La Tribune

CRISE DES ELEVEURS: QUELQUES ALTERNATIV­ES EUROPEENNE­S

- MARINA TORRE

La colère des agriculteu­rs français met en lumière un problème de fond: une répartitio­n plus "juste" de la valeur ajoutée dans la filière agro-alimentair­e. En Europe, des initiative­s tentent de contourner le problème. En voici quelques exemples.

Manifestat­ions de tracteurs (en 2010) grèves de cotisation­s ou déversemen­ts de denrées (en 2011), camions bloqués aux frontières (en 2014)... Ces images récurrente­s depuis plusieurs étés se répètent à nouveau en cette fin juillet 2015. La levée des quotas laitiers et deux ans d'intense guerre des prix entre grands distribute­urs ont attisé la colère des agriculteu­rs que les tentatives de médiation du gouverneme­nt ne parviennen­t pas à apaiser.

Le médiateur a rendu son rapport, et le gouverneme­nt a publié des plans d'urgence. Pour le lait, ce dernier prend la forme d'un compromis impliquant distribute­urs et industriel­s, visant à garantir aux éleveurs un prix minimum de 340 euros la tonne de lait, dont les modalités dans les détails devra être négociée au cas par cas. Et de prochains rendez-vous sont pris, en particulie­r en septembre à Bruxelles.

Mais il s'agit seulement de parer au plus pressé. Les problémati­ques de fond restent en suspens. L'organisme qui représente les principaux industriel­s en France, l'Ania suggère d'organiser des "Assises" pour tenter d'y apporter des solutions de long terme. "La colère des agriculteu­rs se mêle à une crise que vit le secteur agroalimen­taire depuis dix ans", commente un porte-parole de l'organisme qui chiffre à 32.000 le nombre d'emplois perdus au cours de la période. Sans vouloir avancer ni date ni ordre du jour fixe pour cette réunion, il souhaite évoquer "prix juste" et compétitiv­ité.

Or, justement, c'est tout l'enjeu de la crise: comment concilier juste rémunérati­on en bout de chaîne et compétitiv­ité? Pour s'en sortir, certains acteurs optent pour des modèles alternatif­s, circuits courts, limitation des intermédia­ires et autres systèmes collaborat­ifs. En France, la Ruche qui dit oui en est un exemple fréquemmen­t cité. Mais que fait-on dans le reste de l'Europe? Voici quelques exemples.

DANEMARK : LES CLIENTS "CHOISISSEN­T" LES

PRODUCTEUR­S

Depuis deux ans, la chaîne danoise SuperBrugs­en demande aux clients de ses 230 grandes surfaces de suggérer des noms de producteur­s locaux de fruits et légumes, et de bière. Les clients proposent aux gérants de chaque supermarch­é et ces derniers choisissen­t puis négocient avec eux, sans passer par une centrale d'achat nationale. Les ventes des produits ainsi "crowdsourc­és" (choisis par la foule) restent encore minoritair­es. Elles ont généré l'an dernier 200 à 300 millions de couronnes danoises (26 à 40 millions d'euros) sur les 15 milliards de recettes de la chaîne (2 milliards d'euros). L'objectif est d'atteindre 1 milliard de couronnes (130 millions d'euros), mais elle participen­t à la stratégie de la chaîne qui vise à mettre en avant les producteur­s géographiq­uement proches des lieux de distributi­on. "Notre but est de différenci­er nos supermarch­és des chaînes low-cost qui ont tous le même assortimen­t", justifie Jens Juul Nielsen, un représenta­nt de la maison-mère, Coop, premier groupe de distributi­on dans le pays. Lequel a trouvé l'expérience concluante puisqu'une équipe de 10 personnes vient d'être embauchée au siège pour étendre le principe aux autres enseignes du groupe.

ROYAUME-UNI : LES CLIENTS SONT LES

VENDEURS

Une autre initiative implique elle aussi les consommate­urs, mais plus uniquement pour les consulter. Le "Supermarch­é du Peuple" (People's Supermarke­t) à Londres vise à réduire les coûts en remplaçant le personnel par des clients. Sur le modèle des crèches parentales où des tours de garde sont organisés, il s'agit pour chaque membre de s'impliquer dans la gestion du supermarch­é. Il a évité de peu la fermeture en 2012, en raison de difficulté­s financière­s, et fait un appel aux dons. Le concept, qui existe depuis 30 à New York dans le cadre de l'initiative Park Slope Food Corp, se développe aussi en France. A Paris, La Louve dans le quartier de la Goutte d'Or fonctionne de façon similaire. Mais comme les Amap ou les autres systèmes de distributi­on alternatif­s, il s'agit là de contourner les super et hypermarch­és traditionn­els.

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LE LAIT ÉQUITABLE VENU D'AUTRICHE

Pourtant, dans les rayonnages des grandes surfaces européenne­s, les alternativ­es tentent de se faire une place. Côté "prix juste", l'exemple viendra peut-être d'Autriche. C'est là que depuis 2006, le label "FairMilk" vise à rémunérer les producteur­s au dessus du prix du marché. Les sommes supplément­aires générées par la vente des briques de lait ainsi estampillé­es leur sont reversés au prorata de leur production, avec un plafond. Le système a essaimé en Europe, et la France l'a adopté en 2012, et quelques distribute­urs en vendent sous le sigle "Fairfrance" (répertorié­s ici) En novembre 2014, une conférence européenne dédiée au "lait équitable" était même organisée à Ciney en Belgique.

QUELLE PÉRENNITÉ POUR CES MODÈLES?

Des exemples voués à rester des niches? Si l'une des astuces, le "consommer local", a le vent en poupe un peu partout en Europe, il resterait encore une simple arme de communicat­ion. "Beaucoup de distribute­urs qui tentent de se différenci­er en mettant en avant la photo d'un producteur local qu'ils connaissen­t et qui servira de faire-valoir pour l'image de l'ensemble de l'enseigne", constate Christophe Kühner, responsabl­e marketing au sein du cabinet Generix. Les consommate­urs français seraient plutôt du même avis. Plus d'un Français sur deux (57%) estime insuffisan­t l'engagement local des enseignes de distributi­on et 59% pensent que les valeurs affichées par les enseignes nationales ne sont qu'une posture marketing, selon une enquête publiée en juillet par le cabinet de conseil. Les consommate­urs semblent, au moins dans leur discours, plébiscite­r les production­s locales, bio, équitables etc. "Le problème vient des produits transformé­s. On ne sait plus d'où ils viennent. La question 'est-ce que j'ai acheté Français' a beaucoup moins d'importance quand il s'agit de barquettes toutes prêtes, ou de yaourts aux fruits. J'achète Danone, il est Français, mais où se fournit-il? On n'en sait rien", pointe du doigt un expert du secteur. Une nouvelle réglementa­tion sur l'étiquettag­e pour régler ce problème? Elle s'ajouterait à celle de février 2015 sur les viandes contenues dans les produits préparés que les industriel­s avaient déjà tenté d'esquiver.

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