Mon déjeuner avec Philippe Dubreuil
Il a mis un sweat orange, une couleur qu’il Philippe Dubreuil nous attend devant l’entrée des 3 Brasseurs à Saint- Priest. Le choix est stratégique: le restaurant est proche de son lieu de travail, une grande enseigne de bricolage et d’aménagement. Depuis son coup de gueule diffusé sur le compte Facebook du Forum gay et lesbien de Lyon le 7 février, ce militant de longue date a donné plusieurs interviews pour raconter sa vision du militantisme LGBT+ lyonnais et dénoncer « un tabou » , un trop plein d’idéologie, d’écriture inclusive et d’intolérance selon lui.
« Vieux con » . Mais, s’il assure avoir reçu beaucoup de soutiens après avoir tapé du poing « On vous efface et vous traite de vieux con, amer. Certains militants veulent ma peau. Ils essaient de trouver un prétexte pour m’exclure du Centre LGBTI+. » D’autres lui reprochent aussi des positions d’extrême droite, notamment pour avoir partagé en ligne une publication d’un groupe féministe identitaire, ou des messages de Florian Philippot, ancien bras droit de Marine Le Pen… Après notre déjeuner, nous avons décroché notre téléphone pour échanger avec Gérald Russo. Ce membre du « provocation »
Bd A. Bouloche, ZAC du Champ du Pont, SaintPriest.
— Notre déjeuner — Une « flamme » Pom’membert. Une entrecôte. Un Pepsi et une bière.
— L’addition —
« À l’heure actuelle, le Centre LGBTI+ est plutôt dans l’ouverture, nous assure- t- il. Il essaye de tenir compte de toutes les orientations militantes qui existent mais il n’est pas dans l’exclusion. » Alors pourquoi accorder une interview au controversé Philippe Dubreuil ? On s’est posé la question. Mais, si ses positions interrogent, bousculent ou dérangent, elles permettent aussi de pointer du doigt les nouveaux défis qui, bientôt dix ans après le symbolique Mariage pour tous, poussent la communauté arc- en- ciel à se réinventer.
15.04.1971
Naissance à Nantes.
2000
Coming- out.
2002
Installation à Lyon et adhésion au Forum gay et lesbien ( FGL) de Lyon.
02.2018
Élection à la présidence du FGL de Lyon.
02.2022
Il décide de ne pas se représenter au poste de président du FGL. non- mixité l’année dernière ( ces espaces réservés — “queer racisé · e · s”, personnes handicapées, lesbiennes, etc. — en tête du défilé avaient fait débat dans la ville à l’été 2021, NDLR).
Vous n’y avez pas assisté ? Non. J’avais piscine.
Qu’est- ce que vous en retenez ?
Il y avait beaucoup de monde. Malheureusement. Mais je pense qu’une bonne partie des participants ne connaissaient ni le mot d’ordre — “Violences fascistes, violences d’État : reprenons la rue, exigeons nos droits !” — ni les organisateurs.
Vous dénoncez aussi un malaise au Centre LGBTI+ de Lyon qui compte diverses associations parmi ses membres, dont le Forum gay et lesbien. Que s’est- il passé de votre point de vue ?
Au Centre, les choses se sont faites de façon plus insidieuse. Ces groupes de néo- anarchistes d’extrême gauche, que je surnomme les Pink Blocs ( en référence aux Blacks Blocs, NDLR), ont créé des associations pour être représentés. Et quand ils ont été assez nombreux, ils ont pu intégrer le bureau du Centre LGBTI+. À chaque conseil d’administration, c’était la guerre des termes, des ego avec des combats idéologiques et des positions très tranchées. Les membres modérés sont partis, ils étaient épuisés et en avaient marre de gérer les conflits entre les différentes associations.
Au- delà du message porté, vous êtes très critique sur les méthodes employées…
Oui. Je ne me retrouve pas dans cette mouvance anarchiste révolutionnaire qui veut tout casser. Ses membres sont d’une intolérance épouvantable, la discussion est impossible avec eux. Pour ma part, je suis pour l’égalité, mais contre l’intersectionnalité, le fait qu’une association qui représente plusieurs minorités ait plus de poids qu’une autre. Je pense que chaque personne doit avoir la même voix, être sur le même pied d’égalité. Pour eux, c’est la convergence des luttes des minorités : si vous être noir, en situation de handicap et trans, vous cumulez. Et d’après leur théorie, les personnes qui cumulent les minorités doivent avoir plus de droits que les autres. Ils veulent imposer une dictature des minorités. Mais ils représentent très peu la communauté LGBT+ et nous causent du tort en étant très virulents et en faisant des coups d’éclat.
Par exemple ?
En tant qu’homme gay blanc, je suis considéré comme privilégié. En gros, on me dit : “Tu ne fais pas partie des minorités opprimées donc tu te tais.” J’ai toujours soutenu les trans dans l’autodétermination à l’âge de 18 ans. Un jour, j’ai osé poser une question, en demandant s’il ne serait pas pertinent de fixer un âge minimum, au moins pour ce qui n’est pas réversible, en sachant qu’aux États- Unis des enfants de six ans commencent leur transition. On m’a dit que je n’avais pas le droit de poser cette question car je n’étais pas concerné… Ce mouvement est aussi dans la déconstruction totale de tout ce qui existe actuellement. Une femme n’est pas une femme, un homme n’est pas un homme… On remet en question toutes les notions que l’on connaît. Des tracts ont été diffusés avec des définitions sur différents termes ( pansexuel, non- binaire, gender fluide, etc.). C’est hallucinant. Dans les toilettes du Centre LGBTI+, l’indication “homme” vers les urinoirs a été barrée car des femmes peuvent avoir un pénis. Voilà où l’on en arrive.
« Je ne me vois pas dans cette mouvance anarchiste révolutionnaire qui veut tout casser. Ses membres sont d’une intolérance épouvantable. »
Mais tout cela n’est- il pas justement une forme de renouveau dans le militantisme, une façon de mieux mettre en lumière les inégalités ?
Pas de cette façon- là ! Ce sont des intégristes ! Mais ils ne gagneront pas parce qu’ils vont se mettre à dos la population générale. D’ailleurs, je connais des personnes hétérosexuelles qui avaient manifesté pour le Mariage pour tous et qui ne comprennent plus rien, certains deviennent même “LGBTphobes” face à ce mouvement qui essaie d’imposer une déconstruction complète de la société.
Votre opinion fait débat dans la communauté de militants…
Certains membres du bureau du Centre LGBTI+ veulent m’exclure pour “extrême droitisme”. J’ai l’impression qu’ils veulent créer un nouveau délit, un délit d’opinion. Dès qu’on ne pense pas comme eux, ils vous considèrent comme facho.
Vous vous investissez depuis 25 ans pour les droits LGBT+. Comment va se traduire votre engagement aujourd’hui ?
Je fais toujours partie du Forum gay et lesbien de Lyon. Je n’ai pas quitté l’association car je n’ai rien contre elle. Suite à ma prise de position sur le danger du “wokisme”, l’accès au Centre LGBTI+ m’est interdit de manière définitive. Je n’ai jamais été convoqué ou contacté par le bureau. Je vais prendre un avocat pour contester la légalité de cette sanction. Le Centre est un lieu d’accueil financé à 90 % par de l’argent public. Il est hors de question que l’on m’exclue parce que je ne pense pas de la “bonne” façon. »