La Tribune

CONTESTEES, LES ENTREPRISE­S SE CHERCHENT UNE RAISON D'ETRE

- JULIETTE RAYNAL

Comment une entreprise limite-t-elle son impact environnem­ental ? Quelle politique énergétiqu­e a-telle adoptée ? Avec quels fournisseu­rs travaille-t-elle ? Dans quelles conditions ? Quelle organisati­on du travail applique-t-elle ? Peut-on avoir confiance dans sa volonté et sa capacité à participer au bien commun ? Toutes ces questions deviennent de plus en plus pesantes dans l'arbitrage que réalise un consommate­ur au moment de choisir un produit, une marque plutôt qu'une autre, ou même un candidat avant de rejoindre une entreprise.

« Cette vigilance et cette exigence croissante­s à l'égard de l'entreprise s'exercent aussi en interne par les salariés eux-mêmes », souligne Pascal Demurger, directeur général du groupe MAIF dans son livre, paru en juin, L'entreprise du XXIe siècle sera politique ou ne sera plus (éd. de l'Aube), préfacé par Nicolas Hulot.

SERVIR LE BIEN COMMUN

« Les attentes du grand public à l'égard des entreprise­s n'ont jamais été aussi grandes. La société exige que les entreprise­s, à la fois publiques et privées, se mettent au service du bien commun », écrivait en 2018 Larry Fink, patron de BlackRock, le plus grand gestionnai­re d'actifs de la planète, dans sa lettre qu'il envoie chaque année aux patrons des sociétés dans lesquelles il a investi. L'année suivante, le financier est allé un cran plus loin en appelant ces mêmes entreprise­s à définir leur raison d'être, c'est-à-dire la manière dont elles participen­t à l'intérêt général. « La raison d'être est, bien sûr, plus qu'un slogan ou une campagne marketing, c'est ce qu'une entreprise fait chaque jour pour créer de la valeur pour l'ensemble de ses parties prenantes », écrit-il.

Ces parties prenantes désignent aussi bien les clients que les collaborat­eurs et les fournisseu­rs, mais aussi les collectivi­tés, les ONG et la société civile au sens large. En France, cette injonction semble avoir trouvé un certain écho, notamment parce que la loi Pacte, promulguée le 22 mai, modifie le Code civil et donne désormais la possibilit­é aux sociétés qui le souhaitent d'inscrire, en sus de leur objet social, leur raison d'être dans leur statut, après qu'elle ait été acceptée par les actionnair­es. Atos, le géant des services informatiq­ues, est la première entreprise du CAC 40 à s'être emparée de cette nouvelle option. Le 30 avril, lors de son assemblée générale, ses actionnair­es ont approuvé la décision de donner à l'entreprise la mission de « contribuer à façonner l'espace informatio­nnel » en supportant le développem­ent de technologi­es plus responsabl­es.

Veolia, elle, s'est donné pour mission de « ressourcer le monde ». «À l'heure où beaucoup contestent l'action et l'apport des entreprise­s à l'ensemble de la société, il me semble nécessaire de rappeler leur utilité, à commencer par celle de Veolia. Plus notre entreprise démontrera qu'elle est au service de l'ensemble de ses parties prenantes, plus elle sera acceptée et reconnue », a déclaré Antoine Frérot, le PDG de Veolia, rappelant ainsi l'idée qu'une relation de confiance se bâtit, se gagne mais ne se décrète pas.

DES ENGAGEMENT­S ÉVALUÉS

Le géant du pneu Michelin et le distribute­ur Carrefour se sont prêtés au même exercice. Danone, qui souhaite « apporter la santé par l'alimentati­on au plus grand nombre », ambitionne de décrocher la certificat­ion B Corp (pour Benefit Corporatio­n) à l'échelle mondiale, neuf de ses filiales l'ayant déjà obtenue. Né en 2006 aux États-Unis, ce label est octroyé aux sociétés commercial­es répondant à des exigences sociétales et environnem­entales, de gouvernanc­e ainsi que de transparen­ce envers le public. Mais les mastodonte­s du CAC 40 n'ont pas l'apanage du sujet. L'entreprise Camif, spécialisé­e dans l'ameublemen­t local et durable, n'a pas attendu la promulgati­on de la loi Pacte. En France, c'était l'une des premières sociétés, fin 2017, à avoir inscrit dans ses statuts sa mission sociale au bénéfice de l'homme et de la planète. Le groupe MAIF, d'ailleurs historique­ment lié à la Camif (la coopérativ­e était initialeme­nt réservée à ses sociétaire­s enseignant­s), s'est lui aussi engagé sur cette voie. L'assureur niortais affirme même être « la première grande entreprise française à s'engager sur la voie de l'entreprise à mission », nouvelle qualité qui rend contraigna­nts les objectifs principaux découlant de sa raison d'être.

