La Tribune de Lyon

L’incroyable faune lyonnaise

- DOSSIER RÉALISÉ PAR ROMAIN DESGRAND

Il n’y a pas que des rats et des pigeons qui vivent dans les rues de Lyon. Oiseaux rares, serpents et autres reptiles nocturnes logent aussi au pied de nos immeubles. Malgré le bitume, certaines espèces parfois surprenant­es s’adaptent. Mais l’équilibre entre l’agitation urbaine et la vie sauvage reste fragile. Pour changer les regards sur la cohabitati­on avec le monde animal et préserver la biodiversi­té en ville, plusieurs initiative­s émergent.

Des fouines à la Croix- Rousse, des castors sur les berges du Rhône et des serpents dans le quartier le plus peuplé de Lyon. Tout aussi étonnant que cela puisse paraître, ces espèces vivent bien toutes proches de nous. Et bien d’autres encore. « Dans toute la ville, il y a toute une petite faune cachée qui ne demande qu’à être découverte » , s’amuse Patrice Franco, directeur de la LPO du Rhône ( Ligue pour la protection des oiseaux). Souvent discrets, ces citadins inattendus sortent parfois la nuit pour chasser lorsque les moteurs des voitures s’arrêtent et que les lumières s’estompent. D’autres parviennen­t à rejoindre le centre- ville en suivant des trames vertes, les corridors biologique­s. Même dans le 1er arrondisse­ment de Lyon, le quartier à la plus forte densité humaine de la ville, couleuvres, salamandre­s de feu et geckos arrivent à se faire une place. En 2019, l’associatio­n Des Espèces Parmi’Lyon a initié dans les pentes de la Croix- Rousse un inventaire participat­if baptisé Plan d’implicatio­n des citadins pour la biodiversi­té. Résultat : plus de 1 000 animaux sauvages ont été identifiés. Avec de belles surprises à la clé comme ce chevreuil repéré juste en dessous du jardin des Chartreux ( lire pages suivantes).

Effondreme­nt. Foisonnant­e, la faune lyonnaise ? Oui, mais attention à ne pas faire de raccourcis prévient Pierre Athanaze, vice- président chargé de l’Environnem­ent et de la protection animale à la Métropole de Lyon. « On peut avoir des espèces prestigieu­ses, mais, derrière, il ne faut pas oublier qu’on est dans un effondreme­nt de la biodiversi­té, notamment sur les densités des animaux, pose- t- il. Même si, pour l’instant, on a perdu assez peu d’espèces dans la métropole, ces trois dernières décennies, on a perdu énormément d’effectifs. » La problémati­que, qui n’est évidemment pas une spécificit­é locale, prend sa source dans des causes diverses : urbanisati­on, transforma­tion des milieux et des pratiques agricoles, recours aux pesticides et aux engrais de synthèse…

Selon une étude internatio­nale publiée en 2017, l’Europe aurait perdu près de 80 % de ses population­s d’insectes en 30 ans. Et les conséquenc­es se font ressentir sur l’ensemble de la chaîne alimentair­e : bon nombre d’animaux se nourrissen­t d’insectes et les pollinisat­eurs jouent un rôle central dans la reproducti­on des végétaux. « Au début du mandat, j’ai reçu les associatio­ns qui agissent dans le domaine de la protection animale et je leur ai dit de manière un peu provocatri­ce : “Ma priorité, ce sont les insectes” » , raconte Pierre Athanaze. Une façon habile pour le vice- président de faire comprendre qu’il voulait, en réalité, s’occuper de tout le monde.

Des prairies pour les insectes. Mais comment agir à l’échelle lyonnaise ? Si la collectivi­té n’a pas le pouvoir d’obliger les agriculteu­rs à utiliser moins de pesticides, elle peut choisir de gérer différemme­nt les terrains dont elle dispose. Un Plan pollinisat­eur doit ainsi être annoncé à la fin du mois. Objectif : semer des prairies fleuries dans la paysage du Grand Lyon pour attirer les insectes. « On a déjà commencé en octobre dans diverses communes, principale­ment dans l’Est lyonnais pour l’instant. Douze prairies ont déjà été semées. Notre objectif, c’est d’arriver à 400 ou 500 hectares d’ici la fin du mandat. » Plusieurs types de terrains sont concernés : friches, parcelles destinées à la constructi­on, bords de route près des milieux agricoles… « Il faudra attendre un peu pour qu’on voie l’impact à l’échelle métropolit­aine. J’espère qu’on commencera à constater les effets d’ici trois ans. J’ai de forts espoirs sur ce point » , confie Pierre Athanaze qui veut aussi oeuvrer à la plantation d’arbres et de haies et à la reconstitu­tion des corridors biologique­s.

L’espoir anime aussi Quentin Brunelle. De l’expérience dans le 1er arrondisse­ment, le cofondateu­r de l’associatio­n Des Espèces Parmi’Lyon tire un constat loin d’être totalement alarmant, même si trop peu de papillons ont été détectés et que beaucoup d’espèces sont, à l’origine, sudistes. Dans son approche, le collectif mêle l’environnem­ent au social en impliquant les habitants pour les amener à devenir acteurs de la préservati­on de la faune et de la flore. « L’idée, c’est que les gens se disent : “Waouh ! c’est trop cool tout ce qu’il y a autour de moi et je ne le savais pas !” » , explique Quentin Brunelle. Une nouvelle expériment­ation d’inventaire participat­if vient d’ailleurs de s’ouvrir dans des quartiers moins favorisés du 9e arrondisse­ment. « C’est vraiment passionnan­t de découvrir que des espèces peuvent survivre malgré tout dans un milieu complèteme­nt bétonné, qu’elles arrivent à tirer leur épingle du jeu, conclut le naturalist­e. C’est ça, la force de la nature. Quand je vois cette résilience, je me dis qu’il suffit parfois de pas grand- chose. »

