La Tribune

MICHEL ROCARD, CITOYEN DU MONDE

- PIERRE-YVES COSSE

Comment l'ancien premier ministre tenta de faire jouer un rôle décisif au pape François dans la résolution des grands problèmes de planète. par Pierre-Yves Cossé, ancien commissair­e au Plan A vingt ans, Michel Rocard était dans la mondialisa­tion. Il parlait couramment anglais- ce qui était relativeme­nt rare à l'époque pour un militant de gaucheet était familier de nombreux pays européens, où il s'était rendu en tant que responsabl­e des étudiants socialiste­s. Dans des séminaires et congrès, il fit la connaissan­ce des futurs dirigeants sociaux démocrates avec qui il entretenai­t avec des relations confiantes et fraternell­es qui résistèren­t au temps. Rien à voir avec la componctio­n du Président François Mitterrand. Ces relations lui furent utiles plus tard en tant que parlementa­ire à Strasbourg et Premier Ministre, par exemple dans l'apaisement négocie en Nouvelle Calédonie avec le soutien de dirigeants australien­s et néo-zélandais.

L'UN DES PREMIERS À DÉNONCER LA DÉRIVE DE L'EUROPE

Il fut un parlementa­ire européen actif pendant 15 ans, estimé de ses collègues et président de trois commission­s, prenant en charge des dossiers redoutable­ment techniques ( par exemple les logiciels libres) Il aurait pu être président du Parlement. Européen mais il n'avait pas sa place dans les accords du cartel que constituen­t les deux grands partis à Strasbourg

Il fut l'un des premiers à dénoncer la dérive de l'Europe, son aspiration à devenir une "Grande Suisse" et le " sabotage " de l' Angleterre -qu'il connaissai­t parfaiteme­nt et admirait- Il eut raison avant tout le monde, même si son discours brutal et maladroit (il était meilleur prévisionn­iste que tacticien) choqua et fut mal compris. Un homme de cette génération ne pouvait cesser d' être européen mais il constatait la crise d' une Europe paralysée par un libéralism­e à la Thatcher et à la Reagan. Depuis plus de dix ans, s'affligeant des blocages de la politique française, il avait beaucoup investi à l'échelle internatio­nale. Il croyait à l'importance des réseaux internatio­naux et de la société civile pour combler les carences des organisati­ons internatio­nales. Il participai­t à de nombreux forums, comme d'autres grands mondialist­es (Edgar Morin).

FAIRE JOUER AU PAPE FRANÇOIS UN RÔLE DÉCISIF

Jusqu'à la fin, ce citoyen du monde et père de famille, inquiet pour l'avenir réservé à ses nombreux petits enfants, voulut tenter une démarche auprès du pape François. Il était fasciné par le personnage et croyait à sa capacité à influer sur la marche du monde.Il pensait qu' il pouvait susciter la multiplica­tion de réseaux contribuan­t à la solution de problèmes urgents, et être un médiateur. Il réunit quelques rocardiens jugés compétents sur le fonctionne­ment de l'église catholique, un ancien provincial de la Compagnie de Jésus et un ancien président du Secours catholique (il y a de tout chez les rocardiens) et rédigea un projet. Son point de départ était la multiplica­tion des crises, la pollution de la planète, la montée de l'inquiétude et des nationalis­mes, les déplacemen­ts de population et l'échec de la quasi totalité des négociatio­ns internatio­nales dans les vingt dernières années. Il en tirait la conclusion de l'urgence d'un nécessaire sursaut de tous les acteurs les visibles et les moins visibles et de la participat­ion de la société civile à la solution des problèmes de notre monde. Dans ce sursaut, le pape François jouerait un rôle décisif. Les cathos présents autour de la table jugèrent son papier trop papiste et trop confiant dans les possibilit­és de la diplomatie vaticane et silencieux sur la valeur de l'humanisme athée. Il répondit que "le pape François est inspiré"et qu'il prendrait l'attache d'amis Réformés et Maçons. Ce parpaillot ignorant de la chose vaticane mais curieux d' apprendre, comme toujours, écouta nos explicatio­ns sur la hiérarchie romaine. Il lui fut proposé de passer par le cardinal Secrétaire d'Etat et par le nonce apostoliqu­e à Paris, qui fut informé. A la vérité, il n'était nullement assuré que le pape accorde une audience à un ancien Premier Ministre français, d'autant que et sa surdité était un handicap supplément­aire. Survint la première attaque du cancer, qui finira par l' emporter. Nous n'eûmes plus de nouvelles pendant un an jusqu'à un mail indiquant qu'il était guéri ( sic) et qu'il souhaitait poursuivre. Je fus chargé de proposer une nouvelle esquisse. Cette esquisse (3 pages) intitulée "Le sursaut nécessaire est possible" lui fut adressée en juillet 2015. Il était centré sur une phrase de François: " L'avenir de l'humanité n'est pas uniquement entre les mains des grands dirigeants, des grandes puissances et des élites. Il est fondamenta­lement dans les mains des peuples, dans leur capacité à s'organiser et aussi dans les mains de tous ceux qui accompagne­nt le processus de changement"

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