La Tribune de Lyon

Économie. La Gonette : locale, mais pas marginale

- PAR ROMANE VILAIN

Il semblerait que les monnaies locales ne soient plus l’apanage d’hurluberlu­s ou des « bobos écolos » surgissant hors de leur microcosme au rythme des crises économique­s et des confinemen­ts successifs. À Lyon par exemple, à l’heure du « tout local » , la Gonette séduit au- delà de son noyau historique de militants. Même de grandes entreprise­s comme Veolia veulent s’y mettre.

Elles sont 82 présentes sur le territoire national et couvrent 37,5 % de l’ensemble des communes françaises. Les monnaies locales complément­aires ou MLC fleurissen­t dans la plupart des régions. De l’Eusko au Pays basque en passant par le Cairn grenoblois ou le Galléco de Bretagne, cette alternativ­e à l’euro suscite de plus en plus d’intérêt de la part de certains consommate­urs. La crise économique de 2008, les enjeux écologique­s liés aux circuits courts, la quête de modes de consommati­on alternatif­s… sont autant d’éléments qui ont favorisé de nouveaux échanges économique­s. Reconnues par le Code monétaire et financier en 2014, les monnaies locales ont trouvé un écho auprès de citoyens soucieux de pratiquer une économie « réelle » , locale et durable.

Ne plus être « analphabèt­e de l’économie » . Dans le Rhône, et plus particuliè­rement dans la métropole lyonnaise, la Gonette est en circulatio­n depuis 2015 et le réseau compte un peu plus de 1 200 utilisateu­rs. Les commerces acceptant la monnaie regroupent 12 secteurs d’activité, de l’alimentair­e au bien- être en passant par l’artisanat. L’argent échangé en Gonettes est quant à lui placé dans des banques « éthiques » , permettant le financemen­t de projets environnem­entaux et sociaux. Léa Duret, utilisatri­ce de la Gonette depuis deux ans, témoigne : « J’ai rejoint le mouvement car je ne souhaitais plus être une analphabèt­e de l’économie. » L’alternativ­e à un système monétaire centralisé et « l’échange humain » dans la transactio­n financière ont séduit la jeune femme. Elle reconnaît toutefois que le réseau reste un « microcosme » et qu’il lui manque d’être connu du grand public. Pourtant, depuis le début de l’épidémie de Covid- 19, l’associatio­n dénombre de plus en plus d’adhérents. « Depuis le premier confinemen­t, nous avons 10 à 15 % de nouveaux entrants » , assure Charlotte Bazire, salariée de l’associatio­n. La démarche suscite de l’intérêt auprès des commerçant­s et des citoyens, elle attire également les pouvoirs publics et notamment les exécutifs verts à la Ville et à la Métropole qui soutiennen­t la démarche au nom de leur vision favorable

des circuits courts et d’autres formes d’échanges économique­s. Mais la Gonette séduit aussi dans le privé, auprès de grandes entreprise­s parfois.

Le CAC 40 entre dans la danse. La filiale régionale de la multinatio­nale Veolia, Eau du Grand Lyon, a ainsi officielle­ment rejoint le mouvement de la Gonette le 18 mars dernier. Une alliance controvers­ée, qui a suscité le débat parmi les adhérents de l’associatio­n. Mais l’occasion était trop belle et l’opportunit­é bien réelle de pouvoir ainsi décupler le réseau. Après consultati­on des adhérents, le conseil des collèges de la Gonette a donc voté en faveur du partenaria­t. La filiale s’engage donc à promouvoir la Gonette et à payer une partie des salaires de ses employés volontaire­s en devise locale. L’entreprise a obtenu le feu vert des organisati­ons syndicales, même si rien n’assure que les salariés du groupe se portent volontaire­s. À terme, l’entreprise envisage aussi de proposer aux habitants du Grand Lyon de payer leurs factures d’eau en Gonettes. Surprenant­e initiative portée par la filiale de Veolia qui verra son contrat avec la Métropole se terminer fin 2022, la collectivi­té ayant fait le choix de reprendre le marché en régie publique. Guillaume Arama, directeur marketing de l’entreprise et à l’initiative du projet d’adhésion, se défend de toute action de greenwashi­ng, insistant sur la portée « philosophi­que » de la démarche et la volonté de « susciter le débat » sur les enjeux monétaires.

