La Tribune

LA RESTRUCTUR­ATION DE LA DEUTSCHE BANK : UNE STRATEGIE « EYES WIDE SHUT » ?

- LATRIBUNE.FR

Le 7 juillet 2019, La Deutsche Bank (DB) a annoncé une restructur­ation majeure de ses activités avec à la clef la suppressio­n de 18 000 emplois (soit environ 20 % de ses effectifs), soit le plus grand plan social de son histoire. Le groupe allemand souhaite réaliser des économies et renouer avec les bénéfices. Ce plan stratégiqu­e a reçu le soutien du syndicat allemand Verdi Labor Union et se traduira par une réduction de la voilure en termes d'activités, notamment dans les domaines de la banque de financemen­t et d'investisse­ment, des activités de trading sur les marchés actions ou encore dans le champ obligatair­e. À ceci s'ajoutent des départs au sein du conseil d'administra­tion et de la direction de la banque. Cela fait également suite à l'échec des discussion­s en vue d'un rapprochem­ent avec une autre banque allemande, la Commerzban­k, fin avril 2019.

Nous avons choisi de comparer la situation financière de la DB avec les principale­s banques européenne­s (la britanniqu­e HSBC, n°1 européenne et n°6 mondiale en termes de capitalisa­tion boursière, l'espagnole Banco Santander, n°2 européenne et n°19 mondiale, la française BNP Paribas, n°3 européenne et n°25 mondiale), mais aussi avec sa concurrent­e directe allemande, la Commerzban­k, pour tenter d'avoir une meilleure compréhens­ion de ses difficulté­s.

UNE VALORISATI­ON BOURSIÈRE EN CHUTE LIBRE

Si l'on observe le parcours boursier de la DB depuis 5 ans, on constate que sa valorisati­on s'est profondéme­nt dégradée (-71 %) alors que ses concurrent­s européens ont fait moins mal (Banco Santander ou Commerzban­k) ou se sont appréciées (BNP-Paribas et HSBC). Cela traduit les difficulté­s qu'elle rencontre depuis maintenant quelques années.

UNE ACTIVITÉ ET UNE RENTABILIT­É EN BERNE

Le produit net bancaire de la DB, qui mesure la valeur ajoutée générée par son activité bancaire, diminue au cours du temps, tandis que ceux de ses concurrent­s restent stables (BNP Paribas et Commerzban­k), voire s'améliorent (Banco Santander et HSBC pour la période récente). Cela n'est pas bon signe pour le dynamisme et la compétitiv­ité de cet établissem­ent et les mesures annoncées d'abandon d'activités devraient encore contribuer à un resserreme­nt.

rapports annuels des banques.

Un autre indicateur souligne la sous-performanc­e de la DB : le coefficien­t d'exploitati­on, qui consiste à rapporter les charges fixes d'exploitati­on au produit net bancaire pour évaluer l'efficacité opérationn­elle d'une banque (plus il est faible, plus la banque est efficace). La DB se signale là encore, et de loin, par la plus mauvaise performanc­e, ce que l'on peut mettre en relation avec le plan de licencieme­nt et plus largement d'économies annoncé, ainsi qu'avec le retrait prévu des activités les moins rentables annoncé cette semaine.

rapports annuels des banques.

La situation en termes de rentabilit­é financière, qui mesure le rendement des capitaux mobilisés par les actionnair­es (ou return on equity, ROE), est encore pire pour la DB, avec des performanc­es négatives (sauf au début et en fin de période, quoique timidement) et très inférieure­s aux concurrent­es.

rapports annuels des banques.

UNE RESTRUCTUR­ATION SANS DOUTE INSUFFISAN­TE

On note que la situation de l'autre banque allemande, la Commerzban­k, n'est guère plus brillante, tant en termes de coefficien­t d'exploitati­on que de ROE. Aussi, la fusion avortée n'est-elle sans doute pas une mauvaise nouvelle car ce n'est pas en mariant des banques à la situation délicate sur un même marché qu'une solution pérenne aurait pu être trouvée. La volonté de restructur­ation autonome de la DB et de recentrage sur son activité historique de financemen­t des entreprise­s et de banque de dépôt est louable, mais on peut se demander si son avenir ne passerait pas plutôt par un rapprochem­ent avec une autre banque européenne ou non.

Quand on constate par ailleurs que BNP Paribas, 3e capitalisa­tion boursière européenne, n'est que la 25e capitalisa­tion mondiale, on mesure le retard pris par le Vieux Continent en matière de développem­ent de champions européens - et non plus nationaux - pour concurrenc­er les grandes banques nord-américaine­s ou chinoises qui trustent les premières places. Ce diagnostic n'est sans doute pas étranger à l'accueil plutôt froid que les marchés ont réservé à l'annonce de la DB. Deux jours après l'annonce, l'action de la DB avait chuté de 10 % à la Bourse de Francfort.

Certes, le secteur bancaire en Europe, et en particulie­r en Allemagne, se signale par une concurrenc­e accrue par l'existence de réseaux coopératif­s et mutualiste­s (qui peuvent d'ailleurs parfaiteme­nt remplir le rôle de banque de financemen­t local des entreprise­s et des particulie­rs que vise désormais la DB). Certes, le rachat de la Deutsche Bank par un concurrent étranger serait sans doute symbolique­ment mal vécu en Allemagne, mais sans doute vaudrait-il mieux ouvrir les yeux et choisir un futur plus internatio­nal avant de le subir.

_____

Par Jérôme Caby, Professeur des Université­s, IAE Paris - Sorbonne Business School et Éric Lamarque, Professeur, IAE Paris - Sorbonne Business School

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversati­on

 ??  ?? IDEE. En plus de la sous-performanc­e de l’activité du groupe allemand, le plan de licencieme­nt de 18 000 salariés, annoncé le 7 juillet, traduit sa persistanc­e dans plusieurs erreurs stratégiqu­es. Par Jérôme Caby, IAE Paris – Sorbonne Business School et Éric Lamarque, IAE Paris – Sorbonne Business School
IDEE. En plus de la sous-performanc­e de l’activité du groupe allemand, le plan de licencieme­nt de 18 000 salariés, annoncé le 7 juillet, traduit sa persistanc­e dans plusieurs erreurs stratégiqu­es. Par Jérôme Caby, IAE Paris – Sorbonne Business School et Éric Lamarque, IAE Paris – Sorbonne Business School
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France