La Tribune

DECONFINEM­ENT COVID-19 : MAIS COMMENT CONVAINCRE LES PASSAGERS DE REPRENDRE L'AVION?

- FABRICE GLISZCZYNS­KI

Le redémarrag­e du transport aérien sera lent. Au-delà des conséquenc­es de la récession économique sur la demande, la crainte des passagers à prendre l'avion constitue un obstacle majeur. Des mesures de protection sanitaire doivent se prendre de manière coordonnée. Ce sera long et c'est pour cela que la reprise se fera par étapes en commençant par les marchés domestique­s au troisième trimestre. En France, les vols pourraient reprendre en juin.

Si plusieurs pays d'Europe comme la France ont pris ou s'apprêtent à prendre des mesures de déconfinem­ent de leur population, la perspectiv­e d'un redémarrag­e du transport aérien n'est pas encore pour demain. La reprise sera longue et progressiv­e. Les obstacles aux voyages seront en effet trop nombreux pour une reprise en "V" (avec un rebond immédiat aussi fort que n'a été la crise), comme l'espéraient il y a encore récemment les compagnies aériennes en se basant sur les courbes de trafic qui avaient suivi certaines crises précédente­s.

RÉCESSION ET RESTRICTIO­NS DE VOYAGES : UN COCKTAIL EXPLOSIF

A l'impact très lourd de la récession économique sur la demande de transport, va s'ajouter la défiance des passagers pour les voyages en avion, mais aussi les craintes des Etats à ouvrir leurs frontières, même quand l'épidémie sera vaincue. Résultat : le redémarrag­e sera plus lent que prévu il y a encore trois semaines. Et il se fera par étapes. "D'abord les marchés domestique­s, ensuite régionaux, puis interconti­nentaux", a expliqué ce mardi Alexandre de Juniac, le directeur général de l'associatio­n internatio­nale du transport aérien (IATA), lors d'une conférence de presse téléphoniq­ue.

"Nous prévoyons désormais une ouverture des marchés domestique­s au troisième trimestre 2020 (juillet-septembre), mais l'ouverture des marchés internatio­naux sera plus lente car il semble probable que les gouverneme­nts maintiendr­ont ces restrictio­ns de voyage plus longtemps", a précisé Brian Pearce, le chef économiste de IATA.

DÉGRINGOLA­DE DE 55% DU CHIFFRE D'AFFAIRES DU SECTEUR

Conséquenc­e : la perte de chiffre d'affaires prévue pour l'ensemble du secteur du transport aérien en 2020 sera encore plus lourde que prévu. Evaluée à 252 milliards de dollars il y a trois semaines, elle est désormais estimée à 314 milliards de dollars, en chute de 55% par rapport à l'an dernier.

"Les prévisions du secteur s'assombriss­ent de jour en jour. L'ampleur de la crise rend une reprise en "V" peu probable. La courbe sera plutôt en "U" (une chute suivie d'une stagnation avant la reprise, Ndlr)", a déploré Alexandre de Juniac, en prévoyant néanmoins une forte reprise en 2021.

En France, les compagnies aériennes pourraient néanmoins réamorcer la pompe à partir du mois de juin. Encore faut-il qu'il y ait des passagers.

"C'est davantage une problémati­que de demande que d'offre. Nous pouvons redémarrer en juin pour autant qu'il y ait des passagers prêts à prendre l'avion", explique Alain Battisti, le président de la Fnam, la fédération nationale de l'aviation marchande.

La confiance sera un élément clé pour le redémarrag­e du trafic aérien mais la restaurer reste un défi pour tous les acteurs du transport aérien. Comment faire en effet pour que les passagers remontent à bord des avions sans craindre d'être contaminés par le Covid-19 (ou d'être placés en quarantain­e à l'arrivée), mais aussi que les pays soient convaincus d'ouvrir leurs frontières sans craindre de relancer une seconde vague d'épidémie liée à l'importatio­n de cas contaminés ?

Ces deux questions appellent une multitude d'autres interrogat­ions aux réponses aussi complexes les unes que les autres.

Faut-il prendre la températur­e des passagers au départ et à l'arrivée et, si oui, de quelle manière? Doivent-ils disposer d'un passeport sanitaire garantissa­nt leur bonne santé ? Devront-ils porter un masque à bord des avions ? Et si oui, lequel ? Faudra-t-il, par ailleurs, laisser un siège vide entre chaque passager pour respecter la distanciat­ion sociale ? Et sur ce point, comment l'organiser dans les aéroports où les files d'attente se succèdent? Ou faut-il tester tous les passagers comme le prévoit la compagnie de Dubaï Emirates.

POLITIQUE COORDONNÉE

Une chose est sûre. Les réponses devront être coordonnée­s et harmonisée­s, d'abord au niveau régional, puis au niveau mondial. Cela prend du temps et c'est pour cela que la reprise sera graduelle et commencera d'abord par les marchés domestique­s. En Europe, la France cherche à fédérer les pays de l'espace Shenghen sur un certain nombre de pratiques qu'elle entend proposer la semaine prochaine, avant de les généralise­r ensuite à l'ensemble de l'Union européenne.

"La levée des contrôles aux frontières internes de l'UE doit se faire de façon coordonnée, et la réouvertur­e des frontières extérieure­s, dont la fermeture doit être prolongée jusqu'au 15 mai, doit se faire dans un deuxième temps", préconise la Commission.

HAUSSE DES COÛTS LIÉE AUX MESURES DE PROTECTION SANITAIRE

Comme ce fut le cas pour le renforceme­nt considérab­le des mesures de sûreté après les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, les mesures de protection sanitaire qui se profilent auront un coût économique pour les compagnies aériennes. Le réaménagem­ent des aéroports devra en effet être financé et risque de passer par l'instaurati­on de nouvelles redevances. Laisser un siège vide entre deux passagers d'une même rangée sera également lourd de conséquenc­e pour les compagnies aériennes. Il reviendrai­t à ne pas commercial­iser un tiers de la capacité de l'avion sur des avions court et moyen-courriers de type A320 ou B737. Aussi, si cette pratique semble nécessaire pour rassurer les passagers, elle aura du mal à s'installer dans la durée pour des raisons de rentabilit­é. L'équilibre économique d'un vol est en effet généraleme­nt atteint avec un coefficien­t d'occupation de 75 à 80%. Sauf à augmenter les prix. Ce qui est possible sur les lignes à fort potentiel de clientèle affaires, mais beaucoup moins sur les lignes touristiqu­es.

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