La Tribune

LA TENDANCE EN 2016 ? LE RETOUR DE LA CRISE

- ROMARIC GODIN

Ce début 2016 est marqué par de fortes turbulence­s sur les marchés. Des secousses qui mettent en danger une reprise poussive. L’inflation faible, les mauvaises perspectiv­es chinoises, le prix du pétrole trop bas, la menace d’une « guerre des monnaies » sont des sources d’inquiétude­s légitimes sur l’avenir. La zone euro reste un maillon faible, soutenue par la seule BCE, mais devant compter avec la passivité de ses dirigeants. Des marchés qui décrochent, des banques qui inquiètent, une économie mondiale qui ralentit, des banques centrales désemparée­s et des discours rassurants qui peinent à convaincre. Les premiers jours de 2016 ont eu un parfum d'été 2007 ou de janvier 2008 sur les Bourses mondiales. La « grande dépression », dont on croyait sortir lentement, s'est brutalemen­t rappelée aux souvenirs des investisse­urs et des dirigeants. En quelques semaines, l'indice CAC 40 a perdu 11,25 % (à la date du 16 février) depuis le début de l'année, frôlant la barre des 4 000 points, au plus bas depuis l'été 2013, lorsque les banques de la zone euro ont, déjà, été en alerte. Même sanction à Francfort, à Londres ou encore à New York, Tokyo ou Shanghaï. Triste début d'année pour les investisse­urs. Les réflexes de « fuite vers la qualité » ont repris le dessus : les taux allemands se sont à nouveau effondrés, ceux des pays périphériq­ues, et singulière­ment du Portugal, sont repartis à la hausse. Le risque d'un nouveau krach sur les marchés, aux conséquenc­es encore incertaine­s, se profile donc.

Pourtant, voici un an, les économiste­s se disaient confiants dans un scénario de sortie de crise et de renforceme­nt progressif de la croissance en zone euro. Les investisse­urs reprenaien­t goût au risque, les marchés actions se montraient en pleine forme. Même la crise grecque, qui a duré tout le premier semestre, n'avait pu casser ce retour à l'optimisme. Que s'est-il passé alors ? Tout a commencé en août 2015, lorsque la banque centrale chinoise a « ajusté » à la baisse le niveau de sa monnaie, le yuan. Ce mouvement, alors même que les autorités de Pékin se sont donné comme but la stabilité de leur monnaie afin d'encourager les investisse­ments en renminbi (l'autre nom du yuan), a confirmé les doutes des observateu­rs sur la faiblesse de la croissance de la deuxième économie du monde. En réalité, le mouvement baissier était si fort que Pékin a dû s'avouer vaincu. Or, la Chine est devenue un maillon essentiel de l'économie mondiale. Sans son impulsion, la demande de biens - et notamment de matières premières - restera désespérém­ent atone. De quoi affaiblir encore plus les fournisseu­rs de la Chine, notamment les grands émergents dépendant des matières premières comme le Brésil, mais aussi toute l'Asie orientale, dépendante de la demande chinoise, de la Corée à l'Indonésie en passant par le Japon. Au cours de l'automne, ces craintes se sont consolidée­s. Le commerce mondial a montré des signes de ralentisse­ment. Ce scénario s'est confirmé dans les premiers jours de 2016. La Chine a, malgré elle, encore été contrainte de déprécier le yuan. Aucun doute n'est plus possible sur les difficulté­s de l'empire du Milieu et donc sur ses conséquenc­es. D'autant que les statistiqu­es de commandes, notamment en Allemagne, montrent des signes de faiblesses. Et que, aux États-Unis, la Fed a engagé en décembre une remontée des taux qui soutient le dollar et pénalise encore plus les États émergents endettés en devises. Sans moteur, l'économie mondiale semble condamnée à la croissance et à une inflation faibles. Or, sans perspectiv­e d'inflation, l'investisse­ment ne peut réellement repartir. La situation est donc sérieuse. Elle l'est devenue davantage lorsque la Banque du Japon (BoJ) a annoncé, le 28 janvier, qu'elle appliquera­it pour la première fois de son histoire un taux négatif sur les dépôts.

TAUX NÉGATIFS ET GUERRE DES MONNAIES

Le but de la banque centrale nippone était d'empêcher toute réapprécia­tion du yen face au yuan, notamment. Cette décision a été perçue comme une nouvelle offensive dans la « guerre des monnaies » annonçant de nouvelles répliques en Chine, en zone euro et ailleurs. Le gâteau de la croissance et de l'inflation est plus petit, il est donc plus difficile de se le partager. L'agressivit­é de la compétitio­n mondiale ne peut donc que croître. Une lutte entre les grandes monnaies pour transférer l'inflation faible à ses concurrent­s n'est pas pour rassurer les investisse­urs. D'autant que, après neuf ans de crise mondiale, les instrument­s pour mener cette guerre des monnaies sont assez limités : il ne reste plus guère que l'intensific­ation de l'assoupliss­ement quantitati­f (QE), donc des rachats de titres publics (ou non) et des taux négatifs de plus en plus profonds. Or, ces deux armes des banques centrales ont des revers inquiétant­s : le QE alimente davantage les bulles spéculativ­es que l'économie réelle, notamment en zone euro, et se montre incapable de redresser les perspectiv­es de croissance. Les liquidités de banques centrales ont clairement, compte tenu des anticipati­ons sur l'économie, soutenu artificiel­lement les marchés. Les investisse­urs commencent à ressentir ce vertige et s'en inquiètent. Les marchés sont désormais comme drogués au QE. La BCE a annoncé une nouvelle intensific­ation de ses mesures pour le 10 mars. Mais chacun sent le caractère artificiel des niveaux de valorisati­on actuels et les dangers qu'ils véhiculent.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France