HISTOIRE ET CREATION ARTISTIQUE : UN ROMAN D'ANTICIPATION ?
Ce n'est pas dans l'histoire qu'il faut trouver des vecteurs d’anticipation, mais bien dans la création, assure Philippe Dagen. Pour le professeur d'histoire de l'art contemporain à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et critique d'art, beaucoup d'exemples artistiques dessinent un futur qui ressemble à notre présent. Un éclairage prenant, alors que se tient cette semaine le festival de musiques électroniques Nuits sonores et le forum European Lab, qui vise à imaginer la culture de demain. Pas plus que d'autres histoires, celle de l'art ne se reconnaît de pouvoirs prédictifs. Il y a une raison flagrante à cette prudence. Depuis la seconde moitié du 19e siècle, le mode de la création a été celui de la rupture et du surgissement. La nécessité vivement ressentie d'en finir avec les méthodes et les canons de l'académisme a été déterminante dans l'irruption de ce que l'on appelle l'impressionnisme à Paris à partir de 1874. Celle de renverser l'expressionnisme abstrait selon Pollock et Rothko anime Rauschenberg, Twombly et Johns à New York au début des années 1950. Pour autant, cette explication simple et rationnelle n'a été formulée qu'a posteriori. Tout en connaissant la mécanique des avant-gardes, aucun critique ou historien n'avait vu venir ce mouvement de contestation. On en dirait autant de l'arte povera en Italie en 1969 ou de la Figuration libre en France en 1981. Le premier attaquait l'empire du pop art, le second celui du minimalisme et du conceptuel. Mais on ne l'a compris qu'après coup. S'il était possible de soupçonner que lassitude et désir de liberté devaient alors pousser de jeunes artistes à s'opposer aux générations précédentes, la forme de cette opposition, l'angle d'attaque, le mode opératoire ne pouvaient être décelés - et donc rien du monde de l'art à venir. Il en va de même aujourd'hui.