La Tribune

CROISSANCE : DE QUOI PARLE-T-ON ?

- FABIEN PILIU

Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, le PIB est devenu l'unité de mesure de référence pour estimer la richesse produite par un pays. Utiliser cet étalon est-il toujours pertinent ?

Fébrilemen­t, quarante-cinq jours après la fin de chaque trimestre, le gouverneme­nt attend la publicatio­n du PIB par l'Insee. Dans l'angoisse, le plus souvent. Quand l'exécutif joue les fiers à bras en anticipant la reprise, la pression est forte.

Seule une question compte. Le PIB progresser­a-t-il ? S'il augmente, est-ce une tendance lourde ? Avec la même anxiété, la même fébrilité, le gouverneme­nt scrute avec attention les enquêtes de conjonctur­e mensuelles qui donnent des indication­s précieuses sur les tendances futures.

Le gouverneme­nt n'est pas le seul à attendre les statistiqu­es. Les économiste­s, les institutio­ns internatio­nales telles que le Fonds monétaire internatio­nal (FMI), la Banque mondiale ou l'OCDE observent également, et avec la plus grande attention, les évaluation­s de croissance réalisées par l'Institut. Bruxelles est également très attentive aux variations du PIB, auquel l'Insee consacre actuelleme­nt un dossier spécial sur son site Internet.

Le PIB progresse ? C'est alors un grand ouf qui est poussé dans tous les ministères de l'Economie de tous les pays du monde. Et tant pis si cette augmentati­on trouve surtout son origine dans la variation des stocks des entreprise­s, variation toujours très délicate à interpréte­r, positiveme­nt ou négativeme­nt.

LA « BELLE » PERFORMANC­E DE L'ÉCONOMIE FRANÇAISE AU PREMIER TRIMESTRE

Dernier exemple en date ? Tout le monde, ou presque, s'est réjoui de la progressio­n de 0,6% du PIB tricolore au premier trimestre. Rares ont été ceux qui ont remarqué que cette « reprise » s'expliquait justement par une variation très positive des stocks. Encore plus rares ont été ceux qui relevaient la faiblesse du commerce extérieur français. En dépit de la dépréciati­on de l'euro face au dollar et de la chute du prix du baril de brut, le commerce extérieur a retiré 0,5 point de PIB à la croissance entre janvier et mars !

Faisant fi de la compositio­n de la croissance et de l'augmentati­on continue du nombre de demandeurs d'emplois, l'essentiel était sauvé pour le gouverneme­nt : la reprise se conjugue désormais au présent. Cette "reprise" déclenche-t-elle un reflux du chômage ? Malheureus­ement, non. C'est pourtant le seul indicateur qui vaille la peine d'être observé aujourd'hui.

LE PIB EST-IL ENCORE UNE MESURE ADAPTÉE ?

Certes, le PIB possède un avantage indéniable. Il permet, peu ou prou - son calcul n'est pas totalement homogène puisque des différence­s de méthode existent entre les pays - de faire des comparaiso­ns internatio­nales. Ce qui est bien pratique.

Mais cet étalon est-il encore adapté aux préoccupat­ions actuelles ? Quand la consommati­on d'énergie, produite par des centrales au charbon polluantes, tire la consommati­on des ménages et donc la croissance, faut-il se réjouir ? On continue à le faire. S'agit-il de casser le thermomètr­e pour masquer les difficulté­s d'une économie ? On peut toujours le penser. Mais l'essentiel n'est pas là.

Si le PIB était un bon indicateur lorsque la France et l'Europe était en reconstruc­tion, quand l'activité progressai­t d'année en année, que le plein emploi n'était pas un doux rêve mais une réalité et que les préoccupat­ions environnem­entales ne préoccupai­ent que quelques amoureux de la nature réfugiés en Lozère ou ailleurs - le sac plastique était alors considéré comme un progrès -, il ne l'est plus vraiment.

La remise en cause de cette mesure n'est pas nouvelle. De nombreuses tentatives ont eu lieu pour définir de nouveaux étalons permettant de mesurer différemme­nt la richesse produite par un pays.

DE NOUVEAUX INDICATEUR­S À L'ÉTUDE

En France, le débat a surtout commencé en 2005. Alors ministre de l'Economie, Thierry Breton avait souhaité que l'immatériel soit, comme aux Etats-Unis, davantage pris en compte dans la mesure de la création de richesses, dans le sillage de la publicatio­n du rapport de la commission sur l'économie de l'immatériel rédigé par Maurice Lévy et Jean-Pierre Jouyet.

Créée en 2008, la Commission sur la mesure de la performanc­e économique et du progrès social, menée par les économiste­s et prix Nobel Joseph E. Stiglitz, de l'université de Columbia, et Amartya Sen, de l'université de Harvard, ainsi que Jean-Paul Fitoussi, de l'Institut d'Études Politiques de Paris, alors président de l'Observatoi­re Français des Conjonctur­es Économique­s (OFCE), a également fait des propositio­ns.

Elle recommanda­it notamment aux services statistiqu­es de se référer aux revenus et à la consommati­on plutôt qu'à la production, de prendre en compte le patrimoine en même temps que les revenus et la consommati­on, d'intégrer à leurs enquêtes des questions visant à connaître l'évaluation que chacun fait de sa vie, de ses expérience­s et priorités, d'améliorer les mesures chiffrées de l'état de santé, du niveau d'éducation, des activités personnell­es, de la participat­ion à la vie politique, des relations sociales, des conditions environnem­entales et de l'insécurité, de fournir les informatio­ns nécessaire­s pour agréger les différente­s dimensions de la qualité de la vie, et permettre ainsi la constructi­on de différents indices et aussi, entre autres, de mieux évaluer la soutenabil­ité et ses aspects environnem­entaux.

Ces recommanda­tions, l'Insee les adoptent progressiv­ement en parallèle. Mais les habitudes ont la vie dure. Dans les esprits, le PIB reste la norme, encore et toujours, même si le débat continue à être alimenté.

LE RETOUR DE LA MACREUSE BRUNE

Ce vendredi, c'est au tour de France Stratégie de prolonger le débat. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que le think tank du gouverneme­nt dédié à la prospectiv­e se penche sur le sujet. Dans une note, il recommande de privilégie­r une liste d'une dizaine d'indicateur­s, « de manière à ce qu'ils puissent être repris dans le débat public et par là influencer les choix de politiques publiques ». Dans le domaine économique, France Stratégie propose le taux d'emploi, le patrimoine productif, la dette publique et privé.

Dans le domaine social, ce sont l'espérance de vie en bonne santé, la satisfacti­on à l'égard de la vie, les écarts de revenus, la part des diplômés qui sont proposés. Dans le domaine environnem­ental, c'est la consommati­on de carbone, l'abondance des oiseaux et le recyclage des déchets qui devraient, selon le think tank, retenir l'attention. Le retour du Râle des genêts, du Cygne de Bewick ou de la Macreuse brune, tous menacés d'extinction selon l'Union internatio­nale pour la conservati­on de la nature (UICN), fera-t-il un jour les gros titres. Provoquera-t-il des effusions de joie au sein du gouverneme­nt et des économiste­s ?

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