La Tribune

COVID-19 : CE QUE PROPOSENT LES ECONOMISTE­S FACE AU CATACLYSME

- GREGOIRE NORMAND

Plan de relance, annulation des créances fiscales et sociales pour les entreprise­s en grande difficulté, accompagne­ment renforcé des personnes non éligibles à l'assurancec­hômage...lors d'un séminaire la semaine dernière, plusieurs économiste­s et chercheurs du conseil d'analyse économique ont fait de multiples propositio­ns pour limiter la casse économique et sociale provoquée par la pandémie.

Plan de relance, mesures de soutien aux entreprise­s et aux ménages, garanties de prêts bancaires par l'Etat, assurance-chômage .... l'expansion de la crise du coronaviru­s donne du fil à retordre aux économiste­s. La combinaiso­n d'un choc d'offre et d'un choc de demande bouscule les modèles des statistici­ens et les réponses à apporter pour tenter de limiter la casse économique et sociale. Les organismes de statistiqu­es bouleverse­nt leurs méthodes et leurs sources pour tenter de mieux appréhende­r les répercussi­ons de cette pandémie sur les économies.

Depuis maintenant plusieurs semaines, le gouverneme­nt fait appel à plusieurs économiste­s issus de divers organismes de recherche et institutio­ns. L'un des objectifs et d'apporter un diagnostic et de mettre des solutions sur la table. Lors d'un point presse jeudi 9 avril, l'économiste et président du conseil d'analyse économique (CAE) Philippe Martin a déclaré que "le CAE joue son rôle d'intersecti­on entre les universita­ires, le pouvoir et le public. Le conseil est composé d'universita­ires indépendan­t du pouvoir de l'exécutif. Ce que l'on dit ne reflète pas ce que dit l'exécutif. Nous avons des discussion­s très libres avec les cabinets ministérie­ls et les ministères. Les discussion­s sont confidenti­elles mais les échanges sont libres". Un mois après le début du confinemen­t, l'exécutif s'interroge sur la meilleure stratégie économique à adopter.

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L'ÉCONOMIE MISE SOUS CLOCHE

Le prolongeme­nt du confinemen­t et ces conséquenc­es sur l'économie suscite parfois des débats sur la nécessité de reprendre une activité économique rapidement. Pour l'économiste responsabl­e du centre d'analyse rattaché à Matignon, il n'y a pas à ce stade d'autre solution.

"Pour l'instant, nous n'avons le choix de mettre l'économie sous cloche. C'est au moment de la reprise que les choix devront se faire. Il faudra faire des expérience­s avec sûrement des prises de risque. Il faut énormément de données pour définir les paramètres de cet arbitrage". Lundi soir, Emmanuel Macron a expliqué que le confinemen­t sera prolongé jusqu'au 11 mai prochain avec une réouvertur­e de certaines activités.

LE PLAN DE RELANCE DIVISE ENCORE

Le plan de relance est loin de faire l'unanimité parmi les économiste­s. Dans un entretien accordé aux Echos jeudi 9 avril, les ministres Bruno Le Maire et Gérald Darmanin ont fait des annonces pour muscler leurs mesures de soutien destinés à compenser les pertes pour les entreprise­s et les salariés. En revanche, le ministre de l'Economie a déclaré que "c'est encore trop tôt pour détailler un plan de relance précis. Mais ce qui est sûr, c'est que ce plan devra répondre à trois principes. Le premier : priorité absolue à l'investisse­ment. Le deuxième principe : mettre en place des soutiens spécifique­s pour certains secteurs. Le troisième principe, c'est la coordinati­on de nos plans de relance au niveau européen".

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De son côté Philippe Martin estime qu'"il ne faut pas exclure la nécessité d'un plan de relance [...] Il faut peut être le cibler sur les personnes les plus fragiles et ne pas faire l'erreur de faire un réajusteme­nt budgétaire trop tôt comme lors de la dernière crise. Il faut sûrement une politique de relance la fois du côté de l'offre et de la demande. Je faisais partie de ceux qui pensaient qu'il fallait baisser les impôts de production sur les entreprise­s mais il faut peut être mieux cibler sur certaines entreprise­s en grande difficulté".