Pas très gros ( environ quatre centimètre­s), ce crapaud tout rigolo a une particular­ité notable. Le mâle participe activement à l’accoucheme­nt de la femelle en la stimulant, et une fois les oeufs récupérés et fécondés, il les enroule sur ses pattes arrière. Le crapaud va ainsi porter la ponte sur son dos ( parfois celles de plusieurs femelles en même temps) jusqu’à huit semaines, tout en prenant soin de bien humidifier les oeufs. « On peut trouver l’alyte accoucheur dans un lotissemen­t, même en ville, commente Patrice Franco. Les amphibiens font partie des espèces qui déclinent fortement. Quand on a encore des espèces emblématiq­ues comme celle- ci,

on fait tout pour la préserver. Dès qu’il y a des travaux, on essaye de les maintenir, de faire en sorte que des corridors écologique­s s’établissen­t pour ne pas que les population­s soient isolées. » À savoir : le cri de notre drôle de crapaud ne ressemble en rien aux habituels coassement­s. Son petit « tioutiou » peut d’ailleurs se confondre avec le chant du hibou petit- duc. Il existe même des tutoriels sur YouTube pour faire la différence entre les deux sons.

Parmi les trouvaille­s totalement inattendue­s, un chevreuil a été repéré par l’associatio­n Des Espèces Parmi’Lyon en 2019 dans les balmes de la colline de la CroixRouss­e, au niveau du jardin des Chartreux. Impensable ? Pas tant que ça ! « En réalité, il existe des trames vertes qui permettent aux animaux terrestres de se déplacer et de se retrouver en ville » , explique Quentin Brunelle, cofondateu­r de l’associatio­n. Pas plus tard qu’en avril dernier, un autre spécimen a ainsi été aperçu en plein centre de Tassin- la- Demi- Lune.

« C’est l’une des belles surprises de la nature !, lance Patrice Franco. Certaines espèces s’adaptent aux milieux urbains et trouvent d’autres façons de vivre. » C’est le cas du faucon pèlerin, un rapace qui niche normalemen­t sur les hauteurs des falaises rocheuses. L’oiseau, qui est bien implanté à New York, s’est aussi fait un nid dans nos contrées. Perché sur les grands immeubles, il peut ainsi repérer facilement ses proies comme les pigeons. Le premier couple à avoir fait son retour dans la métropole en 2003 a eu la bonne idée de se poser au niveau d’une torchère de la raffinerie de Feyzin. Depuis, un nichoir a été installé sur place et le prestigieu­x rapace s’est bien développé : on le retrouve notamment à Chassieu, à Fourvière ( sur la tour métallique ou la basilique) et à Part- Dieu ( sur la tour du Crayon ou sur un nichoir actuelleme­nt près de la bibliothèq­ue).

L’animal le plus rapide du monde. « C’est un oiseau fabuleux !, s’exclame Pierre Athanaze. Il faut bien se rappeler que dans les années 1970, cette espèce a failli disparaîtr­e de la terre entière à cause d’un insecticid­e qui avait un impact très fort sur la coquille des oeufs. » Et celui qui fut un symbole de nature menacée n’est ni plus ni moins que l’animal le plus rapide au monde. Lorsqu’il chasse, ce bolide atteint en piqué les 180 km/ h avec un record enregistré à 390 km/ h ( le guépard lui court à 115 km/ h). Mais, s’il s’est bien accommodé au béton, il faut parfois l’accompagne­r dans son développem­ent comme lors des premiers envols des jeunes faucons. « Dans les falaises, l’oiseau peut sortir du nid, se déplacer, se muscler les ailes, ce qui est plus difficile en ville, explique Patrice Franco. Très souvent, les faucons juvéniles sont moins aptes à prendre leur envol et il ne peuvent se rattraper à un arbre ou un rocher. » Alors, pour surveiller ces baptêmes de l’air, les bénévoles de LPO s’activent chaque année près des sites de nidificati­on autour de mai- juin pour éviter les accidents. « Il m’est arrivé de courir rue Servient et d’arrêter toute la circulatio­n car l’un des petits oiseaux de la Part- Dieu s’était posé en plein milieu de l’avenue ! » , se remémore le directeur de la LPO Rhône. À Lyon, l’associatio­n envisage de placer une caméra pour suivre en direct haute définition la vie des couples, de l’arrivée à la constructi­on du nid jusqu’aux premiers envols.

De loin, son plumage à l’aspect moisi pourrait presque se confondre avec l’écorce d’un arbre. Mais de près, ce joli mariage de bruns et de gris tout comme ces yeux tout ronds et perçants révèlent une élégance certaine. Plus petit qu’un pigeon, ce rapace nocturne est quasiment impossible à observer. Il a pourtant été repéré à Lyon, au cimetière de la Guillotièr­e.

se réjouit Patrice Franco. Migrateur, le hibou petit- duc hiverne en Afrique ou autour du bassin méditerran­éen avant de repasser par nos contrées au printemps. Notez que le hibou grand- duc est également présent dans la métropole lyonnaise.

 ??  ??
 ??  ?? Le faucon pèlerin, l’animal le plus rapide du monde, niche notamment à la Part- Dieu.
Le faucon pèlerin, l’animal le plus rapide du monde, niche notamment à la Part- Dieu.
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France