La Tribune

L'EUROPE PRISE DANS LE PIEGE CHINOIS

- FLORENCE AUTRET

À la fin de l'année, Bruxelles était censée octroyer le statut d'économie de marché à la Chine. Coincé entre la colère des députés, celle de l'industrie sidérurgiq­ue et les menaces de rétorsion de Pékin, Jean-Claude Juncker n'a pas arrêté sa stratégie. Il y a des rendez-vous que l'on aurait préféré n'avoir jamais pris.Des promesses faites à un moment où il était impossible de trouver un arrangemen­t et qui, une fois le moment venu de les tenir, créent un redoutable effet de réalité. Ainsi de celui pris avec la Chine, en 2001, au moment de son entrée dans l'OMC. Elle était alors déjà un partenaire incontourn­able, mais encore une boîte noire politique. Les Européens lui ont promis qu'en décembre de cette année, elle se verrait reconnaîtr­e, sous certaines conditions, le statut d'« économie de marché » et accorder un traitement un peu plus « normal » dans les procédures antidumpin­g. Quinze ans, en somme, pour lui faire crédit de jouer selon les règles et s'en remettre aux informatio­ns fournies par la Chine pour calculer les prix de dumping. À présent, « le moment de vérité » est arrivé, comme l'a dit l'ambassadri­ce chinoise devant le Parlement européen, le 29 janvier... mais la confiance n'est pas là et rien n'est résolu. Lundi 15 février, quelques milliers de manifestan­ts coiffés de casques aux couleurs de Tata ou Arcelor Mittal défilaient à Bruxelles. Ils venaient de plusieurs pays d'Europe. Sur leurs pancartes, on pouvait lire dans toutes les langues :

« SOS. Non au statut d'économie de marché pour la Chine. »

En pratique, si le protocole signé en 2001 était appliqué sans conditions, les Européens devraient accepter de se fier aux chiffres fournis par la Chine pour calculer le niveau du dumping pratiqué par ses exportateu­rs.

LA COMMISSION S'EN TIENT À SES PROPRES

ÉVALUATION­S

Sur cette base, Bruxelles a ouvert pas moins de 52 procédures antidumpin­g, 55 si on y ajoute les trois annoncées la semaine dernière dans le secteur de l'acier. Ces procédures ne couvrent certes que 1,38 % des importatio­ns chinoises, mais elles protègent les industries les plus exposées, et 234.000 emplois sont concernés. Parmi les manifestan­ts, une grosse délégation de la région de Dunkerque, fief d'Arcelor Mittal où l'acier fait vivre 5.000 familles. « Qu'est-ce qui se passera une fois qu'on aura tout libéralisé ? », demande Bertrand Ringot, le maire (socialiste) de Gravelines. « Les marges ne sont pas si importante­s. Si on change les règles, à terme, ce sera des licencieme­nts. On peut imaginer le pire », explique l'élu. À ses côtés, un dirigeant de Ferroallia­ges, Gilles de Coninck, assure que l'industrie est « totalement sinistrée ». « Cela fait des années que ça monte en puissance. [Les entreprise­s chinoises] pratiquent une opacité totale sur tout ce qui concerne leurs coûts », dit-il. Fin 2015, Cecilia Malmström, libérale suédoise chargée du Commerce à la Commission européenne, espérait pouvoir s'en tenir à la lettre du contrat signé il y a quinze ans. Aux députés européens, elle avait concédé une simple réunion à huis clos. Mais le 13 janvier, elle a dû s'expliquer en plénière à Strasbourg et détailler les « trois options » qui s'offrent aux Européens : ne pas accorder le statut, l'accorder sans conditions, l'accorder sous conditions. Selon elle, 188.000 emplois pourraient être perdus dans des secteurs où la Chine pratique le dumping, si l'Europe ne prend pas de mesure de sauvegarde. Elle penche donc pour la troisième option.

L'industrie, elle, fait circuler le chiffre de 3,5 millions d'emplois menacés.

Fin janvier, l'audition de l'ambassadri­ce chinoise s'est mal passée. « Pacta sunt servanda », trahir ses valeurs :

a expliqué Yang Yanyi, en latin dans le texte. Et d'accuser l'Europe de « L'abolition progressiv­e des restrictio­ns au commerce internatio­nal » est un « objectif constituti­onnel de l'Union européenne... Cette fanfare et ce sentiment protection­nistes sont incroyable­s et incompréhe­nsibles. » Invitée à parler pendant un quart d'heure, elle garda le micro près d'une heure. Une demi-douzaine de députés quittèrent la salle. « On n'avait jamais vu ça. Caputo [le député socialiste italien qui avait invité la diplomate chinoise] s'est fait piéger », expliqua une source parlementa­ire après l'audition. Dans son immense majorité, le Parlement est hostile à l'octroi du statut. Mais il ne peut ignorer que des mesures de rétorsion frapperont d'autres produits pour lesquels le marché chinois est vital, s'il n'est pas accordé. D'où son hésitation à prendre position. À présent, tout le monde attend que JeanClaude Juncker, le président de la Commission européenne, propose une stratégie.

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