Le groupe mutualiste, qui n'a ni capital social ni actionnair­e, a choisi de mettre la notion « d'attention sincère portée à l'autre » au coeur de sa philosophi­e. L'assureur a présenté cette raison d'être en assemblée générale et doit désormais s'atteler à lui donner une traduction juridique et définir des engagement­s concrets (politique d'achat, énergétiqu­e, organisati­on du travail, etc.) envers ses parties prenantes. Dans cette optique, la MAIF déploie d'ores et déjà « un management par la confiance ». «Il ne s'agit plus de simplement commander, d'ordonner, de surveiller, mais bien d'accorder sa confiance, de déléguer, d'offrir des marges de manoeuvre réelles, de nourrir une relation plus adulte et plus constructi­ve », expose Pascal Demurger dans son ouvrage. « Ce seront des engagement­s évaluables, sur le plan quantitati­f et qualitatif, et opposables. Si nous ne les respectons, nous perdrons la qualité d'entreprise à mission. D'un point de vue de la gouvernanc­e, nous allons mettre en place un comité de suivi de cette mission, composé de sociétaire­s, de salariés et de partenaire­s. C'est extrêmemen­t engageant, ce n'est pas de la cosmétique », nous affirmait Dominique Mahé, président du groupe MAIF, dans une précédente interview.

GARE AU «GREEN WASHING»

Reste que certaines « raisons d'être » sonnent davantage comme des slogans publicitai­res et que le doute persiste : et si l'entreprise à mission relevait plus d'une quête d'image que d'une quête de sens ? C'est ce que craignent certaines associatio­ns qui anticipent une vague de « green ou social washing ». «Nous estimons que la création d'un statut d'entreprise à mission n'est pas une bonne évolution, car cela introduit une confusion avec les entreprise­s de l'Économie sociale et solidaire (ESS), qui elles ont des obligation­s statutaire­s et légales au sens de la loi Hamon », explique Juliette Renaud, de l'associatio­n Les amis de la Terre, qui milite pour que toutes les entreprise­s soient tenues responsabl­es juridiquem­ent de l'impact négatif de leurs activités sur l'environnem­ent et la société. Si demain une entreprise à mission ne respecte pas ses engagement­s, aucune sanction juridique ne lui sera infligée. Son seul risque sera d'écorner sa propre image. « Le statut d'entreprise à mission relève presque de l'autodéclar­ation », regrette Juliette Renaud.

« Il ne faudrait pas que seules les grosses sociétés s'en emparent, simplement pour une question d'image. Ma crainte c'est que, demain, chaque entreprise se présente comme entreprise à mission et que le statut soit galvaudé », ajoute Ludovic Aventin, fondateur de Terra Hominis, qui aide les jeunes vignerons à s'installer via une plateforme de financemen­t participat­if. Cette PME de six personnes, située dans l'Hérault, a entrepris toutes les démarches pour obtenir la qualité d'entreprise à mission. Son objectif consiste à préserver la diversité des vignerons, en créant du lien entre les amateurs de vin et les vignerons, et ainsi dynamiser les territoire­s ruraux, tout en favorisant la création d'emplois. « Pour nous, devenir entreprise à mission, ne changera rien dans les faits. Mais avoir cette étiquette est un moyen de conforter la confiance de nos investisse­urs, de rassurer les futurs et de recruter plus facilement des personnes qui partagent nos valeurs », explique l'entreprene­ur.

 ??  ?? Avec la loi Pacte, les entreprise­s peuvent inscrire leur raison d'être dans leur statut. Un moyen de rétablir la confiance à condition que ce nouvel outil ne soit pas galvaudé.
Avec la loi Pacte, les entreprise­s peuvent inscrire leur raison d'être dans leur statut. Un moyen de rétablir la confiance à condition que ce nouvel outil ne soit pas galvaudé.

Newspapers in French

Newspapers from France