CHIFFREMENT : POURQUOI APPLE RESISTE AU FBI ET A LA NSA
Apple refuse de fabriquer un logiciel de déchiffrement pour que le FBI puisse accéder au contenu des conversations d’un terroriste de San Bernardino, comme le lui a demandé la justice californienne. La NSA accuse aussi le chiffrement des smartphones d’avoir empêché la détection des attentats de Paris. Mais la firme à la Pomme a de bonnes raisons de résister à ces pressions. Explications. Apple n'a pas l'habitude de jouer les rebelles. D'ordinaire, la firme à la Pomme se conforme sans problème aux décisions de justice, et revendique même son côté "bon élève". Mais pas cette fois. Mardi 16 février, une juge de l'Etat de Californie a ordonné à Apple d'aider les enquêteurs chargés de l'attaque terroriste de San Bernardino, qui a causé quatorze morts et dix-sept blessés le 2 décembre dernier. Le FBI réclame l'accès aux informations contenues dans l'iPhone 5c de Syed Rizwan Farook, l'auteur de la fusillade. Car à cause du système de chiffrement par défaut de l'iOS 8, les autorités se retrouvent dans l'incapacité de récupérer le détail des conversations. La justice californienne a donc exigé d'Apple qu'il fournisse une "assistance technique raisonnable" au FBI, sous la forme d'un logiciel capable d'empêcher la suppression automatique des données au bout de dix tentatives infructueuses pour deviner le mot de passe. Ce qui permettrait au FBI d'essayer toutes les combinaisons possibles.
Mais pour Apple, les autorités franchissent là une ligne rouge. Tim Cook, son PDG, a jugé la demande "sans précédent" et "inacceptable". Le géant californien refuse même catégoriquement de s'y soumettre. Cette prise de position très ferme a déclenché un véritable bras de fer politique et médiatique entre les entreprises technologiques d'une part, et les autorités américaines de l'autre. Google, Facebook et même Edward Snowden ont apporté leur soutien à Apple. De son côté, le FBI a reçu l'appui de la NSA, l'agence nationale de sécurité américaine. Michael Rogers, son patron, a dégainé jeudi un argument de choc, déjà entendu plusieurs fois ces derniers mois. Il a affirmé que les attentats de Paris du 13 novembre dernier "n'auraient pas eu lieu" sans l'utilisation d'outils de communications cryptés par les djihadistes, car le chiffrement leur aurait permis d'échapper aux radars de la surveillance. Ces arguments soulèvent une question sensible: où placer le curseur entre liberté et sécurité face à la menace terroriste? Mais Apple présente de bons arguments pour refuser son aide aux enquêteurs. Revue de détail.
RAISON NUMÉRO 1 : CETTE DÉCISION CRÉERAIT UN PRÉCÉDENT JURIDIQUE QUI PORTE ATTEINTE À LA PROTECTION DE LA VIE
PRIVÉE...
A quoi sert le chiffrement ? Mis en place après le scandale Prism révélé en 2013 par Edward Snowden (la surveillance de masse pratiquée par la NSA dans le monde entier), le chiffrement empêche l'accès aux informations sensibles comme les conversations privées, les photos, les vidéos, les contacts, les mots de passe et les informations de paiement. Il s'agit d'un système de sécurité visant à protéger ces données des cybercriminels, hackers, acteurs de l'espionnage économique et des services secrets étrangers, notamment chinois. Concrètement, cela signifie que les contenus sont rendus illisibles grâce à l'action d'une "clef", que personne d'autre ne possède à part l'utilisateur. Même pas Apple, qui ne peut donc pas la transmettre aux autorités dans le cadre de leurs enquêtes. Dans sa lettre ouverte aux clients d'Apple, Tim Cook justifie son refus par le caractère "dangereux" de la demande. Le tribunal se veut rassurant : selon lui, il s'agit uniquement d'accéder à un seul smartphone, celui du terroriste de San Bernardino. Mais Apple, rejoint par les associations de défense des libertés, craint que cette décision historique ouvre une brèche juridique pour demander -et obtenir- l'accès à du contenu chiffré pour d'autres finalités. Cela représente donc à leurs yeux une attaque majeure contre la liberté d'expression et le droit à la vie privée. Une instrumentalisation de la menace terroriste pour affaiblir les libertés publiques.
... ET À LA CONFIANCE DES UTILISATEURS
Apple -comme Google et Facebook- craint aussi les répercussions économiques. L'affaire Snowden a été dévastatrice pour l'image des géants du Net, dont l'ambition est de connecter l'ensemble de la population mondiale et de récolter toujours plus de données personnelles.