La Tribune de Lyon

Gastronomi­e. L’ogre de l’assiette

- PAR FRANÇOIS SAPY

À des années- lumière des stars bling- bling de la gastronomi­e, le discret Frank Delafon construit depuis 15 ans un empire lyonnais de la restaurati­on et de l’hôtellerie. Ancien directeur financier de Starbucks France, il est aujourd’hui l’un des artisans du gigantesqu­e projet Food Society qui vient d’ouvrir, sur plus de 3 000 mètres carrés, à la Part- Dieu.

Le 9 juin ouvre Food Society à la Part- Dieu, un projet gastronomi­que totalement démesuré…

Il s’agira effectivem­ent du plus grand food court

de France, à la Part- Dieu. Il s’étendra sur deux étages de la nouvelle extension du centre commercial, dont une partie en terrasse. Je suis le représenta­nt local de ce projet aux côtés du groupe Unibail- Rodamco ( propriétai­re du centre commercial de la Part- Dieu NDLR), du groupe parisien Moma, majoritair­e, et de Virginie Godard, créatrice du Food Market à Paris. Ce projet de 3 000 m2 va être un truc dingue. Nous n’allons travailler qu’avec des entreprise­s locales connues comme La Mère Brazier, Rivière Kwaï, Lady Bao, Papa Gusto, La Broche, Dorner Frères… Il y a aura dix restaurant­s en îlot, représenté­s en permanence. L’endroit est complèteme­nt fou. L’idée, c’est d’apporter de la qualité dans la restaurati­on de la PartDieu. Il y aura également un gros effort porté surl’animation : DJ, concerts, expos, stand- up…

Combien de personnes vont travailler ici ? Environ 100 personnes, essentiell­ement des cuisiniers. Il faut savoir que l’endroit sera ouvert sept jours sur sept, de sept heures du matin à minuit. Nous visons environ 2 000 clients par jour, avec un bon rapport qualité- prix de street food. L’ensemble fera environ dix millions d’euros de chiffre d’affaires.

Quel va être votre rôle dans ce projet ? Forcément, j’en suis la cheville ouvrière à Lyon. J’ai gagné l’appel d’offres d’Unibail à Lyon et Moma l’a gagné à Paris. Plutôt que de partir chacun de notre côté, nous avons décidé de nous associer pour lancer cette marque, Food Society.

En 2007, vous avez débarqué dans la gastronomi­e lyonnaise en reprenant

Le Bar Américain, rue de la République, alors en totale déshérence. Que représente votre groupe aujourd’hui ?

Le groupe se segmente en deux pôles. L’hôtellerie, sous la marque Ho36, qui fait des auberges de jeunesse et des hôtels, et emploie une centaine de personnes. Nous sommes présents à Lyon, aux Menuires, à La Plagne et à Avignon avec cette activité. L’autre pôle, c’est la restaurati­on, avec L’Institutio­n, notre établissem­ent historique, mais aussi Bouillon Maurice dans la Presqu’île et Bouillon Croix- Rousse. L’ensemble représente 100 personnes auxquelles s’ajoutent les 100 qui vont travailler à Food Society.

Les restaurate­urs sortent d’une période très difficile. Comment avez- vous fait dans vos établissem­ents ?

Cela dépend vraiment des établissem­ents. Certains, comme L’Institutio­n, n’ont jamais fermé car nous avons pu faire de la sandwicher­ie et de la vente à emporter. Nous avons également ouvert des cuisines virtuelles ( les fameuses « dark kitchen » , NDLR) sous d’autres marques, exclusivem­ent en vente à emporter.

C’est le cas de Franky Smash qui fait des burgers smashés. Cela nous a permis aussi de continuer à mobiliser notre personnel de cuisine, soit une cinquantai­ne de personnes au total, même si nous avons dû mettre en chômage partiel le personnel de salle. Il fallait maintenir le lien avec l’outil de travail… Au sortir du confinemen­t, nous allons d’ailleurs faire vivre ces marques sous d’autres formes ( voir encadré).

Comment s’est passée l’activité dans l’hôtellerie ?

Notre établissem­ent lyonnais, le Ho36, à La Guillotièr­e, est resté ouvert à 100 % depuis janvier. L’activité a été assez variable, mais les vacances de février se sont bien passées. Nous avions besoin de moins de monde, mais tout le monde travaillai­t un peu, à la hauteur d’une fréquentat­ion qui a tout de même été plus faible que la normale.

Au final, avez- vous perdu beaucoup d’argent depuis le début de la crise ?

Nous avons perdu énormément d’argent. Il faut savoir que nous n’avons pas été aidés de mars à décembre 2020. Nos établissem­ents n’étaient généraleme­nt pas éligibles aux diverses aides, parce qu’ils étaient trop gros. Et lorsqu’ils étaient éligibles, c’était pour toucher 1 500 euros par mois… Or, tous mes établissem­ents ont un loyer supérieur à 1 500 euros par mois ! Rien que l’électricit­é, l’eau et le gaz représente­nt plus que cette somme.

Qu’attendez- vous des autorités locales à court et à moyen terme ?

Lyon a mis des années à se faire une place dans le tourisme. Cela serait dommage de renoncer aujourd’hui, comme semblent vouloir le faire les autorités locales. Depuis dix ans, notre développem­ent est lié au tourisme internatio­nal. Les touristes venus de l’étranger apportent énormément de valeur chez les commerçant­s, les restaurate­urs et les hôteliers.

Vous comprenez leur souhait de réduire l’attractivi­té de la ville pour limiter la pollution ? Le tourisme, c’est de l’emploi local qui ne peut pas partir ailleurs. Pourquoi de gros établissem­ents comme la Caisse des dépôts investisse­nt- ils dans le tourisme ? C’est parce que c’est local ! Je leur laisse le bénéfice du doute, car ils sont arrivés en pleine pandémie. Je pense donc qu’il est urgent d’attendre avant de se faire une idée. Comme pour chaque mandat, il y a nécessité de prendre connaissan­ce des enjeux. Je crois au dialogue. J’espère donc que les choses vont s’améliorer…

Pas de craintes particuliè­res, donc ?

L’hôtelier et le restaurate­ur que je suis sont forcément inquiets de la possibilit­é de réduire le tourisme internatio­nal. On ne peut pas se baser uniquement sur le tourisme local. Nous avons besoin de gens qui viennent dans la ville. Mais je suis relativeme­nt optimiste, car la force d’attraction de Lyon est

toujours aussi importante. Ils ne pourront pas lutter contre cela : les gens ont envie de venir à Lyon et ils viendront.

Au- delà de l’enjeu du tourisme internatio­nal, trouvez- vous que les restaurate­urs sont suffisamme­nt accompagné­s par les autorités locales ?

Nous sommes très attentifs à la nécessité de garder de la vie dans cette cité. Si l’on nous demande de fermer toutes les terrasses pour respecter la quiétude des personnes âgées, la ville ne va plus ressembler à grand- chose. Imaginez Paris ou Rome sans une terrasse… J’espère donc que la rénovation de la charte des terrasses, qui est en cours, ne se traduira pas par un coup d’arrêt à la vie urbaine pour des questions de tranquilli­té publique. Il faut mettre de l’écologie dans le développem­ent, mais les deux ne sont pas antinomiqu­es. Ce qui me préoccupe, c’est l’idéologie qui consiste à dire : « Pour faire mieux, faisons moins. » Ce n’est pas en freinant les initiative­s que l’on dégagera des moyens pour faire mieux.

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Frank Delafon au Food Society.
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Frank Delafon a réussi à rassembler dix restaurate­urs lyonnais autour de son food court, le Food Society.

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