Flaye, à la recherche de l’absolu
Discret et sensible, l’artiste Flaye crée des oeuvres à partir de représentations symboliques dans son atelier croix- roussien.
Antoine Pariset, maraîcher à Orliénas, représentant de la Confédération paysanne du Rhône.
Dans quel état la profession sortelle des confinements et du violent épisode de gel ?
Beaucoup d’entre nous souffrent moralement comme financièrement. On réfléchit à la manière d’adapter nos productions à ces enjeux.
Craignez- vous des conséquences à long terme ?
La grande crise, c’est que plus personne ne veut s’installer en culture du fruit. Les conditions météorologiques sont de pire en pire. On ne peut plus faire deux saisons correctes d’affilée ! Dans dix ans ou moins, il n’y aura plus de cerises, de pommes, de poires ou de pêches qui viennent du Rhône. C’est un enjeu majeur.
Lié d’ailleurs aux problèmes de succession que connaît la filière agricole…
Beaucoup préfèrent vendre le terrain en constructible, car ils ont une retraite de misère. Le mètre carré constructible, c’est 40 fois le mètre carré agricole ! L’agglomération lyonnaise nous permet de vendre notre production mais nous prend aussi des terroirs. Tous les agriculteurs sont confrontés à la spéculation foncière. Si l’on veut favoriser la production locale, il faut stopper la bétonnisation des terres.
Le boom des produits locaux lors du premier confinement a- t- il apporté une bouffée d’oxygène à des productions en manque de débouchés ? Et est- elle durable ? Cela a mis notre travail en valeur. Mais il ne fallait pas être dupe non plus. Ça a surtout permis de montrer que la production de fruits, légumes et viande était largement insuffisante pour subvenir à nos besoins en local. Lyon et la vallée du Rhône sont pourtant de grands bassins de production, mais l’on n’arrivait pas à abonder. On manque de paysans et de producteurs.
Le circuit de proximité rémunère- t- il forcément mieux ?
La rémunération se fait si le client est prêt à mettre le prix. La vente directe peut permettre de payer correctement le travail. Mais il y a des clients qui ne veulent pas payer plus cher pour du local. Et à l’inverse, en circuit long, on trouve des réseaux d’achat qui jouent le jeu à bon prix. Ce n’est pas une crise de vocation, mais une crise du prix. Nous sommes en concurrence européenne avec des produits qui ne sont pas soumis aux mêmes charges. En France, un produit sain est un produit cher. Entendons- nous bien, c’est une bonne chose d’avoir des charges sociales, car le Smic, c’est quand même le minimum pour quelqu’un qui passe sa journée le dos courbé. Mais cette concurrence détruit l’agriculture à taille humaine, celle justement qui est proche de Lyon.
Que pensez- vous de la volonté de Lyon d’augmenter son autonomie alimentaire ?
L’une des questions, c’est comment faire pour que les agriculteurs locaux puissent avoir accès aux marchés publics qui leur sont inaccessibles pour l’instant, par exemple la cuisine centrale de Lyon. Le constat, c’est que tant qu’elle ne sera pas en régie publique, ce sera toujours un certain type de produits issus de l’agriculture intensive ou industrielle. L’intérêt d’Elior, le prestataire actuel, est d’avoir un seul interlocuteur par produit acheté. Si on veut des petits producteurs, on a besoin d’un acheteur d’accord pour passer plus de temps avec 10 ou 12 agriculteurs pour fournir le même volume. Une régie publique pourrait le faire plus aisément, mais c’est un travail de sept ou huit ans en amont du prochain marché public. On applaudit des deux mains la volonté, mais tant que ce n’est pas suivi d’actes, c’est un voeu pieu.
