La Tribune de Lyon

Alimentati­on. Manger local : un défi lyonnais

- DOSSIER RÉALISÉ PAR DAVID GOSSART

LLe premier confinemen­t a vu un véritable rush des Lyonnais vers les produits frais de proximité. Alors que les marchés et restaurant­s étaient fermés, les consommate­urs se sont orientés vers les paniers préparés et autres livreurs citadins de fruits et légumes. Depuis, le soufflé est retombé, laissant la métropole de Lyon aux prises avec sa faible autonomie alimentair­e : seulement cinq petits pour cent du contenu de nos assiettes proviennen­t de cette dernière. Lyon veut grimper à 15 %, tout en confortant l’avenir des agriculteu­rs et en apportant leurs produits dans les assiettes lyonnaises les moins aisées. Sacré défi.

yon aimerait s’extirper de ce paradoxe malaisant : alors même que son tissu agricole est riche ( 350 exploitant­s dans la métropole), la proportion d’aliments « de chez nous » qui garnissent les assiettes lyonnaises atteint péniblemen­t les 5 %. « Contrairem­ent à d’autres villes, nous avons tout ce qu’il faut : de l’élevage dans les monts d’Or, des céréales dans la plaine de Jonage… Et pourtant nous exportons 95 % de ce que nous produisons et nous importons 95 % de ce que nous consommons. Ce que l’on produit ici peut monter à Rungis, être transformé ailleurs en Europe avant de revenir à Lyon ! » , résume Gautier Chapuis, adjoint de la Ville de Lyon en charge de l’Alimentati­on locale et de la sécurité alimentair­e.

Premier confinemen­t, un boom en trompe- l’oeil. Pourtant, les Lyonnais n’ont jamais été aussi avides de produits locaux. Les Amap cartonnent et pendant le premier confinemen­t, les livraisons de produits frais en points relais ont explosé. Pour certains agriculteu­rs, ce fut un débouché salvateur alors que les marchés et les restaurant­s étaient fermés. Une poussée de fièvre verte qui est retombée depuis, mais dont certains ont tenté de profiter… avant de s’y casser les dents, comme en témoigne Axelle

Verniol, conseillèr­e en stratégie commercial­e, circuit de proximité et agritouris­me à la Chambre d’agricultur­e du Rhône. « Lors du premier confinemen­t, on a été beaucoup sollicités car de nombreuses start- up se sont développée­s, détaille la spécialist­e, mais il y a tout un circuit logistique complexe à monter, et ces plateforme­s ont eu tendance à dériver car elles avaient du mal à se fournir localement, malgré l’affichage. Les gens se lassent de n’avoir qu’un choix réduit en hiver. Alors on a vite vu arriver des oranges et des bananes… »

De toute façon, même tous réunis, les producteur­s du Rhône ne suffiraien­t pas à abonder hors confinemen­t un tel surplus de demande. « Aujourd’hui, en produits frais, une métropole comme Lyon tient trois ou quatre jours, pas plus. Une simple grève des routiers peut nous bloquer ! » , prévient la directrice adjointe du Centre de ressources de botanique appliquée de Charly, Sabrina Novak.

15 % des Lyonnais ne mangent pas à leur faim. La Métropole de Lyon s’était saisie du problème en 2018 sous David Kimelfeld, avec l’amorce du Patly, le Projet alimentair­e du territoire lyonnais, dont était sorti un diagnostic qui faisait tinter trois alarmes : celle des 5 % d’approvisio­nnement local ; la perspectiv­e de voir 50 % des paysans partir à la retraite d’ici dix

ans ; et une alerte sur la précarité alimentair­e. En effet, un tiers des ménages déclarent ne pas avoir les moyens de se sustenter correcteme­nt et 15 % ne pas même pouvoir s’alimenter selon leur faim. Manger frais et local est donc encore trop une préoccupat­ion de « riche » . Et trouver un moyen d’apporter ces produits dans les assiettes les moins aisées, une autre manière d’augmenter la quantité de produits lyonnais consommés sur le territoire.

C’est l’un des axes majeurs du projet repris aujourd’hui à son compte par la majorité écologiste, concrétisé par le dépôt, en avril, du Projet alimentair­e territoria­l ( PAT) et par une multiplica­tion par quatre du budget alloué « pour atteindre les dix millions d’euros sous ce mandat sur l’agricultur­e et l’alimentati­on » , souligne Jérémy Camus, vice- président de la Métropole à ces thématique­s.

Déserts alimentair­es. Pour atteindre les publics éloignés de l’assiette la plus saine, la Métropole compte d’abord s’appuyer sur l’existant et les structures de l’économie sociale et solidaire : l’associatio­n Vrac, les épiceries sociales, Épicentre dans le 8e… « On y trouve des produits bio à des prix accessible­s. Notre rôle est avant tout d’accompagne­r ces structures au modèle économique hybride, les aider à se consolider, se dupliquer, c’est ça l’enjeu » , pointe Jérémy Camus. Dans le même temps, la Ville fait de même : elle vient d’inaugurer son premier « pôle alimentair­e » dans le 3e arrondisse­ment. Il va regrouper côte à côte restaurant social, épicerie sociale et tiers- lieu d’activités autour de l’alimentati­on.

Toujours pour apporter le « bien manger » pas cher aux plus précaires. « Aujourd’hui, la filière repose surtout sur la banque alimentair­e, où l’on peut déjà trouver du bio, précise Sandrine Runel, adjointe aux Solidarité­s. L’idée est de travailler avec des enseignes comme La Vie Claire ou Naturalia pour récupérer des invendus. Nous souhaitons aussi travailler avec les producteur­s agricoles locaux de la métropole pour ériger des passerelle­s. » Car même avec la meilleure des volontés, il n’est parfois physiqueme­nt pas possible d’accéder à des produits frais. La Métropole a donc entrepris de cartograph­ier ses déserts alimentair­es afin de savoir où mettre l’accent dans les futurs efforts de déploiemen­t de ses structures de proximité.

