La Tribune

FINANCER LE NUCLEAIRE FRANCAIS, EN FRANCE ET AILLEURS

- CLAUDE CRAMPES ET THOMAS-OLIVIER LEAUTIER

Quand la politique veut s'imposer à l'économie... Par Claude Crampes et Thomas-Olivier, économiste­s, TSE La démission fracassant­e de Thomas Piquemal de son poste de directeur financier d'EDF au début du mois de mars 2016 et la séquence politico-médiatique qui a suivi ont mis sur le devant de la scène les difficulté­s financière­s rencontrée­s par EDF pour construire deux tranches de production nucléaire sur le site de Hinkley Point en Angleterre, et plus généraleme­nt les difficulté­s que traverse la filière nucléaire française. Cet épisode met en évidence les erreurs et les errances des politiques publiques, en Grande-Bretagne comme en France. Quelles leçons les économiste­s peuvent-ils en tirer ?

1. RAPPEL DES FAITS

À l'automne 2008, EDF achète British Energy, qui regroupe les activités de production d'électricit­é nucléaire au Royaume-Uni. L'objectif stratégiqu­e de ce rachat est de participer au renouveau du nucléaire au Royaume-Uni, plus précisémen­t de construire de nouveaux réacteurs sur les sites où British Energy est déjà en activité.

En 2013, EDF propose de construire sur le site de Hinkley Point deux réacteurs du type European Pressurize­d Reactor (EPR), développé durant les années 2000 conjointem­ent par Siemens et Areva [1]. À l'issue des négociatio­ns, le gouverneme­nt britanniqu­e garantit que tous les MWh produits par ces réacteurs pendant les 35 premières années de production seront achetés au prix de 92,5 livres/MWh [2]. Fin 2014, la Commission européenne donne son accord à ce contrat, après une enquête sur la conformité du régime d'aides octroyé par le gouverneme­nt britanniqu­e avec les règles de l'UE [3]. L'affaire se complique en 2015. Tout d'abord, la constructi­on de réacteurs EPR s'avère plus difficile que prévue. Le chantier lancé par Areva en Finlande en décembre 2003 s'éternise, ce qui contribue à la quasi-faillite de l'entreprise [4]. Le chantier EPR lancé par EDF à Flamanvill­e fin 2007 s'éternise lui aussi. Même l'EPR Chinois, de CGNPC à Taishan prend du retard. Deuxièmeme­nt, les finances d'EDF se révèlent fragiles. L'internatio­nalisation du groupe dans les années 2000 s'est avérée couteuse, ainsi que la politique de dividende demandée par l'État actionnair­e. L'effondreme­nt des prix sur les marchés de gros réduit - probableme­nt durablemen­t - les revenus et les profits d'EDF. Le rachat d'Areva NP (ex Framatome) contribue encore à la détériorat­ion de la situation financière d'EDF. Au mois de mars 2016, la capitalisa­tion boursière d'EDF est de 21 milliards d'euros, alors que sa dette se monte à 37 milliards d'euros [5]. Dans ces conditions, entreprend­re un programme d'investisse­ment conséquent est délicat. C'est dans ce contexte que le directeur financier d'EDF présente sa démission le 7 mars 2016. Durant les semaines qui suivent, le président de la République française et le Premier ministre britanniqu­e réaffirmen­t leur soutien au projet Hinkley Point. Le départ de Thomas Piquemal, suivant la quasi-faillite d'Areva, l'autre champion français du nucléaire a mis en évidence les faiblesses de la filière nucléaire française, et a forcé l'État à développer et mettre en oeuvre un plan de soutien financier à EDF [6]

.2. LE MARCHÉ ABSENT DU MODÈLE ANGLAIS

Durant la semaine du 7 mars, la presse anglaise s'est fortement opposée au projet Hinkley Point, notamment sur la garantie de rémunérati­on de l'opérateur: le prix garanti par le gouverneme­nt, 92,5 livres/MWh, est trois fois supérieur au prix de marché actuel. Pourquoi construire un réacteur qui produira une énergie dont le prix est manifestem­ent bien plus élevé que le prix du marché ? Pour justifier sa décision, le gouverneme­nt britanniqu­e utilise l'argument suivant : la décarbonat­ion du mix de production est prioritair­e et la production nucléaire est un élément important dans un parc décarboné. La preuve que le gouverneme­nt a obtenu un bon contrat pour les Britanniqu­es est précisémen­t qu'EDF hésite avant d'investir. Cet argument n'est que partiellem­ent convaincan­t. Pour le nucléaire comme pour la plupart des politiques publiques, il faut distinguer deux niveaux de décision.

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