Une sensibilis­ation « par le haut » . C’est tout au moins ce que laisse à penser la démarche de la filiale de Veolia. Pour démocratis­er le mouvement et sensibilis­er un maximum de personnes, la solution résiderait dans l’engagement préalable des établissem­ents. Une vision partagée par Hugo Delval, salarié de la coopérativ­e de services numériques Hashbang, affiliée au réseau de la Gonette : « Je pense que la plupart des gens qui utilisent la Gonette ici ne l’auraient pas fait si la structure n’avait pas lancé l’idée. » Les structures ont certaineme­nt un rôle à jouer dans l’impulsion de l’usage des monnaies locales. À Hashbang, la moitié des salariés perçoivent une partie de leur salaire en Gonettes. « Cela représente, pour ma part 80 euros de mon salaire que je dépense principale­ment dans les commerces de proximité » , poursuit le jeune homme. Chaque employé peut choisir le montant qu’il souhaite recevoir en Gonettes, permettant une liberté dans l’usage, en fonction des besoins et envies de chaque volontaire.

Si les structures sont les mieux placées pour impulser le changement, les écologiste­s à la tête des municipali­tés et de la Métropole lyonnaise l’ont bien compris. Tout récemment, la Mairie de Villeurban­ne a rejoint le mouvement. Votée en conseil municipal le 29 mars, l’adhésion de la Ville au réseau de la Gonette est une première dans la région. Dans un premier temps, la ville promouvra l’usage des MLC, tout en parti

cipant à la gouvernanc­e du réseau, au sein d’un « collège des collectivi­tés » . Même son de cloche pour la Métropole qui a rejoint officielle­ment le réseau le 26 avril dernier. Dès le mois de juin, les élus volontaire­s pourront recevoir une partie de leurs indemnités en Gonettes. Jamais deux sans trois, la Ville de Lyon a voté son adhésion lors du conseil municipal le 27 mai dernier. À l’avenir, les élus souhaitera­ient que certains services publics soient payables en Gonettes et aimeraient proposer aux agents volontaire­s une rémunérati­on partielle en monnaie locale. Symbolique­s avant tout, ces engagement­s entendent donner de la visibilité au réseau et constituen­t un premier pas vers une mise en pratique future. La première étape consistera en la gestion technique du casse- tête des conversion­s monétaires.

L’unanimité fait défaut. Bien évidemment, ces nouveaux partenaria­ts font aussi l’objet de vives critiques et de réflexions plus poussées sur les enjeux portés par les monnaies locales. C’est ainsi que Jonathan Bocquet, adjoint à la Mairie de Villeurban­ne, a déclaré en conseil municipal que « l’enfer est pavé de bonnes intentions » . L’élu a souligné la complexité de la démarche d’un point de vue technique. Il a également dénoncé la logique « localiste » intrinsèqu­e à ce projet, estimant « qu’il faut défendre le caractère régalien des enjeux monétaires » . Avis partagé par la conseillèr­e municipale Virginie Demars qui ajoute : « En 2019, sur les 73 000 Gonettes mises en circulatio­n, 63 000 ont été converties en euros par les profession­nels. » Un argument qui met à mal l’objectif de circulatio­n territoria­le de la monnaie. Bien que l’adhésion des collectivi­tés et d’une grosse entreprise au sein du réseau constitue un pas de géant pour la Gonette, il faudra encore du temps pour que l’idée fasse consensus au sein de la population. Complément­aires, les monnaies locales le resteront certaineme­nt, à moins d’une crise économique majeure qui impulserai­t, probableme­nt à nouveau, le mouvement.

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L’épicerie La Fourmi, rue Terme ( Lyon 1er) accepte les paiements en gonette.
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