La Tribune

PORTUGAL : L'ECONOMIE ENCORE FRAGILE DES CHAMPIONS D'EUROPE DE FOOTBALL

- ROMARIC GODIN

La victoire du Portugal à l'Euro 2016 est une forme de revanche sur six ans de crise économique. La politique d'austérité n'a pas pu redresser le pays ni répondre à ses maux réels. La menace de sanctions de Bruxelles ou d'une nouvelle cure de réductions de dépenses publiques devrait encore aggraver la situation. Le premier titre internatio­nal de l'équipe du Portugal gagné dimanche 10 juillet face à la France à Saint-Denis est incontesta­blement une forme de revanche. Revanche sportive sur tant d'échecs subis dans le passé par ce grand pays de football, à commencer par la défaite en finale de l'Euro 2004 face à la Grèce, mais aussi revanche sur plusieurs années de crise et de doutes. Car si la victoire hellénique d'il y a douze ans marquait le triomphe d'un pays en pleine croissance, une forme de chant du cygne avant la crise, celle du Portugal de 2016 intervient dans une économie à peine convalesce­nte d'une des pires crises de son histoire contempora­ine.

LA CONTAGION DE LA GRÈCE AU PORTUGAL

En 2010, la crise de la dette qui frappe la Grèce ne tarde pas à se transmettr­e au Portugal, comme au même moment à l'Irlande. La raison de cette contagion, c'est d'abord l'incapacité des Européens à mettre en place une vraie solidarité au sein de la zone euro avec Athènes. L'aide à la Grèce de mai 2010 est fortement conditionn­elle. En conséquenc­e, les marchés s'inquiètent de voir les autres pays suivre le même chemin que la Grèce. Ils font le tri dans les titres souverains de la zone euro et vendent massivemen­t ceux qui leur semblent à risque. Les obligation­s du Portugal sont de ceuxlà. En 2009, le Portugal affiche un ratio de dettes publiques sur PIB de 83,6 % et un déficit de 9,8 % du PIB.

UNE CROISSANCE DÉJÀ FAIBLE AVANT LA CRISE

Que s'est-il passé ? Le pays n'a pourtant pas connu les taux de croissance des autres pays périphériq­ues. Il n'y a guère eu de bulle au Portugal avant la crise. Entre 1999, date de l'entrée du pays dans la zone euro, et 2008, le PIB portugais réel a crû de 12,8 % contre 36,9 % pour la Grèce et 35,9 % pour l'Espagne. En fait, l'ensemble de la zone euro a connu sur cette période une croissance de 19,2 %, le Portugal a donc réalisé une « sous-performanc­e » avant la crise. Autant dire que l'habituel discours moralisate­ur des « excès qui doivent être payés un jour ou l'autre » ne saurait fonctionne­r dans le cas lusitanien. Avec son entrée dans la zone euro, le Portugal doit faire face à deux défis majeurs. D'abord, la concurrenc­e des pays d'Europe centrale et d'Asie orientale. Ces deux zones concurrenc­ent les produits portugais sur la même gamme : les produits bon marché. Incapable de dévaluer compte tenu de sa présence dans la zone euro, le pays assure sa croissance par la dette privée et publique. Le secteur industriel portugais voit sa part dans le PIB passer de 13,1 % à 11,9 % entre 1999 et 2008. Tout le monde s'endette pour maintenir un niveau de consommati­on permettant de compenser la perte de compétitiv­ité. Le déficit public est constammen­t supérieur à 3 % du PIB, à la fois en raison d'une croissance molle, mais aussi d'un besoin de l'entretenir. Tout ceci est financé par un fort déficit courant où vient se recycler les excédents du nord de la zone euro. L'endettemen­t portugais a donc financé la croissance, mais une croissance faible, ce qui le rendait d'autant plus indispensa­ble. Aussi les investisse­urs avaient-ils en 2010 toutes les raisons de se détourner du Portugal, pays dont le modèle économique était des plus fragiles. Mais dès lors que ce financemen­t externe était perdu, le pays ne pouvait que tomber en récession.

LONGUE RÉCESSION

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