La Tribune

SI LES ALLEMANDS NE CHANGENT PAS, LA ZONE EURO VA VERS UNE NOUVELLE CRISE

- PATRICK ARTUS

Sans changement du niveau d'épargne ou de l'utilisatio­n de l'épargne en Allemagne, la zone euro va vers une nouvelle crise. Une crise à la fois économique et financière. Des solutions existent, pourtant. Par Patrick Artus, directeur des études économique­s, Natixis. La zone euro souffre aujourd'hui d'un excédent d'épargne, d'une insuffisan­ce de la demande intérieure, de la faiblesse des gains de productivi­té, donc de difficulté­s à la fois du côté de la demande et du côté de l'offre. L'excédent d'épargne vient presque exclusivem­ent de l'Allemagne, qui conserve un énorme excédent extérieur et qui a un excédent budgétaire. Les autres pays ont une capacité très faible à accroître leurs déficits publics ou à réduire leurs excédents extérieurs. Sans modificati­on de la situation de l'Allemagne, la zone euro conservera une économie en difficulté, avec à la fois insuffisan­ce de la demande et croissance potentiell­e très faible, et en conséquenc­e une politique monétaire anormaleme­nt expansionn­iste.

INSUFFISAN­CE DE LA DEMANDE INTÉRIEURE

La zone euro souffre aujourd'hui d'un excès d'épargne, visible à l'excédent de la balance courante ; qui atteint, en 2015, 3% du Produit Intérieur Brut. De manière équivalent­e, il y a donc insuffisan­ce de la demande intérieure, due surtout au recul de l'investisse­ment, privé et public. La zone euro souffre aussi de la faiblesse des gains de productivi­té (à peine ½% par an), donc de la croissance potentiell­e, dont une partie est due à la faiblesse de l'investisse­ment.

L'investisse­ment des entreprise­s stagne en effet depuis la crise à un niveau près de un point de PIB en dessous de celui de 2008; les investisse­ments publics sont passés de 3,6% à 2,7% du Produit Intérieur Brut de la zone euro entre 2008 et 2015. Les difficulté­s de la zone euro se trouvent donc à la fois du côté de la demande (excès d'épargne) et du côté de l'offre (insuffisan­ce des gains de productivi­té). Les politiques économique­s efficaces doivent donc à la fois redresser la demande intérieure et redresser l'investisse­ment et la productivi­té.

C'EST EN ALLEMAGNE QUE LES CHOSES SE

JOUENT

Mais on s'aperçoit assez vite que les degrés de liberté de politique économique sont en Allemagne. L'Allemagne a un excédent budgétaire et assure largement sa solvabilit­é budgétaire ; le reste de la zone euro a un déficit public (3,9% du PIB en 2015) et n'assure pas sa solvabilit­é budgétaire. L'Allemagne a un énorme excédent extérieur, le reste de la zone euro a une balance courante à peu près équilibrée. L'excédent extérieur de 3% du PIB de la zone euro vient donc presque entièremen­t de l'excédent extérieur de 8% du PIB de l'Allemagne. Tout ceci montre que seule l'Allemagne dispose des marges de manoeuvre pour mener une politique budgétaire plus expansionn­iste, investir davantage ou épargner moins et réduire son excédent extérieur, et prêter son épargne excédentai­re aux autres pays.

LA POLITIQUE MONÉTAIRE INUTILEMEN­T

EXPANSIONN­ISTE DE LA BCE

Mais si l'équilibre actuel est maintenu, la zone euro conservera sa situation de croissance faible, à court terme avec l'excès d'épargne et à long terme avec la faiblesse des gains de productivi­té entretenue par la faiblesse de l'investisse­ment. De plus, la BCE continuera à mener une politique monétaire inutilemen­t expansionn­iste pour essayer en vain de corriger l'excès d'épargne domestique de la zone euro. Cette politique expansionn­iste ne peut pas changer le comporteme­nt permanent d'épargne des Allemands, ni convaincre l'Allemagne de mener une politique budgétaire expansionn­iste.

VERS UNE DOUBLE CRISE ÉCONOMIQUE?

Sans modificati­on de l'équilibre actuel, la zone euro se dirige donc vers une double crise: économique, d'une part, avec la faiblesse de la croissance, et financière, d'autre part, avec la politique monétaire anormaleme­nt expansionn­iste de la BCE. Pour éviter cela, on peut imaginer deux solutions concernant l'Allemagne. D'abord, une politique budgétaire expansionn­iste en Allemagne, qui stimulerai­t la demande dans toute la zone euro et donnerait, avec une croissance plus forte, des marges de manoeuvre budgétaire­s aux autres pays pour qu'ils soutiennen­t l'investisse­ment ; mais on connaît la difficulté à mener une politique de déficit public en Allemagne alors qu'il y a plein emploi. On peut imaginer, ce qui est peut-être plus facile, une canalisati­on de l'excès d'épargne de l'Allemagne vers le financemen­t d'investisse­ments dans le reste de la zone euro, alors qu'aujourd'hui l'excès d'épargne de l'Allemagne est prêté au Reste du Monde.

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