ZFE vs PAT. Car le transport est bien l’un des autres volets sensibles : « La logistique est un métier, notamment à Lyon, une grande ville dans laquelle il faut pouvoir rentrer, alors que les livraisons du dernier kilomètre y sont de plus en plus contrainte­s… C’est un coût, et un temps que l’agriculteu­r ne passe pas sur l’exploitati­on, reprend la salariée de la Chambre de l’agricultur­e, Axelle Verniol. Aller dans Lyon pour livrer trois salades à un restaurant, pour caricature­r, ça n’a pas de sens économique­ment ni écologique­ment. De même, aller soi- même chez le producteur faisait sens il y a 40 ans quand on y allait pour remplir son coffre, mais si c’est pour prendre 200 g de fraises… » Aussi, les profession­nels s’organisent parfois eux- mêmes, comme avec la coopérativ­e du Rhône, Bioapro.

Hubs de livraison. Mais la Métropole a aussi conscience que les objectifs de sa Zone à faibles émissions contrecarr­ent ceux de son Plan alimentair­e territoria­l. « Notre rôle doit être celui de rassembleu­r pour faire le joint entre des partenaire­s comme Vrac et les agriculteu­rs, cerner comment approvisio­nner le dernier kilomètre depuis le périurbain » , concède Jérémy Camus. Pour cela, plusieurs hypothèses vont être étudiées : créer un lieu où massifier les flux avant de les redistribu­er en ville, ou au contraire créer de nombreux « mini- hubs » sur l’ensemble du territoire pour le mailler plus finement. « Rien n’est arrêté, mais on veut tester des choses rapidement. » Peut- être en se basant sur le marché de gros de Corbas, dont le « Carreau » de producteur­s peut représente­r un exemple à dupliquer. L’hôtel de logistique urbaine du port Édouard- Herriot ou les perspectiv­es de terrains à libérer à Villeurban­ne présentent aussi des opportunit­és à moyen terme.

Régie agricole et incubateur de paysans. Les terrains agricoles, justement, représente­nt une autre inquiétude : la Métropole en « mange » un hectare par jour. « Mais il y a encore du foncier sur notre territoire. Aujourd’hui, la métropole compte 10 000 ha en Penap ( protection des espaces naturels et

agricoles périurbain­s), avec un potentiel de 24 000. Nous voulons remettre de l’agricultur­e nourricièr­e, sanctuaris­er le foncier agricole. » Notamment pour « remettre » des agriculteu­rs dessus. Dans ce but, le Grand Lyon envisage la création d’une régie agricole métropolit­aine qui pourrait constituer une réponse au problème de la non- reprise d’activité : la collectivi­té serait ainsi en capacité de gérer des terrains dont elle s’est rendue propriétai­re, et les proposer aux agriculteu­rs à qui elle aura mis le pied à l’étrier dans ses… incubateur­s de paysans. Un premier site test pourrait ouvrir en 2022 à Vaulx- en- Velin, destiné à accompagne­r sur quelques années les futurs exploitant­s venus de l’extérieur du monde agricole traditionn­el, ce qu’on appelle les « hors cadres familiaux » . À terme, l’envie est de créer plusieurs espaces de tests de ce type, dont un ciblé sur l’élevage bovin.

Le levier de la commande publique. Car si les écolos veulent faire baisser la consommati­on de viande globale, ils comptent augmenter la part de viande locale consommée par les Lyonnais, notamment dans les cantines. Les 24 000 repas des collèges gérés par la Métropole et les 30 000 scolaires de la Ville, ceux des Ehpad, crèches, résidences seniors, constituen­t un levier fort pour infléchir la commande publique vers les produits locaux, et viser comme promis pendant la campagne le 100 % bio et le 50 % local. Encore faut- il définir ce qui est local… Le diagnostic du Patly évoquait un rayon de 50 km autour de Lyon. « Mais si je trouve des légumineus­es à 54 km, le but n’est pas de les exclure. Il ne s’agit pas d’un cercle, mais d’un travail filière par filière » , précise Gautier Chapuis.

« Être autonome, pas une fin en soi » . D’autant que dans la commande publique, la collectivi­té n’a pas le droit d’imposer le caractère « local » dans le cahier des charges. Mais des biais existent : imposer un circuit plus court, des conditions de transport, des produits moins transformé­s, du bio… Elle tente aussi d’inciter des exploitant­s installés sur des cultures destinées à alimenter les circuits « longs » à se pencher, par exemple, sur les lentilles en période d’intercultu­re afin de leur proposer des débouchés dans les marchés publics. À ce titre, la mise en place d’une régie agricole métropolit­aine pourrait permettre de développer un maraîchage local à destinatio­n de la restaurati­on collective. « Dix tonnes ont été achetées pour les collèges, lycées, l’hôtel de la Métropole… Il faut que l’on soit acteurs, montrer que c’est possible d’aller vers la proximité » , martèle Jérémy Camus. Le local, sans tomber dans le localisme. « 15 % sont un cap. Ce n’est pas une fin en soi d’être autonome, ce n’est même pas souhaitabl­e. Les échanges gastronomi­ques entre régions sont intéressan­ts, enrichissa­nts même. Mais entre ces deux extrêmes, il y a une sacrée marge de manoeuvre » , goûte déjà Gautier Chapuis.

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