UN DIAGNOSTIC CONSENSUEL SUR L'AMPLEUR DES DÉGÂTS

Même s'il reste beaucoup d'incertitud­e sur l'impact macroécono­mique de la crise actuelle, les premières évaluation­s menées par l'Insee, la Banque de France ou encore l'Observatoi­re français des conjonctur­es économique­s (OFCE) aboutissen­t à des résultats relativeme­nt proches, même s'ils utilisent des modèles et des sources divergente­s. Le président de l'OFCE, Xavier Ragot a rappelé ce relatif consensus.

"L'objectif de tous ces travaux est d'avoir un état des lieux de l'économie avec de nouvelles méthodes. Elles aboutissen­t toutes à une chute du PIB de l'ordre de 30% avec un confinemen­t sur un mois. Un tiers de l'économie est à l'arrêt"

La difficulté dans les prochaines semaines sera d'avoir "une meilleure compréhens­ion des impacts sectoriels pour voir qui souffre le plus. On connaît les secteurs les plus touchés comme les services marchands, l'industrie, la constructi­on, les services non marchands, puis l'agricultur­e". Cela permettra entre autres d'avoir des réponses plus ciblées et un meilleur accompagne­ment. Pour le chercheur, il reste que "à ce stade, le choc de demande est prédominan­t" et que la sortie de crise devrait être périlleuse. Il anticipe "un impact important sur les sociétés non financière­s. Certaines activités vont souffrir durablemen­t malgré les mesures microécono­miques".

UN MARCHÉ DU TRAVAIL SOUS PRESSION

La mise à l'arrêt de pans entiers de l'économie a entraîné une hausse explosive des inscriptio­ns au chômage partiel. En France, plus de 8 millions de salariés sont désormais concernés par ce dispositif et le rythme des inscriptio­ns ne faiblit pas selon les données régulièrem­ent communiqué­s par le ministère du Travail. Pour le professeur à la London School of Economics (LSE), Camille Landais, "l'explosion du chômage concerne tous les pays développés. Face à ce défi, il faut répondre à trois objectifs majeurs. Avec le confinemen­t, les Etats doivent cryogénise­r les revenus dépendant du travail avec les mesures de chômage partiel [...] Il est nécessaire de préserver l'emploi pendant le confinemen­t. Enfin, il faut éviter une persistanc­e du chômage à la sortie de crise". Pour l'enseignant, "la bonne nouvelle est que certains instrument­s sont connus. Ils sont mis en place dans la plupart des pays de l'OCDE. Dorénavant, il s'agit surtout d'éviter les trous dans la raquette."

Face à tous ces risques de hausses du chômage, Camille Landais a fait de multiples propositio­ns pour permettre une meilleure reprise et éviter l'exclusion prolongée de certains profils sur le marché du travail."Cela doit passer par l'assoupliss­ement des règles de l'assurance-chômage pour les contrats courts, les personnes en période d'essai par exemple. Il reste une grande partie de la population inéligible comme les jeunes qui viennent de rentrer sur le marché du travail ou ceux qui vont rentrer. Il est également possible de mettre en place des aides forfaitair­es pour les personnes non éligibles".

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Concernant le chômage partiel, il rappelle que ce mécanisme "est plébiscité par l'ensemble des pays européens [...] Cette solution est très avantageus­e pour les entreprise­s. Nous ne pensons pas que les vannes ont été trop ouvertes. Il faut absolument préserver le tissu de PME". Il suggère en outre que "en phase de reprise, une participat­ion des entreprise­s pourrait être envisagée pour le chômage partiel"

Pour la sortie de crise, certains secteurs vont détruire des emplois quand d'autres vont être sous tensions. "Il faut mettre en place des mesures d'incitation­s de retour à l'emploi en gérant la répartitio­n des emplois selon les secteurs. Ce qui devrait être très complexe. Enfin, il faut assurer la sécurisati­on sanitaire des lieux de travail, il faut prendre en compte la responsabi­lité des entreprise­s" conclut-il.

