Alimentation. Manger local : un défi lyonnais
LLe premier confinement a vu un véritable rush des Lyonnais vers les produits frais de proximité. Alors que les marchés et restaurants étaient fermés, les consommateurs se sont orientés vers les paniers préparés et autres livreurs citadins de fruits et légumes. Depuis, le soufflé est retombé, laissant la métropole de Lyon aux prises avec sa faible autonomie alimentaire : seulement cinq petits pour cent du contenu de nos assiettes proviennent de cette dernière. Lyon veut grimper à 15 %, tout en confortant l’avenir des agriculteurs et en apportant leurs produits dans les assiettes lyonnaises les moins aisées. Sacré défi.
yon aimerait s’extirper de ce paradoxe malaisant : alors même que son tissu agricole est riche ( 350 exploitants dans la métropole), la proportion d’aliments « de chez nous » qui garnissent les assiettes lyonnaises atteint péniblement les 5 %. « Contrairement à d’autres villes, nous avons tout ce qu’il faut : de l’élevage dans les monts d’Or, des céréales dans la plaine de Jonage… Et pourtant nous exportons 95 % de ce que nous produisons et nous importons 95 % de ce que nous consommons. Ce que l’on produit ici peut monter à Rungis, être transformé ailleurs en Europe avant de revenir à Lyon ! » , résume Gautier Chapuis, adjoint de la Ville de Lyon en charge de l’Alimentation locale et de la sécurité alimentaire.
Premier confinement, un boom en trompe- l’oeil. Pourtant, les Lyonnais n’ont jamais été aussi avides de produits locaux. Les Amap cartonnent et pendant le premier confinement, les livraisons de produits frais en points relais ont explosé. Pour certains agriculteurs, ce fut un débouché salvateur alors que les marchés et les restaurants étaient fermés. Une poussée de fièvre verte qui est retombée depuis, mais dont certains ont tenté de profiter… avant de s’y casser les dents, comme en témoigne Axelle
Verniol, conseillère en stratégie commerciale, circuit de proximité et agritourisme à la Chambre d’agriculture du Rhône. « Lors du premier confinement, on a été beaucoup sollicités car de nombreuses start- up se sont développées, détaille la spécialiste, mais il y a tout un circuit logistique complexe à monter, et ces plateformes ont eu tendance à dériver car elles avaient du mal à se fournir localement, malgré l’affichage. Les gens se lassent de n’avoir qu’un choix réduit en hiver. Alors on a vite vu arriver des oranges et des bananes… »
De toute façon, même tous réunis, les producteurs du Rhône ne suffiraient pas à abonder hors confinement un tel surplus de demande. « Aujourd’hui, en produits frais, une métropole comme Lyon tient trois ou quatre jours, pas plus. Une simple grève des routiers peut nous bloquer ! » , prévient la directrice adjointe du Centre de ressources de botanique appliquée de Charly, Sabrina Novak.
15 % des Lyonnais ne mangent pas à leur faim. La Métropole de Lyon s’était saisie du problème en 2018 sous David Kimelfeld, avec l’amorce du Patly, le Projet alimentaire du territoire lyonnais, dont était sorti un diagnostic qui faisait tinter trois alarmes : celle des 5 % d’approvisionnement local ; la perspective de voir 50 % des paysans partir à la retraite d’ici dix
ans ; et une alerte sur la précarité alimentaire. En effet, un tiers des ménages déclarent ne pas avoir les moyens de se sustenter correctement et 15 % ne pas même pouvoir s’alimenter selon leur faim. Manger frais et local est donc encore trop une préoccupation de « riche » . Et trouver un moyen d’apporter ces produits dans les assiettes les moins aisées, une autre manière d’augmenter la quantité de produits lyonnais consommés sur le territoire.
C’est l’un des axes majeurs du projet repris aujourd’hui à son compte par la majorité écologiste, concrétisé par le dépôt, en avril, du Projet alimentaire territorial ( PAT) et par une multiplication par quatre du budget alloué « pour atteindre les dix millions d’euros sous ce mandat sur l’agriculture et l’alimentation » , souligne Jérémy Camus, vice- président de la Métropole à ces thématiques.
Déserts alimentaires. Pour atteindre les publics éloignés de l’assiette la plus saine, la Métropole compte d’abord s’appuyer sur l’existant et les structures de l’économie sociale et solidaire : l’association Vrac, les épiceries sociales, Épicentre dans le 8e… « On y trouve des produits bio à des prix accessibles. Notre rôle est avant tout d’accompagner ces structures au modèle économique hybride, les aider à se consolider, se dupliquer, c’est ça l’enjeu » , pointe Jérémy Camus. Dans le même temps, la Ville fait de même : elle vient d’inaugurer son premier « pôle alimentaire » dans le 3e arrondissement. Il va regrouper côte à côte restaurant social, épicerie sociale et tiers- lieu d’activités autour de l’alimentation.
Toujours pour apporter le « bien manger » pas cher aux plus précaires. « Aujourd’hui, la filière repose surtout sur la banque alimentaire, où l’on peut déjà trouver du bio, précise Sandrine Runel, adjointe aux Solidarités. L’idée est de travailler avec des enseignes comme La Vie Claire ou Naturalia pour récupérer des invendus. Nous souhaitons aussi travailler avec les producteurs agricoles locaux de la métropole pour ériger des passerelles. » Car même avec la meilleure des volontés, il n’est parfois physiquement pas possible d’accéder à des produits frais. La Métropole a donc entrepris de cartographier ses déserts alimentaires afin de savoir où mettre l’accent dans les futurs efforts de déploiement de ses structures de proximité.
