La Tribune de Lyon

« Le goût est une constructi­on »

Agnès Giboreau est directrice du centre de recherche de l’Institut Paul- Bocuse. Le 31 mai se déroule la soirée grand public « Alimentati­on et cancer » à la Cité de la gastronomi­e. L’occasion d’expliquer comment le centre tente d’aider les malades du canc

- PROPOS RECUEILLIS PAR DAVID GOSSART

Disposer d’un centre de recherches dans une structure comme l’Institut Paul- Bocuse peut paraître surprenant. Quelle en est l’origine ? Agnès Giboreau : « Sa création date de 15 ans. Quand j’ai commencé, j’étais toute seule et aujourd’hui, nous sommes une trentaine ! Nous disposons d’une équipe de six chercheurs permanents, dont trois habilités à diriger des recherches et encadrer des doctorants. Nous avons des chargés d’études, des ingénieurs, des chefs cuisiniers…

Associer recherche, nourriture et Paul Bocuse en un seul lieu ne va pas de soi pourtant… Quel était le sens du pari ?

Le dialogue avec les scientifiq­ues a établi qu’il était utile de se pencher sur le plaisir de manger, mais aussi de comprendre pourquoi on prend ce plaisir à manger. Notre approche a été de traiter cette question de manière multidisci­plinaire : sociologiq­ue, culturelle, par la science des aliments… “Plaisir, santé, économie” étaient les trois mots- clés. La santé concentrai­t d’ailleurs l’axe de nos premiers travaux. On se posait alors la question du rôle de la cuisine dans l’accompagne­ment des malades, mais aussi dans la population générale, en prévention. Nous travaillon­s d’ailleurs toujours avec les personnes âgées, celles atteintes de troubles cognitifs ou en situation d’obésité, ou auprès des enfants. Nous créons aussi des guides de recettes pour le grand public ou pour les patients, comme dans notre projet Canut, “Cancer, nutrition and taste”.

Canut, dont l’objectif est de compenser les pertes de goût et d’odorat des patients sous chimiothér­apie, est- ce à peu près juste ? Mieux comprendre ces altération­s est en effet la question de départ. Le projet a été amorcé avec les HCL qui avaient constaté que les patients ne mangeaient plus, car ils n’y prenaient plus de plaisir. Selon les études, cela concerne tout de même de 50 à 80 % des patients. Nous avons posé deux hypothèses : une de l’ordre des pratiques alimentair­es, sociales, avec des causes de maladie, de fatigue… Et une autre reposant sur l’impact de la chimiothér­apie sur les cellules du goût et de l’odorat. Car ce sont des cellules qui se renouvelle­nt : si on se brûle la langue, on perd le goût, mais il revient. Or les traitement­s qui ont pour but de stopper la reproducti­on des cellules cancéreuse­s stoppent aussi les cellules du goût et de l’odorat. Deux études exploratoi­res dans les années 2010 ont permis de dire que c’est dans cette direction qu’il fallait creuser dans le but d’informer le grand public et d’apporter des solutions.

D’où la publicatio­n d’un livret de recettes spécifique pour apprendre à compenser ces déficits induits par les traitement­s ?

C’est bien l’idée du projet Canut de produire un guide de recettes et d’accompagne­ment des patients.

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