La Tribune de Lyon

Mon déjeuner avec Agnès Giboreau

-

Il paraissait incontourn­able que ce déjeuner se déroule au restaurant de l’Institut Paul- Bocuse, place Bellecour. Agnès Giboreau y arrive à vélo depuis le site de l’Institut à Écully, qui reste une associatio­n loi 1901 reconnue par l’État : le centre doit trouver ses propres financemen­ts pour assumer ses recherches et un budget de fonctionne­ment de près de 1,5 million d’euros. « Sur le projet Canut, nous avons été aidés par le Cancéropôl­e régional Clara pour monter un consortium avec les HCL, le Centre Léon- Bérard, le Centre de recherches en neuroscien­ces de Lyon, le Centre de recherche en nutrition humaine Rhône- Alpes, le réseau Onco Aura et deux entreprise­s, Apicil et Elior, le tout financé par la Métropole et la Région, puis par la Fondation G& G Pélisson pour l’Institut Paul- Bocuse pour prolonger le projet compte tenu de la crise sanitaire » , détaille la native de Melun. Mais le centre travaille aussi sur des missions plus courtes avec collectivi­tés ou entreprise­s. « Par exemple, nous sommes membres d’un projet européen autour des microalgue­s, avec une start- up du Gard qui a levé des fonds pour créer des usines de microalgue­s. Nous sommes chargés de développer des recettes, évaluer le potentiel des algues en boissons, en desserts… et de tester l’accueil 20 place Bellecour, Lyon 2e.

— Notre repas —

Deux lieus rôtis au fenouil, frites de panisses, condiment acidulé et jus de fenouil grillé. Deux cafés,

Eau minérale plate en bouteille.

— L’addition — de ces produits auprès du consommate­ur en Europe dans des produits finis. » « À chacun d’intégrer la combinaiso­n de plaisir et de santé qui lui convient. On ne va pas demander à un végan de manger de la viande parce que les protéines sont bonnes. Mais on va lui dire que les protéines végétales sont moins accessible­s, il faut en manger plus pour obtenir la bonne quantité. On peut quand même dire que le meilleur modèle sera inspiré du régime méditerran­éen, donc plutôt flexitarie­n. »

Mais nous avons d’abord pris conscience de l’ampleur du manque de connaissan­ces. Nous avions besoin de données quantitati­ves, de tests psychophys­iques et pas seulement déclaratif­s, puisque nous ne sommes pas éduqués à différenci­er le goût de l’odorat.

Comment cela ?

Le goût est une constructi­on qui englobe trois systèmes sensoriels : la gustation, l’odorat, et le trigéminal. Le nerf trijumeau est un nerf à trois branches : une dans l’oeil, une dans le nez, une dans la bouche. Il a des ramificati­ons nerveuses sensibles à certaines molécules pour prévenir la douleur : le piment, par exemple. Il est donc déconnecté de l’olfaction. Or quand on est anosmique ( sans odorat, NDLR), le nerf trijumeau fonctionne toujours : poivre, tabasco, moutarde, ça pique malgré tout.

Et le goût ?

Il se détecte aussi dans la bouche, et non dans le nez. Quand on n’a que l’odorat de touché, on peut donc jouer sur le goût et les molécules que l’on détecte au niveau des bourgeons du goût de la langue, ainsi qu’avec le nerf trijumeau. C’est une des solutions que l’on explore dans le cas du cancer et de l’anosmie.

On peut vraiment « compenser » l’odorat perdu par une réorganisa­tion du goût ?

Le goût des aliments provient d’une conjonctio­n des trois systèmes sensoriels et chez les patients atteints de cancer, on peut avoir une atteinte de l’olfaction et de la gustation. Or c’est bien l’odorat qui nous donne la différence entre une fraise et une framboise, par exemple. Si vous faites un sirop à partir des deux, ça n’a pas le même “goût”, qui est en fait l’arôme de la fraise ou de la framboise. Car en réalité, le goût est le même : c’est le sucre. Mais le nez fait la différence entre une fraise et une framboise. On utilise d’ailleurs plutôt le terme anglophone de “flaveur” qui associe les trois systèmes.

Comment avez- vous procédé pour mettre au point une solution ?

Nous avons d’abord mis en oeuvre des tests avec des bandelette­s imprégnées et des flacons. Nous avons observé 50 % des patients sous chimiothér­apie qui avaient perdu l’olfaction. Puis nous avons développé, avec les cuisiniers du centre de recherche, un repas expériment­al. Nous nous sommes recentrés sur les patientes atteintes de cancer du sein. Elles sont venues et disposaien­t d’un repas- test avec entrée, plat, dessert. Puis elles sont revenues au bout de 6 et 12 semaines, et nous avons alors mesuré leur sensibilit­é au goût et à l’odorat, et leur appréciati­on du repas qui présentait à chaque fois quatre variantes : un plat standard de référence ; un plat enrichi en molécules qui renforcent le côté sucré, salé… ; un autre poussé en odeurs, épices ; et une variante enrichie en texture.

« Le but du projet Canut est de produire un guide de recettes et d’accompagne­ment des patients. »

N’est- ce pas un travail foncièreme­nt individual­isé, et donc sans fin ?

C’est notre hypothèse et l’enjeu du projet : pouvoir accompagne­r les patients à réaliser eux- mêmes leur diagnostic. Le second volet de Canut, c’est ce guide pour les patients qui comporte un volet d’explicatio­ns, de nutrition, ainsi que 24 recettes dont chacune comporte plusieurs variantes : adoucies, enrichies en arôme, et des pistes pour les mettre à son propre goût. Ce guide est en cours d’évaluation dans un essai regroupant des patients de tous types de cancers : 50 patients ont le guide, 50 ne l’ont pas, et nous mesurerons au bout de quelques mois l’impact sur le plaisir de manger à domicile.

L’objectif peut- il être d’aboutir à un guide mondial pour toucher tous les patients ?

Nous l’espérons. Nous allons travailler à un consortium européen pour prolonger les travaux de Canut à l’échelle européenne. Le but est d’obtenir un plus gros volume de données. Avec le guide, nous avons un objectif de 100 patients, mais par rapport au nombre de malades touchés et leur diversité, on se doit de prendre en compte les différence­s de culture et d’alimentati­on. On pourrait imaginer dans ce consortium de proposer le repas créé à Écully, mais aussi d’en créer un adapté à chaque pays. Nous n’avons donc pas du tout fini d’acquérir toutes les connaissan­ces nécessaire­s avec le projet Canut. On a bien l’intention d’avoir davantage de données et de travailler sur différents types de cancer aux échelons national et internatio­nal. »

 ?? ?? 78 €
Agnès Giboreau, depuis son perchoir sur notre alimentati­on, se garde de se dresser en autorité verticale du « bien manger » . Sans gluten, végan, flexitarie­n…
78 € Agnès Giboreau, depuis son perchoir sur notre alimentati­on, se garde de se dresser en autorité verticale du « bien manger » . Sans gluten, végan, flexitarie­n…

Newspapers in French

Newspapers from France