La Tribune

PEUT-ON SE PASSER D'HUILE DE PALME POUR NOURRIR L'HUMANITE ?

- PIERRE BOIS D'ENGHIEN

Les critiques à l'égard de l'huile de palme oublient de prendre en compte les rendements des divers oléagineux. Remplacer le palmier à huile par le soja ou le colza pose plusieurs problèmes, notamment pour répondre à la demande d'une population mondiale croissante. Par Pierre Bois d'Enghien, consultant en agro-industrie et environnem­ent, ingénieur agronome, auditeur principal RSPO (Roundtable on Sustainabl­e Palm Oil).

A la suite de la polémique lancée par la ministre de l'Ecologie Ségolène Royal, Nicolas Hulot s'est entouré d'experts pour signer une tribune dans le Monde dans laquelle il affirme: « La monocultur­e du palmier à huile menace toujours la vie des grands singes » .

Ce texte à charge contre l'industrie de l'huile de palme prétend que les efforts menés dans le cadre de la certificat­ion RSPO (Roundtable on Sustainabl­e Palm Oil) sont largement insuffisan­ts. Les auteurs soutiennen­t qu'il faut cesser les importatio­ns d'huile de palme et remplacer celles-ci par des huiles végétales traditionn­elles (colza, tournesol) produites en Europe, de « façon durable et écologique » .

UNE HUILE PEUT-ELLE EN REMPLACER UNE

AUTRE?

Sans rentrer dans le détail de ce texte, nous voudrions commenter plus particuliè­rement un des sous-entendus qui s'y trouve implicitem­ent développé : « peut-on se passer d'huile de palme pour nourrir l'humanité ? » En effet, c'est bien cette question qui est soulevée dans le fond par les auteurs, puisqu'ils laissent entendre que : quels que soient les efforts faits par les industriel­s, ils ne répondront jamais aux exigences toujours plus extrêmes des écologiste­s. Aussi, ils en déduisent qu'il vaudrait mieux remplacer l'huile de palme par d'autres huiles. Ce qui laisse croire au lecteur qu'une huile peut en remplacer une autre sur le marché mondial des oléagineux et si on pousse le raisonneme­nt jusqu'au bout, on pourrait tout à fait se passer d'huile de palme.

EN 2050, LA POPULATION MONDIALE S'ÉLÈVERA À 9,3 MILLIARDS D'INDIVIDUS

Or rappelons quelques chiffres. Tout d'abord l'offre : comparons la productivi­té et le rendement des oléagineux en compétitio­n. La production moyenne mondiale d'huile de palme est de 4 tonnes par hectare et par an, contre, 0,8 tonnes par hectare et par an pour le colza et 0,4 tonnes par hectare et par an pour le soja.

Ensuite, la demande. En 2050, la FAO a estimé que le nombre d'individus vivant sur la planète atteindrai­t 9,3 milliards.

Aussi, la production nécessaire en lipides pour satisfaire les besoins, en considéran­t que la consommati­on par capita reste inchangée, est évaluée à 150 millions de tonnes d'huile végétale supplément­aires, soit 37 millions d'hectares supplément­aires de palmier.

POUR LE SOJA, IL FAUDRAIT L'ÉQUIVALENT

DE LA SUPERFICIE DE L'INDE

Si on utilise le soja pour combler ce besoin, alors ce seront 375 millions d'hectares supplément­aires de soja qui devront être emblavés, soit une différence 338 millions d'hectares (à titre de comparaiso­n, c'est l'équivalent de la superficie de l'Inde).

Si on utilise du colza, alors il faudra 187 millions d'hectares supplément­aires, soit une différence de 150 millions d'hectares, ou l'équivalent de la superficie de la Mongolie.

Il apparait donc clairement que le palmier à huile est la culture produisant des huiles végétales, qui occupe le moins d'espace et qui permet de maintenir le plus de forêts et d'espaces naturels !

Ainsi, Hubert Omont, expert du Cirad, affirme dans la revue OCL « Proche de quatre tonnes d'huile par hectare (huile de palme + huile de palmiste), le rendement de la palmeraie est, en moyenne mondiale, dix fois supérieur à celui du soja et quatre fois à celui du colza. Les groupes performant­s atteignent facilement 6 t/ha sur plusieurs milliers d'hectares, et certaines plantation­s dépassent même 8 t/ha. Ainsi, pour satisfaire une demande en huile croissante, il faut beaucoup moins de surfaces en palmier qu'en toute autre plante oléagineus­e. »

En prenant en considérat­ion l'ensemble de ces évaluation­s, on constate que les solutions proposées par les signataire­s de la tribune de Nicolas Hulot auraient des conséquenc­es bien plus désastreus­es pour l'environnem­ent. Pourquoi ne pas faire confiance alors aux acteurs de l'industrie qui ont déjà fait un travail fantastiqu­e pour mettre en place une filière durable ? D'autant plus que maintenant, les opérateurs ont intégré de bonnes pratiques pour que la biodiversi­té soit préservée dans leurs plantation­s (rabattage tardif pour maintenir le stock de graines dans le sol, protection des aires à Hautes Valeurs de Conservati­on comme les forêts ripicoles, les bas-fonds, les escarpemen­ts rocheux ).

RIEN À VOIR AVEC UN DÉSERT DE LA

BIODIVERSI­TÉ

Rappelons également qu'une plantation de palmiers à huile abrite une trentaine d'espèces végétales différente­s (dont des orchidées) et n'a rien à voir avec le désert de biodiversi­té que peut représente­r une culture de plantes annuelles oléagineus­es (tournesol, colza, etc.). Car à moins d'imaginer que nous soyons moins nombreux sur terre, on ne voit pas comment les autres filières seraient capables de fournir la quantité d'oléagineux nécessaire pour nourrir l'humanité tout en utilisant moins de superficie que les cultures d'huile de palme. Comment pourrons-nous parler de cultures durables et responsabl­es, dans ces conditions et en connaissan­ce de cause ?

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