Mon déjeuner avec Julien Poncet
On a rendez- vous dans une petite rue nichée derrière les Cordeliers. Le restaurant installé là n’a que quatre ans, pourtant on dirait que Julien Poncet y vient depuis toujours. La salle ressemble à ces bistrots parisiens aussi charmants que bruyants et exigus, et quand arrive l’assiette, tout paraît plus calme. Le directeur de la Comédie Odéon — ce théâtre implanté en plein coeur de la Presqu’île lyonnaise depuis 2016 — a la voix éraillée de l’hiver et la mine de ceux qui travaillent sans relâche, sans vraiment savoir de quoi sera fait demain. Quand il a débarqué à Lyon pour ses études où il a « vaguement tenté une fac de
lettres » , le théâtre ne faisait pas encore partie de
ses priorités. « À l’époque je n’imaginais même pas que le théâtre privé existait, j’avais comme tout le monde cette image un peu ringarde des grosses comédies » , sourit- il.
Son truc, c’est d’abord le journalisme. Il pige pour payer ses études, puis rencontre Fabrice Arfi et Olivier Bertrand, entre autres. Son amour pour la presse est encore indemne : « C’est une source d’inspiration monumentale. À chaque fois que Florence Aubenas écrit un article, je me dis qu’il y a une pièce. Tous les matins, il faut commencer sa journée en lisant le journal. » Passionné et militant, il s’engage
dans le social. Il apporte ses compétences culturelles à la campagne nationale contre la double peine, organise tous les événements, les meetings, les concerts, jusqu’à ce qu’Olivier Brachet lui propose de le rejoindre
chez Forum Réfugiés. « Ce que j’avais envie de faire, c’était de travailler à la diffusion des idées, à participer au débat de société » , raconte le metteur en scène. Puis les discours l’épuisent et le théâtre le séduit à nouveau, là où les réflexions circulent par le drame et la comédie. Avec la volonté de créer « un autre théâtre privé pour Lyon » , sa programmation culturelle devient un engagement citoyen.
1974
Naissance à Nantua, dans l’Ain.
2007- 2011
Directeur adjoint de Forum Réfugiés.
2016
Monte le projet du théâtre Comédie Odéon et en devient le directeur.
2021
Auteur et metteur en scène de Tout ça pour l’amour ! avec Edwige Baily.
2022
Prolongation de la pièce Intra Muros d’Alexis Michalik à la Comédie Odéon. a changé, il est plus jeune. Mais on n’est pas dupes, on sait qu’à tout moment, ça peut repartir en sens inverse. Intra Muros est une vraie locomotive, et on récolte les fruits d’un travail très actif qui avait démarré bien avant le confinement : on avait déjà fait 42 000 spectateurs avec Le Porteur d’histoire. Ce qui est extrêmement stressant c’est qu’avant, les gens avaient des habitudes de consommation différentes, ils réservaient très longtemps à l’avance leurs places de théâtre et on avait de la visibilité. En ce moment, il y a des jours où le matin on se dit qu’on va avoir 30 personnes dans la salle et le soir c’est complet.
Quelle est la situation des comédiens qui travaillent avec vous ?
Aujourd’hui, il y a un énorme travail à faire pour rassembler les gens, les rassurer et les repositionner dans le monde professionnel. Être comédien est un exercice complexe : c’est comme un instrumentiste, quand on s’est arrêté de travailler pendant un temps, c’est extrêmement difficile de relancer la machine. Depuis deux ans, ils ont perdu beaucoup de rémunération et leur situation sociale s’est fragilisée. On a besoin d’avoir de la visibilité pour pouvoir construire sur les saisons prochaines, et on ne peut pas le faire aujourd’hui. C’est là qu’on peut trouver un lien intelligent avec la collectivité pour assurer une durée de vie à ce lieu culturel qui a émergé en centre- ville et accueille maintenant 70 000 spectateurs par an. Travaillons intelligemment pour pérenniser un lieu qui a trouvé son public.
En décembre, vous déclariez que vos rapports avec la Ville étaient plutôt calmes, qu’en est- il ? J’imaginais qu’on aurait un partenariat plus étroit. Après les échanges qu’on avait eus juste avant et juste après l’élection, ça s’annonçait bien. Mais ils ont beaucoup de travail, beaucoup de gens à rencontrer, de réflexions à avoir, beaucoup de dossiers à étudier, beaucoup d’acteurs à entendre… J’espère juste que nos échanges auront lieu à temps et que la mise en oeuvre d’un vrai partenariat, qui s’inscrit dans une vraie politique culturelle, pourra se faire avant que je n’en puisse plus. Si je m’arrête de bosser deux mois pour prendre des vacances, tout s’écroule, on ferme et la Comédie Odéon devient un magasin de bricolage. Les collectivités devraient pouvoir apaiser ça, et faire en sorte que me remplacer devienne attractif.
Qu’attendez- vous, concrètement ?
Il y a un besoin de reconnaissance de notre travail d’intérêt général. On accueille des scolaires, on organise des stages, des mercredis à tout prix où les gens payent ce qu’ils veulent par tranches de cinq euros… On a besoin d’une aide pour atteindre l’équilibre financier en fin d’année. Je ne vois pas ce qu’on fait de différent d’un théâtre public, si ce n’est qu’on en fait plus et qu’on accueille plus de monde. On soutient des créations, on finance à hauteur de 300 000 euros par an des compagnies locales. Je ne vois pas ce qu’on fait qui nous bloquerait l’accès à un vrai partenariat avec la collectivité. Ce ne serait pas très coûteux pour elle, et cela nous sécuriserait.
« Si je m’arrête, la Comédie Odéon deviendra un magasin de bricolage. »
Vous vous estimez délaissé ?
J’ai le sentiment qu’au sein des Verts, il n’y a pas de projet de politique culturelle. On l’avait déjà vu pendant la campagne, pour eux ce n’est pas un sujet. L’arrivée de Nathalie Perrin- Gilbert était vue comme un bon bol d’air après les années qu’on avait passées, on avait tous envie de l’aider. Mais là, il y a un peu de ce qu’on peut appeler le dépit amoureux. Mais ce n’est pas grave, ça reviendra.
Y a- t- il un dialogue aujourd’hui entre les acteurs du théâtre à Lyon ?
Si à Lyon on réfléchissait tous ensemble, tous les théâtres publics et privés, à monter un catalogue pour financer une entreprise de diffusion, on irait loin. Tous diront que oui, on se parle, mais la vérité c’est qu’on s’échange trois textos par an. Il y a du respect entre nous, mais pas de projets en commun. Moi, je ne rêve que d’une chose, c’est que tous les théâtres de Lyon soient pleins, qu’on soit une ville de théâtre, aussi dynamique qu’elle l’était au moment où Lyon en était une place forte en France. Les années Collomb ont écroulé le théâtre. Sur le territoire, on a une Biennale d’art contemporain, une Biennale de la danse, un festival de musiques électroniques avec Nuits sonores, un festival de cinéma avec Lumière, un festival des arts urbains avec Peinture fraîche. Qui est- ce qui n’a rien ? Le théâtre.
Comment remédier à cet état de fait ?
Je propose un projet de festival, car Avignon est devenu une jungle dans laquelle les compagnies de théâtre lyonnaises sont celles qui ont le moins de moyens de diffuser leur travail en France. Je veux proposer un festival d’hiver, une alternative à Avignon. »