Hari & Co, c’est le spécialiste lyonnais des pois chiches, lentilles transformées en boulettes, galettes… Fournisseur des cantines et de la restauration collective, il s’est lancé il y a un an dans les rayons de la grande distribution. Jusqu’à cette année, l’ensemble des 300 tonnes de légumineuses nécessaires venait de coopératives de l’ouest de la France. Le tout, en camion. Alors l’entreprise a enclenché des moyens pour courber l’aspect négatif de son commerce. « On veut être acteurs de la relocalisation agricole et d’une décarbonation de l’alimentation. Il fallait diminuer le transport depuis le champ vers l’atelier de production » , pose le jeune patron Benoît Plisson. Désormais, l’atelier de fabrication de la Drôme reçoit également ses matières premières d’une dizaine de producteurs de la région Aura. « Ça représente 50 ha. Ils sont en moyenne à 90 km de notre atelier. L’idée en 2021 est que cela représente 20 % de nos volumes. » Hari & Co entend en outre traiter ses fournisseurs de la manière la plus équitable possible, notamment en partageant les risques : il les rémunère un peu plus que d’habitude pour amorcer la filière, couvrir d’éventuelles erreurs techniques. « On avance aussi la moitié des charges pour les semences. L’idée est de mettre en place une sorte de commerce équitable Nord- Nord, où le coût n’est pas répercuté sur le prix au consommateur, et d’arriver à une équation où l’agriculteur dégage suffisamment de marge. » Reste une inconnue dans cette équation : les grandes et moyennes surfaces. « Le prix est clairement un sujet avec la grande distribution. Aujourd’hui, ce n’est pas simple dans les négociations. J’espère qu’ils ne nous serreront pas les prix de manière abusive, sinon le modèle ne pourra pas tenir. »
Le président de la Métropole Bruno Bernard et son viceprésident Jérémy Camus étaient le 7 mai en visite à Irigny, au sein de l’exploitation de Vincent Janod et Rémi Delesalle, l’EARL Les Pommières. Les deux salariés y cultivent dix hectares de vergers, dont huit en Penap ( espaces dédiés à la protection des espaces naturels et agricoles périurbains). Y poussent pommes, poires, coings, abricots, pêches que les agriculteurs transforment en jus, nectars, compotes… Ils favorisent les produits transformés qu’ils peuvent ainsi vendre plus cher d’autant que, écoulant leur stock dans un magasin de producteurs, ils peuvent fixer eux- mêmes leurs prix. La Métropole a justement participé au financement d’un entrepôt de 1 400 m2 pour le pressage et l’embouteillage. 90 % de leur production est vendue dans le magasin de producteurs des monts du Lyonnais à Beauvallon, et 10 % dans diverses boutiques à Lyon, Villeurbanne et Caluire. « C’est intéressant d’être dans la métropole pour la proximité des marchés, mais je mets moins de temps à aller à Beauvallon qu’à Caluire ou Villeurbanne. »
Si l’exploitation est accompagnée par l’Ardab ( Association Rhône- Loire pour le développement de l’agriculture biologique) afin de tendre vers le bio, en récolter le label ne sera pas chose aisée. « On y est presque. Mais toutes les parcelles du plateau sont imbriquées : soit tout le monde passe bio, soit personne » , puisqu’une exploitation bio doit se trouver à une distance minimale d’une autre non bio. Ce qui les prive de la possibilité de vendre leurs produits aux cantines des collèges de la Métropole par exemple.
« Je comprends leur volonté d’emmener tout le monde vers le bio, mais la priorité c’est d’asseoir un certain nombre d’exploitations, de créer des contrats d’approvisionnement régulier avec des promesses d’achat d’une certaine quantité. On peut toujours aller voir les gens pour tendre vers le bio. Mais d’abord, il faut des agriculteurs. »
Quels produits frais garniront demain les assiettes des Lyonnais ? Peut- être des melons du Caucase. Le Centre de ressources de botanique appliquée ( CRBA) de Charly et sa ferme Melchior travaillent à identifier les légumes qui sauront résister au temps que nous prépare le dérèglement climatique. Tant à partir d’anciens légumes lyonnais, que le centre tente de réhabiliter, que par le biais de nouvelles espèces cultivées partout sur le globe et qui pourraient, in fine, s’adapter à nos territoires en transformation.
Nombre d’anciens fruits et légumes jadis produits à Lyon ont été poussés hors des étals et rayons uniformisés car peu adaptés, trop petits… Grâce à son partenariat avec l’Institut de ressources génétiques végétales Vavilov de Saint- Pétersbourg, une petite centaine de variétés lyonnaises sur les 270 retrouvées ont pu être rapatriées. Tomate de Beaurepaire, courge romaine de l’Ain, haricot nain lyonnais, navet noir de Caluire ou pois hâtif d’Annonay…
Le programme « Légumes anciens, saveurs d’ici » tente de les réintroduire. Le piment de Bresse a été par exemple adopté par le chef Christian Têtedoie, et le poivron d’Ampuis s’est frayé un chemin dans les paniers des Amap. Mais l’avenir réserve probablement aux assiettes lyonnaises des produits plus exotiques. Pour les dénicher, le CRBA doit parfois aller à l’autre bout du monde comme au Sud Caucase où, malgré des étés parfois à + 52 ° C, melons et pastèques résistent. « Ils poussent alors même que le stress hydrique interrompt normalement la croissance ! » , s’épate Sabrina Novak, directrice adjointe du CRBA. Un profil idéal sur le papier pour transférer ces semences dans une région lyonnaise que l’on annonce en 2030 accablée par le climat d’Alger ou de Madrid. Mais cette caractéristique est loin d’être la seule pour remplir le cahier des charges des produits frais de demain. Il en faudra trois : ils devront être résistants aux amplitudes thermiques, sans intrants chimiques, et « dotés de qualités nutritionnelles mesurées et avérées. C’est le nerf de la guerre. On se nourrit pour vivre. Les pommes des années 1950 avaient 100 fois plus de vitamines C que les variétés contemporaines. Que fait- on avec celles d’aujourd’hui ? On en mange cent fois plus. »
Fermes semencières. Une fois ces barrières franchies, restera encore aux futures espèces candidates au terroir lyonnais à faire leurs preuves gustatives auprès de chefs invités ou du grand public. Elles devront aussi être en capacité de se voir produites en pleine terre sur les terrains métropolitains, sans contracter de maladie, en respectant la charte du bio, et en atteignant des volumes suffisants. Malgré tout cela, certaines variétés se montrent prometteuses, comme la tomate « russe » , le sorgho, ou le tétragone, une sorte d’épinard d’été. Avec la Métropole de Lyon, le CRTBA développe en outre le programme « Semeurs de la Métropole » , un concept de ferme semencière où de nouvelles espèces seront testées, introduites auprès des incubateurs de paysans avec pour idée, au final, de voir ces nouvelles semences réintroduites en grand volume dans les plats lyonnais.
