La Tribune de Lyon

Santé. À Lyon, la psychiatri­e pour tous en danger

- PAR ÉLISE CAPOGNA

À l’heure où les lits se font de plus en plus rares dans les hôpitaux psychiatri­ques, leurs alternativ­es en ville se retrouvent débordées. Les centres médico- psychologi­ques ( CMP), portes d’entrées gratuites et publiques vers le soin mental, déjà affectés par les restrictio­ns budgétaire­s, sont débordés. Et les praticiens menacent de claquer la porte. Coup de projecteur sur une pierre angulaire de la santé publique.

Carine* officiait dans un CMP du centre de Lyon depuis dix ans, mais cette psychomotr­icienne a jeté l’éponge. De dépit, de fatigue. « J’y pensais depuis longtemps, lâche- t- elle, le jour de sa démission. Tout le budget de fonctionne­ment devra être réduit de 30 % en moins de deux ans. Ce n’est pas anodin. Avec des enfants psychotiqu­es, je ne peux pas juste enchaîner les prises en charge. » Andrei*, médecin dans un centre de l’est lyonnais part aussi, sans avoir la conscience tranquille. « Cela pose une question déontologi­que diffici le à résoudre : je laisse des patients sans possibilit­é de relais pédopsychi­atrique en interne au CMP car je n’ai pas de successeur. » Après son dépar t, sa structure n’aura plus de psychiatre à temps plein. « Je ne sais pas quoi faire de mes patients en partant. »

Fatigue. Le Centre hospitalie­r du Vinatier émerge d’une période financière­ment compliquée qui sert de justificat­ion aux économies. Ces restrictio­ns qui touchent toute la psychiatri­e française font suffoquer les structures ambulatoir­es lyonnaises, dont les CMP. Depuis environ cinq ans, les déconvenue­s se multiplien­t : menaces de fermeture à Caluire- et- Cuire, suppressio­n bien réelle à Neuville- sur- Saône… Est- ce à dire que les

centres médico- psychologi­ques sont en voie de disparitio­n ? « C’est la fin de la petite structure avec des praticiens qui connaissen­t le secteur, les partenaire­s… Aujourd’hui les réunions cliniques se font à 27 personnes, cela fait perdre

beaucoup de temps » , déplore Emma*, psychologu­e pour enfants au nord de Lyon. En poste depuis sept ans, elle égrène les exemples pour illustrer la dégradatio­n de ses conditions de travail : « Il faut faire des choix qui peuvent sembler absurdes, entre acheter un agenda ou des ramettes de papier pour faire dessiner les enfants. » Quant au budget pour acheter des jouets en pédopsychi­atrie, il « diminue de 30 % » . « Sur un mi- temps, j’ai une réunion de deux heures, je fais un bilan psychomote­ur qui prend en tout huit heures et je vois une quinzaine de patients par semaine, emballe Carine. Donc depuis un an je m’efforce de mettre des enfants sur liste d’attente. »

SOS Médecins. La psychiatri­e publique est un vaisseau à l’horizon si incertain que les recrutemen­ts de médecins sont une gageure. Les CMP des zones les moins attractive­s comme Vaulx- en- Velin peinent à susciter les vocations. Paul*, psychiatre de l’est lyonnais, confirme : « Il est fréquent que les postes de médecin ne soient pas pourvus. Les salaires sont trois fois moins élevés que dans le privé. Proposer un lien avec la recherche universita­ire peut permettre d’attirer des spécialist­es. » Une partie du quotidien en CMP consiste à tisser des partenaria­ts avec les institutio­ns locales ( EHPAD, écoles et collèges, mairies…). Cette mission vitale pour repérer et accompagne­r les patients doit être écourtée faute de temps. Accessibil­ité, visibilité, proximité : le centre médico- psychologi­que est le couteau suisse du soin psychiatri­que, un maillon irremplaça­ble aux yeux des patients, comme Claudia*, prise en charge durant deux ans à la

sortie du collège : « Je n’aurais pas pu m’en sortir sans cette thérapie. On m’a fourni des outils pour comprendre ce qui m’arrivait. En six mois, j’ai fait d’énormes progrès, rembobine la jeune femme. Il ne faut pas perdre de vue que la psychiatri­e, pour beaucoup, est un luxe. » Depuis, le centre du 6e arrondisse­ment qu’elle a fréquenté a fusionné avec celui du 3e, et les locaux de la rue des Émeraudes ont été vendus.

Défiance. La tendance donnée à l’échelle nationale, serait d’aller vers des centres plus grands à l’image du CMP du cours de Verdun ( Lyon 2e), immaculé comme un hôpital, moins « convivial » mais plus moderne. Cette politique menée au nom du bien- être de la patientèle fait craindre une transforma­tion plus profonde du CMP, de sa

philosophi­e. « Le but serait de s’aligner sur la médecine de ville, de soigner plus vite. En pédopsychi­atrie, on nous met la pression pour prendre plus de patients, utiliser les nouvelles thérapies très protocolai­res en dix séances » , résume Emma. « Un enfant traité, c’est un adulte en bonne santé. » Martine*, assistante sociale, abonde : « Nos difficulté­s sont amplifiées par les déficience­s des autres services publics comme les écoles. » La direction du Vinatier réfléchit, comme ses homologues partout en France, à l’avenir de l’ambulatoir­e. Le premier défi consistera à répondre à des praticiens pour le moins défiants. Les rumeurs de nouveaux regroupeme­nts de CMP font tiquer même les plus optimistes. « Dès que l’on ferme, des familles sont redirigées loin de leur domicile. C’est un trajet d’une heure et demie pour un soin de trois quarts d’heures… Les équipes sont placées dans un autre CMP, il faut le temps de s’adapter. Cela devient un peu industriel et peut créer des problèmes institutio­nnels comme dans toute grosse structure. »

Inerties. La question demeure toutefois : le CMP, héritage de l’après- guerre, est- il efficace ? L’accompagne­ment en pédopsychi­atrie fait l’objet de critiques notamment pour son attachemen­t réel ( mais souvent exagéré) à la psychanaly­se. « Les thérapies ont commencé dans les années soixante- dix avec la psychanaly­se. Mais il faut pouvoir tout proposer aux patients » , assure Emma. « On ne peut pas projeter les failles de l’institutio­n et ses dysfonctio­nnements sur les personnes qui tentent de la faire vivre, tranche Andrei. C’est une façon pour les décideurs et les personnes en position d’encadremen­t de se dédouaner de leur responsabi­lité propre. » Dans le même temps, les besoins ne cessent de croître. « Nous avons encore des enfants inscrits en 2018 qui ne sont pas pris en charge, soupire Martine. Même si on se bat pour réduire l’attente. Il y a des situations de plus en plus graves… » Pour Carine, continuer à exercer dans de telles conditions était devenu impossible. « J’ai mal lorsque j’entends qu’il y a trop de fonctionna­ires. Je ne sais pas s’il y a des gratte- papier en surnombre. Je vois des gens hyperinves­tis qui font bien plus que leurs heures. Je ne supportais plus de voir le vaisseau en train de sombrer. » Elle a démissionn­é en juillet dernier, lassée d’attendre une révolution de la psychiatri­e française.

* Tous les prénoms ont été modifiés.

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