La Tribune de Lyon

Le Rhône est- il dangereux… ou en danger ?

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« Moi, je me suis déjà baigné en face d’ici ! Et aussi en aval de Lyon. Par contre, il n’est pas recommandé de boire la tasse par litres… » Olivier Fontaine plaisante, mais en connaissan­ce de cause : il est expert qualité des eaux à l’Agence de l’eau qui surplombe la pointe même de la confluence des deux cours d’eau du côté de Gerland. S’il mentionne l’aval de Lyon, c’est pour une bonne raison : la qualité de l’eau du Rhône change singulière­ment au cours de sa traversée de la capitale des Gaules. Sur l’ensemble du linéaire du fleuve, l’Agence gère 1 700 stations de mesure de la qualité des eaux ( cours d’eau, plans d’eau, eaux souterrain­es), dont les plus importante­s nous concernant se trouvent à Jons, à l’île Barbe pour la Saône, et à Chasse- sur- Rhône. Cette dernière permet de constater le cumul des apports du Rhône et de la Saône. Et comme les relevés mensuels mesurent un millier de composés contre une cinquantai­ne de au début des années 1970, ces dernières années ont donné lieu à quelques prises de conscience.

L’ammonium, ça va mieux. Sans surprise, le Rhône paie sa traversée de Lyon au prix fort. Depuis sa source, il y a peu de grandes villes, et un débit fort qui permet une puissante dilution. C’est à partir de Lyon que cela se corse. « Un des indicateur­s les plus fiables de la pollution urbaine, de ce que rejette une ville et ses habitants, c’est l’ammonium. En quelques années, sa quantité a été divisée par dix, l’équivalent d’un rejet de dix tonnes aujourd’hui contre 35 auparavant, alors qu’il y a davantage d’habitants. La qualité de ce point de vue est passée de moyenne à très bonne. » Le résultat d’une meilleure collecte de ces effluents, et d’un meilleur traitement par les stations d’épuration.

Micropollu­ants : l’inquiétude. Moins réjouissan­t est le constat concernant les micropollu­ants, dont la concentrat­ion est suivie en millionièm­es de grammes. Dans cette catégorie, les labos trouvent les restes de produits domestique­s de type produits lessiviers, composés perfluorés ( des substances chimiques synthétiqu­es utilisées dans un grand nombre de produits industriel­s et de biens de consommati­on courants), produits pharmaceut­iques ( issus des habitants, pas de l’industrie pharmaceut­ique)… Or, il y a encore quelques années, on ne savait pas les mesurer. « On n’avait même pas idée qu’ils étaient présents dans l’eau » , précise Isabelle Eudes, chargée d’études

La qualité de l’eau du Rhône change singulière­ment au cours de sa traversée de la capitale des Gaules. Les capteurs de Chasse- sur- Rhône permettent de constater le cumul des apports de polluants du Rhône et de la Saône.

Rhône. Ce qui est plutôt inquiétant, car ce sont des produits persistant­s bioaccumul­ables. « Et ils sont très mal épurés par les stations d’épuration. Idem pour les composés perfluorés, qui passent “tout droit” » , reprend Olivier Fontaine. Quant à jauger si leur quantité dépasse les valeurs réglementa­ires, c’est compliqué : il n’y a pas de normes pour tous les composés. Mais sur les 850 stations, Lyon se trouve dans les 5 % avec les concentrat­ions les plus élevées pour les composés perfluorés. Inquiétant ? Cela dépend des composés. Mais les conséquenc­es de l’ensemble du cocktail sur la faune et la flore sont mal connues. Sur la santé humaine, la question ne se pose pas en ces termes : l’eau potable à Lyon n’est pas issue directemen­t du Rhône, mais de captages en eaux souterrain­es situés en amont de Lyon ( principale­ment à Crépieux Charmy) qui ne piochent donc pas dans ses eaux superficie­lles. L’aval de Lyon voit lui le résultat du cumul des apports entre Rhône et Saône. Cette dernière apporte son écot en produits issus de l’agricultur­e, de type pesticides.

Attention bas débit. Une autre des pressions subies par le Rhône est celle constituée par son débit et la modificati­on de sa morphologi­e. « On est en train de revenir en arrière sur tous les travaux que l’on a effectués dans les années 1970 et qui ont corseté le Rhône. L’habitat en a pâti. Ce n’est pas possible partout, car il doit rester navigable, mais on a remis en eau certains bras du Rhône, et l’on a vu revenir certaines espèces d’eau vive, comme sur le bras court- circuité de Pierre- Bénite. Avant, la réglementa­tion imposait 20 m3 par seconde, aujourd’hui on est à 90 m3 ! » , constate Olivier Fontaine. Ces dernières années, 38 lônes ( bras de fleuve en retrait du cours principal) ont été réaménagée­s dans ce mouvement d’un extrême à l’autre sur le grand balancier de l’aménagemen­t.

De la même façon, les obstacles à la remontée des poissons sont enlevés petit à petit. Par exemple, à Caluire, un endroit a été identifié comme tel, et une passe à poissons y sera aménagée prochainem­ent pour faciliter la remontée des anguilles.

Autre inquiétude de long terme pour la vivacité du Rhône : son débit. « Ces dernières années, nous avons des étiages de plus en plus forts. Le Rhône sert de ressource de substituti­on pour des préleveurs comme les agriculteu­rs. Car les affluents sont en tension et les besoins sont de plus en plus importants, par exemple sur l’irrigation » , souligne Isabelle Eudes. Les résultats d’une étude sont attendus dans quelques mois pour mieux connaître l’état des débits ( identifier les préleveurs), et quelles sont les perspectiv­es dans le cadre du réchauffem­ent climatique.

La question nucléaire. Pour l’instant, le Rhône est une ressource abondante, qui ne pose pas encore de souci. « En 2011, il y a déjà eu une alerte : l’eau trop chaude et le débit trop faible du Rhône ont poussé les centrales nucléaires, notamment celle du Bugey, à arrêter certaines tranches, car cela compromett­ait le refroidiss­ement des réacteurs. Cela pose question » , explique Sylvain Godinot, adjoint de la Ville de Lyon à la Transition écologique. D’autant plus que les glaciers nourricier­s du Rhône sont appelés à fondre… « Il va falloir que le nucléaire apprenne à se passer de l’eau comme système de refroidiss­ement. En tant qu’élus écologiste­s, on défend depuis très longtemps la vision qu’il faut sortir du nucléaire progressiv­ement à partir d’une méthode basée sur un haut niveau d’efficacité énergétiqu­e qui permettrai­t de réduire de deux fois notre consommati­on, associé à un mélange de 100 % renouvelab­le : hydrauliqu­e, bois, solaire… Nous sommes donc opposés à la prolongati­on des centrales ainsi qu’au plan Macron de relance des EPR ( centrale nucléaire nouvelle génération, NDLR). » Celui- ci pourrait voir deux réacteurs arriver au Bugey ou au Tricastin. Mais au- delà d’échanges de courriers entre la Mairie et la préfecture et de rencontres avec EDF, l’adjoint ne se fait guère d’illusions sur la capacité des élus municipaux à peser dans le débat. Un débat qu’il élargit avec humilité : « On entre de plus en plus dans un monde de crises : canicules, sécheresse­s, énergie… Il ne faut pas être naïf : toutes les sources d’énergie ont des défauts. L’hydrauliqu­e est impactée par la baisse de la pluviométr­ie, la biomasse par la sécheresse Le nucléaire est vulnérable, mais il n’est pas le seul. » Le Rhône l’est aussi.

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