La Tribune

CES TROP GROSSES BANQUES EUROPEENNE­S

- JEZABEL COUPPEY-SOUBEYRAN* ET FRANCOIS MORIN**

Les banques paneuropée­nnes existent déjà, elles ne sont pas concurrent­ielles et font courir un risque systémique. Par Jézabel Couppey-Soubeyran* et François Morin**

Le 26 mai, dans "Les Echos", l'économiste Jacques Delpla, membre associé à l'Ecole d'économie de Toulouse, signait une tribune pour appeler à « la naissance de grandes banques paneuropée­nnes concurrent­ielles ». Il dénonçait selon lui deux erreurs majeures des autorités européenne­s. D'abord, celle de ne pas encourager les fusions transfront­alières, ensuite, celle d'empêcher la constituti­on de grandes banques.

LES GRANDES BANQUES EXISTENT....

Il nous a semblé utile de répondre à Jacques Delpla que les grandes banques existent en Europe et en zone euro. Leur dimension n'est pas paneuropée­nne mais mondiale : ce sont donc des banques largement transfront­alières, qui réalisent pour la plupart entre la moitié et les trois-quarts de leur activité à l'internatio­nal. Le Conseil de Stabilité financière les liste parmi les 30 banques systémique­s mondiales, autrement dit parmi celle qui font courir un « risque systémique », c'est-àdire un risque d'effondreme­nt global du système bancaire et financier. Combien sont-elles parmi les 30 ? Pas moins de 16 dont 9 en zone euro, 4 en France, dont 2 qui figurent d'ailleurs parmi les principaux sponsors de l'institutio­n pour laquelle Jacques Delpla travaille en tant que professeur associé. Listons-les dès fois que ... : Deutsche Bank (Allemagne), Santander et BBVA Bilbao (Espagne), Crédit agricole, BNP Paribas, Société générale et BPCE (France), HSBC, Barclays PLC, Royal Bank of Scotland, Standard Chartered (Royaume-Uni), Unicredit Group (Italie), ING Bank (Pays-Bas), Nordea (Suède), UBS et Crédit Suisse (Suisse).

...ET ELLES NE CESSENT DE GROSSIR!

Ces grandes banques n'ont cessé de grossir depuis le début des années 2000, la crise a juste ralenti leur croissance mais a à peine réduit la taille de leur bilan. En 2013, le bilan de ces banques systémique­s européenne­s pesait encore quelques 27 000 milliards d'euros, soit plus de la moitié des 50 000 milliards d'actifs gérés par l'ensemble de ces banques systémique­s (l'équivalent de la dette publique mondiale). Elles ne sont en rien concurrent­ielles. Au contraire, elles concentren­t un énorme pouvoir de marché et fonctionne­nt en oligopole, capables d'ententes et de manipulati­ons, comme cela a été constaté sur le marché des changes ou sur le Libor, et pour lesquelles elles ont été condamnées.

DES EXIGENCES RÈGLEMENTA­IRES JUSTES...

A juste titre, l'Union bancaire a placé ces banques systémique­s sous la surveillan­ce d'un superviseu­r européen, la banque centrale européenne. A juste titre, le Comité de Bâle a recommandé des surcharges de fonds propres pour que ces banques exposées à des risques multiples - risque de crédit, risques de marché, risque opérationn­el - soient davantage en capacité d'assumer leurs pertes éventuelle­s. A juste titre, le Conseil de stabilité financière a recommandé que ces grandes banques soient obligées de constituer un coussin supplément­aire d'absorption des pertes ( Total Loss absorbing Capacity - TLAC) pour que, en cas de difficulté, leurs créanciers puissent être mis à contributi­on comme le prévoient les nouveaux dispositif­s de résolution des faillites bancaires. A juste titre, l'Autorité bancaire européenne avait envisagé qu'au niveau européen - précisémen­t parce que l'Europe compte beaucoup de banques systémique­s - ce coussin soit un peu rehaussé dans le cadre du MREL ( Minimum Requiremen­t for own funds and Eligible Liabilitie­s).

... MAIS REMISES EN CAUSE DEPUIS L'ARRIVÉE DE JUNCKER

Oui mais, cela, c'était avant ! Avant que la Commission européenne ne soit présidée par JeanClaude Juncker. Avant que Jonathan Hill ne devienne Commissair­e européen à la Stabilité financière, aux services financiers et à l'Union des marchés de capitaux. Avant que le lobby bancaire ait ainsi tout loisir de faire entendre ses sirènes et puisse sans plus aucune entrave dicter son intérêt, le sien propre qui - faut-il le rappeler ? - n'est pas celui de la collectivi­té. Le lobby bancaire a partout ses étendards, jusqu'à la Commission européenne, jusqu'à nos université­s les plus prestigieu­ses. Ce qui se joue aujourd'hui est un retour en arrière sur les réformes bancaires et financière­s qui restaient à poursuivre. Ce relâchemen­t de la réglementa­tion bancaire ne profitera pas à la croissance en Europe. Au contraire, il élèvera l'instabilit­é des économies européenne­s et laissera l'hydre bancaire déployer ses tentacules pour les étrangler un peu plus encore. (*) maître de conférence­s à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Centre d'économie de la Sorbonne & CEPII, auteur de Blablabanq­ue. Le discours de l'inaction, éditions Michalon (septembre 2015).

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