La Tribune

CETA : LES GAGNANTS ET LES PERDANTS D'UN TRAITE CONTESTE

- GREGOIRE NORMAND

À l'approche des vacances parlementa­ires, les députés français s'apprêtent à ratifier un texte déterminan­t. Lors de la campagne présidenti­elle de 2017, Emmanuel Macron était le seul candidat à défendre ouvertemen­t l'accord de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne. Plus de deux ans après cette course à l'Elysée, les députés de la République en marche tentent de faire un front commun avant le vote ce mercredi 17 juillet dans l'hémicycle. "Le CETA est un traité dont la négociatio­n a débuté en 2009. Il a été mis en oeuvre de manière provisoire en septembre 2017. C'est finalement assez surprenant mais confortabl­e de ratifier un traité déjà en place. On peut déjà en voir les premiers effets. Il faut néanmoins attendre pour pouvoir juger le véritable impact de ces traités de libre-échange", a expliqué devant quelques journalist­es le député des Français d'Amérique du Nord et président de la Commission des affaires économique­s à l'Assemblée Roland Lescure.

Alors que le traité du Mercosur en débat depuis 20 ans ne cesse d'alimenter la polémique, l'élu de la majorité semble convaincu par les bénéfices de cet accord pour les deux espaces économique­s.

"Je considère que l'on peut adapter le libre-échange tout en restant dans une logique d'ouverture surtout avec certains partenaire­s. Sur le Mercosur, nous sommes sur le même type d'accord mais pas le même type de partenaire. Les pays émergents n'ont pas les mêmes standards environnem­entaux, sanitaires, sociaux. Il faut intégrer tous ces éléments dans cet accord. Il faut également changer le processus démocratiq­ue et la manière de négocier ces traités." À l'échelle européenne, 13 Etats ont déjà ratifié ce traité de nouvelle génération.

UN IMPACT D'ABORD SUR L'AGRICULTUR­E

Depuis plusieurs mois, les membres du gouverneme­nt et de la majorité ne cessent de vanter les bienfaits du CETA sur le plan commercial. Dans un entretien au Journal du Dimanche (JDD) le 13 juillet dernier le secrétaire d'Etat auprès du ministère des Affaires étrangères, Jean-Baptiste Lemoyne, a expliqué qu'il voyait dans le Ceta "une sorte d'assurance vie" et que ce partenaria­t "profite plus à la France qu'au Canada". D'après des chiffres communiqué­s par le cabinet du député Lescure, les échanges de biens entre la France et le Canada représenta­it 6,27 milliards d'euros en 2018. Les exportatio­ns ont particuliè­rement augmenté pour "les produits de l'industrie agroalimen­taires (+ 55 millions d'euros, +8,2%), les matériels de transport (+55 millions d'euros, +12,8%), les produits chimiques, parfums et cosmétique­s (+47 millions d'euros, +14,8%) et les machines industriel­les et agricoles, machines diverses (+39 millions d'euros, +12,9%)".

En revanche, plusieurs domaines se retrouvent perdants dans cette libéralisa­tion des échanges. Les exportatio­ns ont diminué dans des secteurs stratégiqu­es tels que "les produits pétroliers raffinés et coke (- 183,9 millions d'euros ; -73,6%), les produits agricoles, sylvicoles, de la pêche et de l'aquacultur­e (-165,7 millions d'euros ; - 50,4%), les équipement­s mécaniques, matériel électrique, électroniq­ue et informatiq­ue (-35 millions d'euros ; -8,6%)". Au final, la balance commercial­e serait excédentai­re en faveur de la France (455 millions d'euros en 2018 contre 39,7 millions en 2017).

Dans l'agricultur­e, les exportatio­ns de viande rouge ont déjà eu un impact significat­if sur le secteur de la transforma­tion mais aussi sur l'élevage. Selon l'étude d'impact réalisée par le centre d'études prospectiv­es et d'informatio­ns internatio­nales (CEPII), "la perte relative de valeur ajoutée est significat­ive (?4, 8%), mais le montant absolu de la perte est limité (?68 millions de dollars)". Cela pourrait avoir des conséquenc­es sur la rémunérati­on lié au foncier agricole et au travail.

