La Tribune

TAUX D'INTERET NEGATIFS : QUI PERD, QUI GAGNE ?

- IVAN BEST

Les taux d'intérêt négatifs ne concernent pas que les dépôts des banques à la BCE. Si les banques n'accordent pas de prêts à taux inférieurs à zéro - le code civil l'interdit -, les institutio­ns financière­s achètent de nombreux titres assortis de rémunérati­ons négatives. Et peuvent emprunter sur le marché monétaire à moins de zéro. On pourrait penser que les taux d'intérêt négatifs ne concernent que les banques, qui voient leurs dépôts auprès de la BCE non pas rémunérés, mais ponctionné­s, à hauteur d'un taux d'intérêt annuel de -0,3%. De fait, aucun particulie­r ou entreprise ne peut emprunter auprès de sa banque à des taux inférieurs à zéro. Rembourser moins que la totalité du capital emprunté n'est pas admis par le Code civil. Quand on emprunte 100, on doit rembourser 100, plus les intérêts, insistent les juristes. Voilà pourquoi même les prêts indexés sur un taux de référence inférieur à zéro ne voient pas leurs coûts franchir cette limite à la baisse. Si elles n'accordent pas de prêt à taux négatif, ces mêmes banques achètent en revanche, en masse, des titres à la rémunérati­on inférieure à zéro. Des titres émis par les États, mais aussi par les grandes entreprise­s, dont certaines proposent désormais sur le marché des billets de trésorerie « rémunérés » à -0,15%. Quel intérêt pour le prêteur ? La banque, puisqu'il s'agit d'établissem­ents financiers, préfère prêter à -0,15% plutôt que de laisser ses liquidités à la BCE, avec une ponction de 0,3 %. Au total, dans le monde, le montant des titres d'État à rémunérati­on négative atteindrai­t 5.500 milliards d'euros. Décryptage de la stratégie des différents acteurs concernés, bien au-delà des banques.

UNE AUBAINE POUR LES ÉTATS ENDETTÉS

Les premiers grands gagnants des taux d'intérêt négatifs sont les États, endettés. Ils ont tous, bien sûr une gestion très active de leur dette. Contrairem­ent à une idée reçue, colportée y compris par des ministres des Finances, les États, en situation normale, quand les marchés leur accordent leur confiance - en Europe, seule la Grèce n'y a pas droit -, ne remboursen­t par leur dette. Bien sûr, quand un emprunt arrive à échéance, il est remboursé, mais à l'aide d'un autre emprunt. Autrement dit, dans les budgets des États, et contrairem­ent à ceux d'un ménage, il n'existe pas de poste « remboursem­ent du capital ». Seuls les intérêts figurent dans les lois de finances approuvées chaque année par les parlements. Quand les taux d'intérêt chutent, ce poste budgétaire diminue - ou tout au moins n'augmente plus -, même si le stock de dette continue d'enfler à mesure que les déficits s'accumulent. Ainsi, chaque année en France, l'État constate que les intérêts payés sur sa dette ont été moins lourds que prévu. Une économie évidemment bienvenue, de 2 milliards d'euros en 2014. Aujourd'hui, encore mieux, les intervenan­ts financiers sont prêts à payer pour acheter des titres émis par l'Agence France Trésor. Une situation qui peut paraître aberrante... mais ne l'est pas tant que ça. Car les banques ont le choix entre laisser leurs liquidités en dépôt à la BCE, avec une rémunérati­on négative, à hauteur de 0,3 %, et prêter à l'État en perdant « seulement » 0,20 %. La différence peut paraître minime, mais sur des sommes importante­s, elle joue considérab­lement. Il est même arrivé que les opérateurs prêtent à l'État en perdant encore plus d'argent qu'auprès de la BCE. En novembre, l'Agence France Trésor a émis des titres à court terme assortis d'une rémunérati­on négative de 0,29%, alors que la BCE ne ponctionna­it les dépôts « que » de 0,20%. Comme l'explique Maya Atig, directrice générale adjointe de l'Agence France Trésor, dans une interview à l'Institut Messine*, ce choix tient d'abord « aux anticipati­ons formulées par les marchés concernant les taux de la BCE ». De fait, « beaucoup estimaient très probable qu'il diminue encore, ils préféraien­t dès lors opter pour une rémunérati­on encore plus négative de leur liquidité pendant six mois ou un an afin de se protéger contre le risque d'une nouvelle baisse des taux de la BCE sur la même période ». C'est ainsi que, dès 2012, l'État a pu emprunter à court terme à taux négatifs, soit bien avant que la BCE ne décide son passage en territoire négatif (juin 2014). Autre argument : les opérateurs préfèrent avoir en portefeuil­le des titres liquides, qui peuvent générer de la plusvalue, plutôt que des sommes en dépôt à la BCE.

QUAND L'ENTREPRISE SE MUE EN BANQUIER

Pour le directeur administra­tif et financier de Veolia Environnem­ent, Philippe Capron, les taux d'intérêt négatifs sont bien sûr une aubaine. « J'ai émis pour trois milliards d'euros de billets de trésorerie rémunérés à des taux négatifs, explique-t-il à l'Institut Messine. Ce sont bien sûr des établissem­ents financiers qui prêtent à Veolia Environnem­ent. Cette somme, je la replace pour grande partie dans des Sicav monétaires assorties de taux positifs. » Des placements dits « dynamiques », rémunérés à hauteur de 0,50% à 0,75% et qui restent comptablem­ent considérés comme de la trésorerie. En somme, l'entreprise de services se mue peu ou prou en banque.

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