Ces fruits et légumes lyonnais en test La métropole a été l’un des principaux centres d’innovation agricole en Europe au XIXe siècle. En sont nées près de 40 000 espèces de fleurs, fruits, légumes… Le volet reconstitution du patrimoine du CRBA « relève parfois de l’enquête policière et prend plusieurs années de recherche ! » , s’amuse Sabrina Novak, sa directrice adjointe. Ainsi du devenir du melon de Pierre- Bénite, dont la trace a été perdue, « mais pour lequel nous avons une piste » . La laitue de Pierre- Bénite, elle, existe encore dans des champs de la métropole, alors que le poireau bleu de Solaise est en voie d’extinction : aux dernières nouvelles, un seul agriculteur le produisait encore.
Voici une sélection des variétés de légumes et fruits patrimoniaux retrouvés, et testés auprès des maraîchers :
LÉGUMES
Courge blanche de Lyon Courge romaine de l’Ain Haricot beurre nain des monts d’Or Haricot lyonnais
Haricot noir d’Évian
Tomate Beaurepaire Tomate Saint- André
Navet noir de Caluire
Piment de Bresse
FRUITS
Poirier Souvenir du congrès Poirier précoce de Trévoux Prunier Reine Claude d’Oullins Pommier Cusset Pommier Calville du Mont d’Or Cerisier bigarreau noir d’Écully Cerisier bigarreau Moreau Pêcher Guilloux élégante Pêcher Gaillard- Girerd Abricotier Liabaud
Prune Marcelle Chasset
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Tout a démarré comme ça, sur un coup d’éclat. J’avais 20 ans. » De sa voix grave et posée, Flaye évoque ses débuts en peinture, 40 ans plus tôt. Après avoir baroudé à travers le monde, le jeune homme est rentré dans sa Haute- Loire natale et, face à la toile blanche, a retrouvé la même énergie que lors de son voyage, la même quête, le même rapport au monde.
Plusieurs décennies plus tard, l’artiste discret a fait du chemin avec plus d’une cinquante d’expositions au compteur, en France mais aussi à l’étranger où il reçoit bien souvent beaucoup plus de reconnaissance que dans son propre pays. Mais le peintre ne cherche pas à briller. « J’ai fait mon chemin avec le public, avec les gens » , pose- t- il. L’important pour lui est de continuer à créer, à interroger l’univers qui nous entoure, ses origines, son interdépendance. « Je suis dans une quête d’absolu » , résume- t- il. Dans son atelier niché dans une rue intimiste du haut des Pentes, les toiles qui ornent les murs semblent se répondre en écho. Dans son monde entre terre et ciel, quatre éléments symboliques reviennent : l’astre, l’oiseau, la fleur et le témoin ( le Toumi, un personnage totémique). « Je jongle avec eux. C’est ma grammaire » , souligne- t- il.
Trois mois au Népal. Chaque été, Flaye retourne en Haute- Loire ( Le Brignon) où il tient une exposition dans laquelle il dévoile ses dernières créations. L’occasion aussi pour lui d’être en connexion directe avec son public. Juste avant la pandémie, l’artiste, aujourd’hui âgé de 64 ans, s’est lancé un défi de taille : écrire ses mémoires. « Je suis un peu dyslexique : écrire, c’est une terreur pour moi. »
Alors pour composer ses quelque 300 pages dans lesquelles il retrace son cheminement, Flaye s’est exilé trois mois au Népal avec une discipline de fer ( écriture quotidienne, relecture par des proches...) qui lui a permis de dépasser les obstacles. « Le Népal, c’est un vieux rêve de gamin et symboliquement, on est sous le toit du monde » , sourit- il. Son tout premier livre Mémoires d’Art a ainsi été autopublié l’année dernière et la réalisatrice Marie Monier l’a même rejoint à la fin de son séjour pour tourner le documentaire L’insatiable quête.
Et pour la suite ? « Je n’ai pas d’ambition forte si ce n’est que de produire mon travail » , répond humblement Flaye qui ne s’interdit pas de rêver à l’écriture d’un deuxième ouvrage.
flaye. fr. Mémoires d’Art,
« J’ai fait mon chemin avec le public, avec les gens. »