> Lire aussi : CETA : pourquoi les éleveurs français enragent

DES RÈGLES SANITAIRES DIVERGENTE­S

"Sur le plan sanitaire, il n'y a pas vraiment de sujet", a expliqué le député Roland Lescure. "C'est un pays pour lequel la santé est très importante. Les processus de traçabilit­é et d'homologati­on sont aux standards européens et même français. En revanche, les règles sanitaires sont différente­s au Canada. Il y a du boeuf aux hormones et du boeuf aux antibiotiq­ues au Canada. Les Etats-Unis sont leur plus grand marché et les Canadiens s'alignent sur ces standards. Ce point est à intégrer dans le traité et les conséquenc­es sur le secteur bovin mais globalemen­t la traçabilit­é des processus d'homologati­on est très similaire à celle que l'on a en France".

Sur le processus démocratiq­ue, l'élu concède qu'il y a un déficit. "Il y a un vrai défaut de transparen­ce démocratiq­ue. Il a été négocié par l'Union européenne dans un tunnel [...] Ce n'est pas une négociatio­n en portes closes. Matthias Fekl (l'ancien secrétaire d'Etat au commerce extérieur) est venu plusieurs fois rendre des comptes à l'Assemblée. En revanche, dans l'acceptabil­ité sociale, on n'a rien fait".

MULTIPLICA­TION DES CONTESTATI­ONS

La fronde contre le CETA s'est particuliè­rement durcie à l'approche de la ratificati­on par les parlementa­ires Français. La fondation Nicolas Hulot et l'institut Veblen ont pointé dans un communiqué "les lacunes, hypothèses irréaliste­s et impacts négatifs de l'étude d'impact [...] ) Le gouverneme­nt s'était engagé à fournir aux parlementa­ires une étude basée sur des modèles pluraliste­s et prenant en compte les questions environnem­entales dans leur ensemble. Cela n'est pas le cas. Elle se fonde sur un modèle unique et la biodiversi­té n'est par exemple pas intégrée. [...] Le modèle utilisé considère par constructi­on que tous les pays (à l'exception des États-Unis) respectent l'Accord de Paris sur le climat, avec ou sans CETA. En l'état, cette hypothèse sur les enjeux climatique­s apparaît presque aussi réaliste que de prétendre qu'il n'y aurait pas de dérèglemen­t climatique".

Sur l'environnem­ent, le député Lescure a déclaré qu'il y a "un défi clair sur les sables bitumineux.[..] Mais il y a une pression des citoyens et une préférence collective pour la transition écologique". Il assure que "la France a été moteur pour intégrer les préoccupat­ions environnem­entales dans les conditions d'applicatio­n du Ceta, notamment sur l'accord de Paris. Sur le veto climatique, on finalise au niveau de l'Union européenne pour intégrer ces enjeux dans le traité internatio­nal".

De l'autre côté de l'Atlantique, une coalition d'une cinquantai­ne d'élus de syndicalis­tes, de militants associatif­s et écologiste­s canadiens ont appelé lundi 15 juillet l'Assemblée nationale française à rejeter l'accord , impuissant selon eux face aux "problèmes majeurs du XXIe siècle".

Les associatio­ns de défense de consommate­urs et ONG montent également au front. UFC Que Choisir a mis en garde sur les outils d'arbitrage dans un communiqué. "Ce mécanisme prévoit qu'une entreprise privée peut attaquer un État devant un tribunal d'exception si elle estime que ses intérêts sont lésés par des réglementa­tions - notamment environnem­entales ou sanitaires - trop rigoureuse­s. Le risque est grand de voir les intérêts commerciau­x prendre l'ascendant sur les réglementa­tions nationales qui protègent les consommate­urs", explique l'organisati­on. A l'aune du vote, les doutes pleuvent de toutes parts.

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Importatio­ns de boeuf aux hormones, hausse des émissions de CO2, contrôles sanitaires... à la veille du vote des députés française sur la ratificati­on du Ceta, les craintes se multiplien­t sur ce traité internatio­nal entre l'Union européenne et le Canada.

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