ZFE vs PAT. Car le transport est bien l’un des autres volets sensibles : « La logistique est un métier, notamment à Lyon, une grande ville dans laquelle il faut pouvoir rentrer, alors que les livraisons du dernier kilomètre y sont de plus en plus contraintes… C’est un coût, et un temps que l’agriculteur ne passe pas sur l’exploitation, reprend la salariée de la Chambre de l’agriculture, Axelle Verniol. Aller dans Lyon pour livrer trois salades à un restaurant, pour caricaturer, ça n’a pas de sens économiquement ni écologiquement. De même, aller soi- même chez le producteur faisait sens il y a 40 ans quand on y allait pour remplir son coffre, mais si c’est pour prendre 200 g de fraises… » Aussi, les professionnels s’organisent parfois eux- mêmes, comme avec la coopérative du Rhône, Bioapro.
Hubs de livraison. Mais la Métropole a aussi conscience que les objectifs de sa Zone à faibles émissions contrecarrent ceux de son Plan alimentaire territorial. « Notre rôle doit être celui de rassembleur pour faire le joint entre des partenaires comme Vrac et les agriculteurs, cerner comment approvisionner le dernier kilomètre depuis le périurbain » , concède Jérémy Camus. Pour cela, plusieurs hypothèses vont être étudiées : créer un lieu où massifier les flux avant de les redistribuer en ville, ou au contraire créer de nombreux « mini- hubs » sur l’ensemble du territoire pour le mailler plus finement. « Rien n’est arrêté, mais on veut tester des choses rapidement. » Peut- être en se basant sur le marché de gros de Corbas, dont le « Carreau » de producteurs peut représenter un exemple à dupliquer. L’hôtel de logistique urbaine du port Édouard- Herriot ou les perspectives de terrains à libérer à Villeurbanne présentent aussi des opportunités à moyen terme.
Régie agricole et incubateur de paysans. Les terrains agricoles, justement, représentent une autre inquiétude : la Métropole en « mange » un hectare par jour. « Mais il y a encore du foncier sur notre territoire. Aujourd’hui, la métropole compte 10 000 ha en Penap ( protection des espaces naturels et
agricoles périurbains), avec un potentiel de 24 000. Nous voulons remettre de l’agriculture nourricière, sanctuariser le foncier agricole. » Notamment pour « remettre » des agriculteurs dessus. Dans ce but, le Grand Lyon envisage la création d’une régie agricole métropolitaine qui pourrait constituer une réponse au problème de la non- reprise d’activité : la collectivité serait ainsi en capacité de gérer des terrains dont elle s’est rendue propriétaire, et les proposer aux agriculteurs à qui elle aura mis le pied à l’étrier dans ses… incubateurs de paysans. Un premier site test pourrait ouvrir en 2022 à Vaulx- en- Velin, destiné à accompagner sur quelques années les futurs exploitants venus de l’extérieur du monde agricole traditionnel, ce qu’on appelle les « hors cadres familiaux » . À terme, l’envie est de créer plusieurs espaces de tests de ce type, dont un ciblé sur l’élevage bovin.
Le levier de la commande publique. Car si les écolos veulent faire baisser la consommation de viande globale, ils comptent augmenter la part de viande locale consommée par les Lyonnais, notamment dans les cantines. Les 24 000 repas des collèges gérés par la Métropole et les 30 000 scolaires de la Ville, ceux des Ehpad, crèches, résidences seniors, constituent un levier fort pour infléchir la commande publique vers les produits locaux, et viser comme promis pendant la campagne le 100 % bio et le 50 % local. Encore faut- il définir ce qui est local… Le diagnostic du Patly évoquait un rayon de 50 km autour de Lyon. « Mais si je trouve des légumineuses à 54 km, le but n’est pas de les exclure. Il ne s’agit pas d’un cercle, mais d’un travail filière par filière » , précise Gautier Chapuis.
« Être autonome, pas une fin en soi » . D’autant que dans la commande publique, la collectivité n’a pas le droit d’imposer le caractère « local » dans le cahier des charges. Mais des biais existent : imposer un circuit plus court, des conditions de transport, des produits moins transformés, du bio… Elle tente aussi d’inciter des exploitants installés sur des cultures destinées à alimenter les circuits « longs » à se pencher, par exemple, sur les lentilles en période d’interculture afin de leur proposer des débouchés dans les marchés publics. À ce titre, la mise en place d’une régie agricole métropolitaine pourrait permettre de développer un maraîchage local à destination de la restauration collective. « Dix tonnes ont été achetées pour les collèges, lycées, l’hôtel de la Métropole… Il faut que l’on soit acteurs, montrer que c’est possible d’aller vers la proximité » , martèle Jérémy Camus. Le local, sans tomber dans le localisme. « 15 % sont un cap. Ce n’est pas une fin en soi d’être autonome, ce n’est même pas souhaitable. Les échanges gastronomiques entre régions sont intéressants, enrichissants même. Mais entre ces deux extrêmes, il y a une sacrée marge de manoeuvre » , goûte déjà Gautier Chapuis.