La Tribune

IRLANDE : LA FACE CACHEE DE LA CROISSANCE

- ROMARIC GODIN, A DUBLIN

Malgré une croissance "chinoise" (+6,9% en 2015), les Irlandais sont mécontents et s'apprêtent à sanctionne­r le gouverneme­nt, lors des prochaines élections. Un paradoxe qui s'explique par la réalité de l'économie irlandaise. « Vous ne ressentez pas la reprise ? Vous avez l'impression que vous vivez dans une Irlande différente de celle qu'habite votre gouverneme­nt ? Vous n'êtes pas le seul ! » L'affiche de Carol Hunt, ancienne journalist­e et candidate indépendan­te dans la circonscri­ption de Dún Laoghare, au sud de Dublin traduit un état d'esprit assez général en Irlande avant les élections du 26 février. « Les gens sont encore très en colère », confirme Cormac Bourke, rédacteur en chef du Sunday Independen­t, le principal quotidien dominical du pays. Malgré des taux de croissance qui rappellent le « tigre celtique » qu'a été le pays dans les années 2000, l'ambiance est décidément morose dans l'île verte.

BILAN APPAREMMEN­T FLATTEUR

Pourtant, les statistiqu­es sont flatteuses pour le gouverneme­nt sortant du Taoiseach (Premier ministre, prononcez « tichek ») conservate­ur Enda Kenny. En 2015, la croissance du PIB a atteint des niveaux « chinois », 6,9 %. Une croissance de 4,5 % est attendue pour 2016. Le taux de chômage est retombé de 15 % en 2012 à 8,2 % actuelleme­nt. L'Irlande connaît une augmentati­on de ses exportatio­ns à deux chiffres depuis deux ans et c'est un des rares pays de la zone euro où l'on investit massivemen­t (+ 26 % cette année). La consommati­on est en forte hausse de plus de 3 %. On comprend, dans ces conditions, qu'Enda Kenny et ses alliés travaillis­tes aient fait de la continuité de leur politique le point central de leur campagne. D'où ce slogan qui s'affiche partout dans les rues de Dublin et tranche avec celui de Carol Hunt : « Laissons la reprise continuer ». Pourtant, la confiance des consommate­urs ne se traduit pas en confiance des électeurs. Comment expliquer ce paradoxe ?

LA CROISSANCE ? QUELLE CROISSANCE ?

« Personne ne met évidemment en doute le retour à la croissance, mais les gens sont encore très en colère parce que leur situation personnell­e n'est pas revenue au niveau d'avant la crise de 2008. Ils veulent retrouver leurs revenues, leur niveau d'imposition, leurs emplois et leur maison, pour beaucoup », Fionnán Sheahan, rédacteur en chef au Irish Independen­t, un des analystes les plus écoutés de la vie politique irlandaise. « Les chiffres de la croissance économique­s importent peu à l'électeur s'il ne les ressent pas dans son porte-monnaie », ajoute Conor O'Donnell, directeur du très conservate­ur Irish Daily Mail. Par exemple, les salaires des fonctionna­ires n'ont jamais retrouvé leur niveau d'avant la crise. A cela s'ajoute le traumatism­e persistant des années de crise et des politiques d'austérité menées par l'actuel gouverneme­nt, du moins jusqu'en 2013.

L'ÉPINE DU LOGEMENT

Dans le détail, plusieurs éléments semblent cristallis­er les mécontente­ments. D'abord, la question du logement. Alors que les prix repartent à la hausse à Dublin, beaucoup d'Irlandais ont été privés de leur propriété et les banques, devenues très prudentes, prêtent peu aux jeunes, notamment à ceux dans des situations précaires. 82.000 ménages sont encore confrontés à un surendette­ment immobilier auquel ils ne peuvent faire face. Or, comme le remarque Fionnán Sheahan, « culturelle­ment, la possession d'un logement est extrêmemen­t importante pour les Irlandais ». Ces difficulté­s sont particuliè­rement mal ressenties, donc. D'autant que le pays connaît de graves problèmes de logement avec l'émergence d'un phénomène oublié, celui des sans-abri qui a alimenté la polémique au cours de l'année 2015.

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