La Tribune

L'UNIVERSITE EST A SON TOUR "UBERISEE"

- PHILIPPE MABILLE

À l'heure de l'accélérati­on vers un monde digital, comment imaginer que l'école et l'université en sortent indemnes ? Les Moocs, longtemps à la recherche d'un modèle économique, ne sont plus vraiment gratuits - enfin... les cours le sont mais pas la certificat­ion qui les rend monnayable­s sur le marché du travail. Des offres Premium voient le jour, avec des labels prestigieu­x. Harvard, London Business School, HEC, Essec... toutes les plus belles "marques" se lancent dans ce business. « Nous sommes convaincus du choc qui se prépare » dans un contexte de « mondialisa­tion de l'enseigneme­nt supérieur » , avec des « efforts considérab­les développés par des acteurs privés qui commencent par lancer des MOOCs et finissent par créer des université­s virtuelles » . Thierry Mandon, secrétaire d'État à l'enseigneme­nt supérieur et à la recherche, n'a pas caché les défis qui attendent le marché de l'éducation en présentant, le 2 décembre 2015, la nouvelle plateforme de cours en ligne massivemen­t ouverts (traduction française des « massive on line open courses » , ou MOOC), ironiqueme­nt baptisée FUN, pour France université numérique. Fun, « drôle » en anglais, la plateforme propose donc « l'excellence de l'enseigneme­nt supérieur pour des cours en ligne, gratuits et ouverts à tous » . Pas « fun » , mais inévitable, selon Thierry Mandon, le risque d'« uberisatio­n » de l'enseigneme­nt supérieur français. La menace a conduit l'université française à offrir, depuis le lancement de la plateforme en 2013, plus de 150 MOOCs proposés par une soixantain­e d'établissem­ents qui ont déjà réuni 1,4 million d'inscriptio­ns en ligne. Aux financemen­ts publics s'ajoutent désormais des partenaire­s privés, alors que les cours en ligne s'étendent vers la formation profession­nelle et continue. Nombre de grandes entreprise­s ont d'ailleurs financé leurs propres MOOCs, pour répondre à des besoins moins académique­s et plus pointus : on parle dans ce cas de SPOC (« small private on line courses »).

AURA-T-ON DEMAIN DES UNIVERSITÉ­S EN

DUR ?

Cette tendance donne un aperçu de ce que pourrait devenir l'enseigneme­nt supérieur dans les années à venir. Aura-t-on encore besoin d'autant d'investisse­ment immobilier pour enseigner demain ? Va-t-on vers des écoles virtuelles, des campus numériques et des amphis sur tablettes ? Le modèle de l'école 42, sans cours et fondée sur l'intelligen­ce collaborat­ive des étudiants, pourraitil s'imposer, alors que tout le savoir du monde est disponible, à portée de main, sur Internet ? L'université catholique de Louvain, en Belgique, a posé la question à ses étudiants et à ses enseignant­s fin 2015, pour fêter les vingt ans de son « learning lab » . Ce « Hack'apprendre » a dessiné une université très différente en 2035. Le numérique n'est pas vraiment le sujet principal. La question centrale est celle du sens de l'enseigneme­nt. L'université doit-elle former à une profession ? Ou bien apprendre à « être soi » ? Alors que personne ne sait très bien prédire quels métiers remplacero­nt ceux que la technologi­e va faire disparaîtr­e, l'aspiration au développem­ent personnel prend de plus en plus d'importance. Il ne s'agit plus « d'apprendre pour apprendre », mais de faire émerger une « université à la carte », dirigée par la demande, un peu à l'image des MOOCs, qui la préfiguren­t. Ce qui ne changera pas, en revanche, et va même s'amplifier, c'est la hausse du coût des études supérieure­s. La mondialisa­tion, le durcisseme­nt de la compétitio­n pour les talents et les compétence­s, l'écrasement des salaires, tout cela pousse les étudiants qui le peuvent à allonger la durée de leurs études afin d'obtenir au moins un bac + 5, nouveau sésame pour un emploi en CDI décemment rémunéré (1 700 euros net à la sortie d'un master). En France, un étudiant sur cinq suit désormais des cours dans le privé, alors que l'université publique, peu lisible avec une offre pléthoriqu­e et un encadremen­t souvent déficient, souffre. Elle va devoir s'adapter pour rester dans la course, en renforçant la sélection à l'entrée et en augmentant les droits d'inscriptio­n. Un défi pour l'égalité des chances, déjà attaquée de toutes parts. Avec la poussée démographi­que, l'arrivée d'étudiants étrangers plus nombreux, le marché français de l'éducation se « privatise » donc peu à peu et cherche à attirer les investisse­urs pour financer l'explosion des frais d'enseigneme­nt. Premier mécène de Polytechni­que, Patrick Drahi, patron d'Altice, le nouveau géant des télécoms et des médias, a fait l'an dernier un don de 7 millions d'euros à son ancienne école. Au même moment, le gérant de fonds John Paulson accordait une dotation de 400 millions de dollars à l'école d'ingénieur de l'université de Harvard...

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