucoup chez eux, c’est leur capacité à trouver des solutions, loue Olivier Costa. Alors que nous pourrions craindre qu’un projet ne se réalise pas, les Brésiliens vont avoir cette capacité à garder espoir, à trouver une alternativ­e, même au dernier moment » . Au Brésil, une expression désigne d’ailleurs

cet esprit malicieux et inventif : jeitinho. Comprendre : le « petit geste » qui va dénouer le problème. « En contrepart­ie, ils peuvent parfois avoir une notion de la ponctualit­é un peu… malléable » , plaisante le consul.

Vaudou. L’enthousias­me solaire brésilien est aussi intimement lié aux différente­s formes de croyances très ancrées dans le plus grand État d’Amérique latine. Là- bas, spirituali­té et intériorit­é peuvent prendre de multiples visages, du catholicis­me à des variantes empreintes de vaudou. « Le Brésilien a trois religions : une école de samba, une équipe de foot et un culte. Et, parmi tout cela, on arrive toujours à trouver un terrain d’entente » , souligne Roberto Cavalcante de son verbe chantant.

« On est un peuple croyant. Cela ne veut pas dire que l’on est forcément catholique mais une bonne partie de nous est très superstiti­euse » , ajoute Tiago Barbosa qui après un passage à l’Institut Paul- Bocuse — la même école que Tabata Mey et Augusto Dos Santos du restaurant Doppio ( lire encadré) — a ouvert le glacier Único avec sa compagne corse Julia Canu. Le jeune trentenair­e vient d’ailleurs de rapatrier 5 000 rubans colorés, souvenir d’une église de Salvador de Bahia, où il a grandi. Les bracelets habillent désormais le mur d’Unico. Pour porter bonheur ? « On a déjà la chance avec nous » , lance Tiago, qui a inauguré cette année Fresco, avec sa complice, quai Saint- Antoine. Certains sont allés plus loin. L’insatiable entreprene­ur Antonio Cançado de Araujo a ainsi largement oeuvré pour qu’une petite statue de Notre Dame d’Aparecida, soit intronisée dans la crypte de la basilique de Fourvière en 2017. Surnommée la « Reine du Brésil » , cette Vierge est adulée par des millions de croyants outre- atlantique. « Pour nous, c’est hyper important qu’elle soit là. C’est comme si un bout du Brésil s’était perché sur la colline de Fourvière. Je n’ai jamais regardé la Basilique de la même façon depuis que je sais que Notre- Dame d’Aparecida est là- bas » , souligne Antonio qui a notamment fait le lien avec le cardinal brésilien et oeuvre désormais pour qu’une statue s’installe à Paris.

Croyants ou pas, les Brésiliens sont parvenus à faire résonner leur petite musique dans la ville, avec ce pouvoir bien à eux de transforme­r chaque petit détail en fête. En acceptant de poser pour la couverture de Tribune de Lyon, Tatiane Gomes s’est prêtée au jeu de la séance photo. D’abord un brin gênée, elle s’est ensuite naturellem­ent mise… à danser. Pour effacer l’étiquette de « conjoint suiveur » , la créatrice a elle- même inventé une expression qui lui va bien. « Aujourd’hui, je dis à tout le monde que je suis “brési- lyonnaise”, sourit- elle. Je suis hyperfière de mes racines brésilienn­es tout en étant très heureuse à Lyon. C’est ma ville de coeur. »

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 ??  ?? Après avoir fait vibrer le coeur des supporters lyonnais, Juninho a fait son grand retour cette année en tant que directeur sportif de l’OL.
Après avoir fait vibrer le coeur des supporters lyonnais, Juninho a fait son grand retour cette année en tant que directeur sportif de l’OL.
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Sainte patronne du Brésil, la Vierge d’Aparecida a été intronisée en 2017 dans la crypte de la basilique de Fourvière par le Cardinal Philippe Barbarin et le Cardinal Raymundo Damasceno Assis, Archevêque émérite d’Aparecida ( État de São Paulo). En octobre dernier, une messe dédiée à la communauté brésilienn­e s’est tenue dans la basilique.

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