COMMENT REDONNER DE L'ATTRAIT AUX CENTRES-VILLES ET CENTRES-BOURGS DESERTES ?
Le phénomène s'accélère depuis le début des années 2010, en particulier dans le nord de la France et sur un axe "Meuse-Landes", zone particulièrement touchée par le chômage, selon un rapport rendu au Sénat à l'été 2018 : en quelques années, dans les villes petites et moyennes, la vacance des commerces en centre-ville est passée de 8 à 12%, et jusqu'à 15% dans des villes pourtant aussi renommées que Vichy et jusqu'à plus de 20 % dans certaines zones rurales ! Avec ces nombreux rideaux baissés, c'est tout le dynamisme et l'attractivité de ces quartiers qui perdent de la vitesse.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette désertion et ce déclin : la concurrence avec les centres commerciaux construits à la périphérie de ces villes. Depuis plus de vingt ans, de nombreux centres sont créés, avec bien souvent la complicité des élus, qui n'ont pas su se concerter, anticiper, avec les commissions CDAC, CNAC, véritables machines à autoriser des mètres carrés, sans compter avec l'efficacité du lobbying promoteur. On doit citer également l'arrivée du ecommerce, les conditions sociales parfois dégradées des populations locales et le départ des catégories les plus aisées pour des villes plus importantes, une démographie en berne qui limite la fréquentation des rues, des services publics ou privés fermés ou délocalisés, les difficultés de transports ou de parking, payants et bien trop chers. On peut parfois observer également le manque d'adaptation des heures d'ouverture selon les villes (exemple : ville touristique), et l'on peut déplorer l'absence d'analyse quant à la mutation au sein d'une ville des habitudes d'achat, d'un déplacement de la clientèle vers un nouveau quartier...
Ce processus n'a rien de franco-français, puisqu'il touche de nombreux pays européens. Toutefois en France, ces communes ont véritablement pâti des orientations politiques des dernières décennies en matière de cohésion des territoires et d'urbanisme commercial maitrisé. Plusieurs études font état de leur lente asphyxie, accrue depuis 2010. Notons au passage qu'en 2018, 935.000 mètres carrés ont été autorisés.
Alors qu'elles constituent la "colonne vertébrale" du territoire français, ainsi qu'un indispensable maillage pour garantir la cohésion entre les zones rurales et les métropoles, très largement soutenues, quant à elles, par les réformes territoriales successives des dix dernières années, les petites et moyennes villes ont ainsi de plus en plus de mal à jouer leur rôle structurant de bassin de vie, à l'échelle d'un canton, voire d'un département.
Le devenir des centres-villes tient à coeur à une majorité de Français et nous tient tout spécialement à coeur car, en tant qu'élu ou représentant professionnel issu de la ruralité, nous savons combien la présence d'une ville dans un rayon de cinquante kilomètres au maximum est vitale à la survie des villages environnants. Les maires de ces villes ne font pas que tirer, à raison, la sonnette d'alarme en direction de l'État : leurs initiatives pour endiguer ce phénomène et ramener de la vie en centreville sont nombreuses, car tous sont conscients de la nécessité de moderniser des quartiers afin d'attirer de nouvelles personnes et de nouveaux commerces.
Mais la tâche est énorme car le défi pour les centres-villes, c'est qu'ils doivent effectuer de front une transition économique pour lutter contre la paupérisation des populations locales, aider l'implantation de nouveaux entrepreneurs tout en recentrant l'offre commerciale de proximité - plus sur les métiers de bouche qui bénéficient de la forte demande de "plus local et plus humain", les marchés convoités par les consommateurs qui sont à soutenir davantage. Il est important de les intégrer dans la dynamique de la ville. Certains secteurs souffrent, comme par exemple le prêt à porter ou la chaussure, plus particulièrement concurrencés par le e-commerce. La transition numérique est également incontournable. Un outil au service des acteurs de la ville s'impose, avec l'objectif de faire venir les clients dans la ville en valorisant les offres, afin que les commerçants puissent conserver une clientèle jeune et connectée,
Enfin il faut prendre en compte la transition écologique, notamment concernant les transports urbains - vouloir moins de voitures en ville, c'est bien, à condition que des alternatives de mobilité douce et des facilités d'accès pour ceux qui n'y résident pas soient développées et adaptées à chaque territoire (exemple : des parkings en périphérie, des navettes gratuites).
La réhabilitation des locaux et des logements, ainsi que la sécurisation de ces quartiers après l'horaire de fermeture des commerces restants sont également deux enjeux importants pour attirer de nouveaux habitants. Nous connaissons tous cette vision désolante de quartiers « morts » passée une certaine heure et envahis d'individus peu recommandables : très mauvaise publicité pour les villes qui en sont victimes - un bon plan de dynamisation urbaine ne devrait d'ailleurs pas viser à simplement écarter ces personnes, mais les inviter à s'insérer dans ce processus en vue d'un meilleur vivre ensemble.
95% des Français sondés considèrent que la modernisation des centres-villes "doit constituer un objectif important pour les maires". Mais cet objectif ne saurait être rempli sans le concours de l'ensemble de la chaîne citoyenne, publique et économique, du consommateur aux plus hautes instances de l'État. Ces dernières ont eu un geste fort en mars 2019 avec le lancement du plan de revitalisation urbaine "ORT - Action coeur de ville", qui devrait mobiliser plus de 5 milliards d'euros sur 5 ans et bénéficier à 222 petites et moyennes villes. D'autres initiatives originales sont également à souligner, comme les Sociétés Coopératives d'Intérêt Collectif (SCIC), qui reposent sur un exemple canadien (les sociétés de développement commercial), impulsées par la Confédération des Commerçants de France. La SCIC est une solution nouvelle qui a vu le jour et qui a été inaugurée le 7 juin dans une petite ville rurale, Langogne, au travers d'une zone de 7.000 habitants. Elle a la mérite et l'objectif de rassembler tous les acteurs d'un périmètre : privé (indépendants, unions commerciales, professions libérales, artisans), public, consulaire, associatif, citoyen et salariés dans certains cas. Cela repose sur une économie solidaire, un co-partage de la gestion et de l'animation de la ville, doublée d'une mutualisation des moyens.
La mutation de nos modèles citadins ne doit donc pas seulement déboucher sur des constats et des revendications, quelques justes soient-elles, mais également sur un engagement citoyen pour réinventer les réseaux locaux, qui passe par une étroite collaboration entre les habitants de ces villes, les collectivités locales et territoriales, et les institutions nationales. Gageons que ce plan gouvernemental soit un premier pas dans cette direction.