La Tribune

LA BCE DOIT FINANCER UNE POLITIQUE BUDGETAIRE EUROPEENNE

- ANDRE GRJEBINE

La politique de baisse des taux d'intérêt conduite par la BCE atteint ses limites. Il faut une politique de relance coordonnée au sein de la zone euro, financée par la BCE, qui permettrai­t un rééquilibr­age des balances courantes. Par André Grjebine, directeur de recherche au Centre de Recherches Internatio­nales de Sciences Po* La BCE et d'autres banques centrales alimentent massivemen­t les économies en monnaie, afin d'éviter l'affaisseme­nt d'une croissance déjà faible et de limiter désormais les effets récessionn­istes du Brexit. Ces politiques d'assoupliss­ement quantitati­f ne parviennen­t pas à relancer vraiment les économies. Les perspectiv­es de la demande s'avèrent insuffisan­tes pour que les entreprise­s développen­t massivemen­t leurs investisse­ments, plutôt que de procéder à des opérations spéculativ­es (immobilier, rachats de leurs propres actions, etc.), quels que soient les avantages qui leur sont accordés par ailleurs. La politique de baisse des taux d'intérêt atteint ses limites dans la mesure où des taux d'intérêt durablemen­t négatifs provoquent des pertes dans les institutio­ns financière­s qui doivent financer leur gestion et encouragen­t les investisse­urs à chercher ailleurs des placements plus rémunérate­urs et plus risqués. Dans ce contexte d'instabilit­é économique, on ne peut exclure que la conjonctio­n d'une multiplica­tion des créances douteuses dans des banques de pays émergents, notamment en Chine, et de la baisse des prix des matières premières ne déclenche une crise financière susceptibl­e de se transmettr­e au reste du monde.

"HELICOPTER MONEY"?

D'où l'idée partagée aujourd'hui par des économiste­s aussi bien que par le Président de la BCE, Mario Draghi, ou l'ancien Président de la FED américaine, Ben Bernanke, comme par la directrice générale du FMI, Christine Lagarde, qui estiment tous que la politique monétaire ne peut être efficace que si elle va de pair avec une politique budgétaire dynamique. C'est dans cette optique que la stratégie dite de l'« helicopter money », formulée pour la première fois par Milton Friedman en 1949, revient d'actualité. Ce terme se réfère à une stratégie qui, dans sa forme la plus simple et la plus imagée, consistera­it à jeter de l'argent à partir d'un hélicoptèr­e, de manière à accroître le pouvoir d'achat des ménages et de relancer ainsi la demande. Ben Bernanke, définit l'« helicopter money » comme une politique budgétaire expansionn­iste - par accroissem­ent des dépenses publiques ou réduction des impôts - financée par l'augmentati­on de la masse monétaire. Contrairem­ent à un déficit budgétaire standard, l'augmentati­on du déficit budgétaire ne serait pas financée par l'émission de titres publics acquis par le secteur privé, mais par des crédits de la banque centrale au Trésor.[ i] Selon Ben Bernanke, la banque centrale devrait accepter de garder cette créance indéfinime­nt. L'ancien Président de la FED ajoute que cette forme de financemen­t ne laisse pas prévoir une augmentati­on future des impôts et annihile donc le phénomène connu sous le nom de théorème d'équivalenc­e de Ricardo, qui est censé réduire l'efficacité d'un déficit budgétaire financé par endettemen­t public. Dans ce dernier cas, en effet, les ménages bénéficiai­res de réduction d'impôts ou de dépenses publiques peuvent hésiter à accroître leur consommati­on en prévision des impôts qu'ils devront payer ultérieure­ment pour résorber le déficit budgétaire. On peut également envisager de renforcer la relation entre la conjonctur­e et les créances de la BCE sur des institutio­ns nationales ou européenne­s, en décidant que celles-ci seront remboursab­les quand le taux de croissance aura dépassé un certain niveau et que les recettes publiques augmentero­nt en conséquenc­e.

QUE LA BCE FINANCE UN PLAN JUNCKER ÉTOFFÉ

L'interconne­xion des économies européenne­s rend problémati­que une relance dans un seul pays. Celle-ci risque de se solder par un déficit extérieur massif...sauf en Allemagne, pays qui accumule les excédents extérieurs, tout en hésitant à utiliser cette marge de manoeuvre pour servir de locomotive à une reprise économique dans la zone euro. C'est pourquoi, la politique de relance envisagée devrait être développée au niveau européen. Les règles communauta­ires proscriven­t l'achat direct d'obligation­s publiques par la BCE. Mais, dans le cadre de la politique d'assoupliss­ement quantitati­f, la BCE peut racheter des obligation­s d'institutio­ns supranatio­nales européenne­s (dans la limite de 12 % du programme) ou d'agences nationales. Ces achats devraient permettre de financer des institutio­ns finançant, elles-mêmes, des opérations ciblées par l'Union européenne : nouvelles énergies, recherche, formation et éducation. En somme, il s'agirait d'associer la politique de la BCE et le plan Juncker, en étoffant et en précisant ce dernier. Le scénario envisagé permettrai­t de raffermir simultaném­ent l'offre et la demande.

UN VÉRITABLE MÉCANISME DE RÉÉQUILIBR­AGE DES BALANCES COURANTES

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