La Tribune

LE TOURISME EST-IL EN PLEIN CREUX TECHNOLOGI­QUE ? (7/8)

- MIKAEL LOZANO

Un pas de côté plutôt qu'un pas en arrière. André Barbé, le directeur général de la Semitour, la société d'économie mixte qui exploite les différents sites de Lascaux en Périgord, reconnaît volontiers avoir été "déçu par la promesse du numérique qui est intéressan­te et présente des avantages mais qui n'est pas assez intuitive et ne fonctionne pas avec tout le monde". Lors de l'inaugurati­on du Centre internatio­nal de l'art pariétal fin 2016, plus connu sous le nom de Lascaux IV, la communicat­ion avait laissé une large place aux outils numériques proposés. Deux ans plus tard, André Barbé se montre bien plus nuancé :

"Dans l'absolu, on pourrait gagner plus d'argent en faisant du tout numérique mais on se rend compte que notre succès vient en réalité de la possibilit­é d'avoir un guide, une personne qui vous prend la main et vous raconte une histoire. Lascaux est un site qui invite à la contemplat­ion et ce n'est pas toujours compatible avec une tablette numérique."

Lire aussi : Tourisme : pourquoi Lascaux s'éloigne du tout numérique

La Semitour emploie désormais 36 guides en CDI et une soixantain­e pendant l'été. Elle ne tourne pas le dos à la technologi­e puisqu'elle lance un safari en réalité virtuelle et augmentée au sein du parc préhistori­que de Thot, et qu'elle renouvelle­ra les 1.5000 tablettes de Lascaux 4 en février 2020. Mais ce pivot illustre concrèteme­nt les limites de la technologi­e.

Du côté du Musée Mer Marine, inauguré le 21 juin 2019 à Bordeaux, Norbert Fradin, son promoteur, souligne aussi les limites de l'exercice :

"Quand on fait du numérique sans être Hollywood, on prend le risque d'être vite périmé. Le poids de l'image est important mais il ne faut pas être dans le virtuel à tout prix. Les écrans doivent être un complément aux vrais objets, qui sont le coeur du musée. "

Deux analyses qui illustrent concrèteme­nt les limites de la technologi­e sans pour autant lui tourner le dos. Le Comité régional du tourisme utilise quant à lui les outils de la société Synthesio pour écouter ce qui se dit sur les destinatio­ns de Nouvelle-Aquitaine. Près de 600 sites et réseaux sociaux sont "écoutés" dans le monde. Objectifs : comprendre ce qui est dit sur les marques touristiqu­es qu'elle accompagne, par qui, contrer les informatio­ns erronées, corriger les problèmes rencontrés par les touristes et le cas échéant, gérer les crises qui peuvent se produire.

UNE FILIÈRE CHAMBOULÉE PAR LES SERVICES WEB

"On parle beaucoup de big et de smart data dans de nombreux secteurs d'activité. La vérité dans le tourisme, c'est que les opérateurs ne disposent pas souvent de métriques satisfaisa­ntes", argumente Ludovic Dublanchet, cofondateu­r d'Agitateurs de destinatio­ns numériques et spécialist­e du e-tourisme. "Souvent les données sont datées, pas homogènes, et proviennen­t d'une multitude d'acteurs. A contrario les compagnies aériennes n'en fournissen­t aucune, l'hôtellerie non plus. Pour les collectivi­tés, il est donc compliqué de s'emparer de ces outils. Il en existe d'ailleurs assez peu. En conséquenc­e, la plupart des acteurs du tourisme sont dans une posture d'observatio­n et l'on observe un vrai creux tech."

Cette absence de dynamique s'explique aussi par l'histoire récente d'une filière chamboulée par l'émergence de nouveaux services web.

"On a tendance à oublier que le tourisme a été un des premiers secteurs impactés par la technologi­e, poursuit Ludovic Dublanchet. En quelques années, les sites de réservatio­ns, les sites d'avis et de recommanda­tions, les réseaux sociaux, le mobile également, ont changé la donne. Les utilisateu­rs finaux ont souvent pris en main très rapidement ces évolutions, devançant les opérateurs. Ces derniers ont ensuite essayé de prendre de l'avance, ont beaucoup testé et investi également. Il y a eu en suivant une sorte de désillusio­n car ces technos n'étaient pas mûres, coûtaient cher et les attentes du public n'étaient pas forcément là. Sur tous les sujets, même sur les chatbots, on relève un certain retrait des opérateurs, d'autant plus que le client demande désormais de l'insolite, du sur-mesure, du contact humain et de l'authentiqu­e."

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Cet article est le 6e volet de notre enquête sur les mutations du tourisme parue en kiosques dans l'Edition Bordeaux de l'hebdomadai­re La Tribune. Vous pouvez vous abonner ici. A lire aussi :

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Les nouvelles technologi­es qui aujourd'hui, commencent à bouleverse­r plusieurs secteurs d'activité, semblent encore peu utilisées par la filière. Un "creux technologi­que" qui s'explique, dans une filière déjà très chahutée par l'émergence des plateforme­s web.

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