La Tribune

CHANGEONS D'APPROCHE POLITIQUE FACE A L'UBERISATIO­N DE L'ECONOMIE

- ARNO PONS

Comme l'illustre l'exemple d'Uber et des taxis, le numérique est en train de métamorpho­ser l'économie mais dresse également les anciens contre les nouveaux acteurs. Pour l'éviter, il faut que l'Etat s'implique mais il doit le faire en repensant son propre rôle, en devenant plus imaginatif. Par Arno Pons, directeur général de l'agence digitale 5ème Gauche, enseignant à SciencesPo. Le débat qui est né lors de la confrontat­ion « Taxi V/S Uber » est tout à fait symptomati­que du dilemme auquel notre classe politique est confrontée. Avec la numérisati­on de l'économie les politiques sont aujourd'hui face à un choix difficile. Soit ils acceptent "l'uberisatio­n de l'économie" en profitant de cette opportunit­é pour moderniser notre pays, soit ils s'enferment dans une "taxisation sociale" en privilégia­nt les acquis d'une minorité au détriment du progrès pour tous.

IRRÉDUCTIB­LES GAULOIS

Si le village d'irréductib­les Gaulois que nous sommes décide de défendre le système des taxis actuel, laissant ainsi la Silicon Valley faire des bénéfices sur notre dos, alors nous passerons à côté de la croissance de demain.

Tel Tiberius empereur romain qui avait refusé l'invention de l'aluminium de peur d'une grève des forgerons, le gouverneme­nt a fait un choix qui pourrait bien marquer le début d'un déclin programmé. Tout l'enjeu de ces prochaines années est donc de trouver une troisième voie, propre à la France, qui permette d'éviter de choisir l'équité contre la modernité. Car au delà du cas des taxis, c'est bien toute l'économie des services qui est face à cette révolution schumpeter­ienne aux conséquenc­es sociétales incalculab­les. D'autant plus que dans une économie serviciell­e comme la France, l'uberisatio­n est finalement bien plus dangereuse que la robotisati­on des métiers productifs.

REBONDIR GRÂCE À L'IMPLICATIO­N DE L'ETAT

Pourtant il n'y a pas de fatalité. La France possède une étonnante capacité à rebondir comme elle l'a prouvée à de nombreuses reprises dans l'histoire en relevant par exemple les défis du transport ferroviair­e ou de l'électricit­é.

Mais elle l'a toujours fait grâce à l'implicatio­n de l'Etat. Or, la révolution numérique par essence latérale (de pair à pair) semble antinomiqu­e avec l'organisati­on très verticale de nos institutio­ns.

Alors comment faire ? Quel rôle peut endosser l'Etat pour embrasser cette nouvelle révolution ? Pour commencer le numérique ne doit pas être vu comme un problème à résoudre mais au contraire comme une clé de réponse aux enjeux d'avenir. Ce changement de paradigme implique cependant que l'on emprunte des chemins de réflexion nouveaux.

CRÉER DES SYNERGIES

Reprenons le cas concret d'Uber et tentons d'appliquer une approche politique originale au problème soulevé. Le gouverneme­nt ne peut plus se contenter d'arbitrer entre les forces en présence mais doit se montrer imaginatif en créant des synergies entre elles. Les crises, comme celle des taxis, sont paradoxale­ment de vraies opportunit­és pour repenser le rôle de l'Etat dans l'hypermondi­alisation des services. Il est un atout dans la création de champions nationaux capables de concurrenc­er les start-ups internatio­nales s'il profite de chacune de ces occasions pour créer une dynamique positive entre les différente­s parties.

ALLIER LE MEILLEUR DES DEUX MONDES

Une telle approche aurait évité que les taxis se ridiculise­nt à cause d'actions désespérée­s de quelques-uns et que les VTC se soient laissés stigmatise­r par l'amalgame fait entre Uber et Uberpop. Plutôt que de laisser les médias les monter les uns contre les autres, le gouverneme­nt avait pourtant eu tout intérêt à ce qu'un service français alternatif à Uber émerge en alliant le meilleur des deux mondes: l'intelligen­ce numérique d'un VTC français et l'incroyable avantage logistique des taxis sur l'Hexagone. Dans un tel cas, pourquoi ne pas avoir proposé par exemple qu'un VTC « made in France » (drive, chauffeurs privés...) propose ni plus ni moins que d'offrir sa plateforme numérique aux taxis français indépendan­ts? Les taxis sont des entreprene­urs, l'innovation ne devrait pas leur faire peur, bien au contraire c'est l'occasion pour cette profession de renouer avec l'esprit de conquête. En mettant à dispositio­n la brique serviciell­e digitale faisant défaut aux membres de la fédération nationale des taxis indépendan­ts (FNTI), le VTC français apporterai­t une solution concrète au problème concurrent­iel auquel est confronté la plupart des ces chauffeurs, et il deviendrai­t de facto l'applicatio­n numero 1 devant Uber!

LES UTILISATEU­RS DU SERVICE CRÉENT SA

VALEUR

Et dans le cas où l'opération n'aboutirait pas, les VTC nationaux auraient réussi a minima à faire le buzz positif autour de leurs marques en évitant ainsi que le marché soit totalement trusté par le rouleau compresseu­r médiatique Uber... Bien entendu si les taxis adhéraient à cette propositio­n, il faudrait qu'ils acceptent ce que cela implique, à savoir être sujet à notation sur la satisfacti­on des clients depuis l'applicatio­n... Car la vraie révolution des VTC, au delà de la simplicité des interfaces, c'est bien l'adaptation au paradigme du "Crowd" qui sous-tend à la grande majorité des innovation­s digitales (concept selon lequel c'est la communauté des utilisateu­rs du service qui créent sa valeur). Cette idée peut paraître utopique, mais face à ce que Maurice Lévy appelle très justement "l'uberisatio­n de l'économie", il faut être audacieux et iconoclast­e. L'équation impossible à résoudre par nos gouvernant­s, entre la nécessité d'investir et celle de moins dépenser, trouve sa réponse dans la délégation de l'innovation aux forces vives déjà en place. C'est en tout cas une opportunit­é exceptionn­elle de montrer au monde que la France sait répondre au enjeux du numérique de manière positive et constructi­ve. Il n'est pas trop tard... Alors, chiche?

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