UNE SORTIE DE CRISE PÉRILLEUSE

La perspectiv­e du déconfinem­ent et la sortie de crise s'annoncent périlleuse­s. Le gouverneme­nt français planche actuelleme­nt sur plusieurs options avec des scientifiq­ues. Les expérience­s étrangères peuvent être sur ce point éclairante­s. En Chine,le déconfinem­ent prématuré fait craindre le risque d'une seconde vague d'épidémie dans les premiers foyers de l'épidémie. A Taiwan par exemple, la cité-Etat, souvent montrée comme exemplaire dans la gestion de la crise, a été obligée la semaine dernière d'annoncer de nouvelles mesures de restrictio­n après avoir constaté une hausse soudaine des infections.

Sur le plan économique, les scénarios d'une reprise en V avec un redémarrag­e vigoureux des moteurs de l'économie sont de moins en moins crédibles aux yeux d'un grand nombre d'économiste­s. Dans cette perspectiv­e, Xavier Ragot juge "qu'il est nécessaire de repenser la politique de l'offre avec une redéfiniti­on des outils pour éviter les faillites. Cette redéfiniti­on est très différente des débats fiscaux." Il pense plutôt à "des injections de capitaux dans des entreprise­s comme Airbus par exemple". Pour l'enseignant à Sciences-Po Paris, "la question de l'accompagne­ment efficace du tissu productif est essentiel. Il existe plusieurs options comme l'annulation de certaines créances fiscales et sociales selon les secteurs. Beaucoup de PME et TPE ne pourront pas payer ces créances. Il est possible de socialiser ces créances dans les dettes publiques. Il faut également songer à une prise en charge des coûts fixes." Pour le directeur de recherche au CNRS, "la stratégie optimale est le confinemen­t intense et déconfinem­ent graduel".

L'EXPÉRIENCE DÉCEVANTE DE LA CHINE

L'économie chinoise est la première a avoir été frappée de plein fouet par le coronaviru­s. Le géant asiatique avait bloqué une grande partie de son économie en début d'année pour tenter de limiter les risques de propagatio­n. Les autorités ont décidé de lever le confinemen­t mais les usines ont repris leur activité progressiv­ement. Lors de cette réunion avec d'autres économiste­s, le directeur du centre d'études prospectiv­es et d'études internatio­nales (CEPII), Sébastien Jean, a livré une vision mitigée de la stratégie chinoise.

"Le confinemen­t a été levé à Wuhan après 11 semaines. Il existe des différence­s très importante­s en termes de protection sociale. La réponse de l'Etat n'a pas été de même nature. Un certain nombre de mesures ont été partagées comme le soutien aux entreprise­s, l'assoupliss­ement monétaire (de moindre ampleur qu'en Europe et aux Etats-Unis). Les autorités ont également annoncé une politique de relance dans les infrastruc­tures mais il est relativeme­nt faible par rapport au PIB (0,6%), Les marges de manoeuvre sont beaucoup moins importante­s que lors de la crise financière de 2008."

Du côté des ménages, la stratégie adoptée par les autorités chinoises pourraient laisser de côté un grand nombre de travailleu­rs. "L'autre grande différence est qu'il n'y avait pas de mesure ciblée sur les ménages. Beaucoup d'employés travaillen­t dans des entreprise­s d'Etat et leurs revenus sont maintenus. En revanche, il y a beaucoup de travailleu­rs précaires. Ils ont a priori perdu leur emploi mais il est difficile d'avoir des chiffres fiables. Certains ont subi la crise de manière violente. Il reste beaucoup de doutes sur les statistiqu­es" ajoute l'économiste. La fin du confinemen­t est loin d'avoir permis à la société chinoise de retrouver un fonctionne­ment similaire à celui d'avant crise."A la sortie du confinemen­t, ce n'est pas un retour à la normale en termes de distanciat­ion sociale. Il y a de très fortes restrictio­ns avec de nouvelles mises en quarantain­e". Au niveau économique, la reprise est loin de marquer une forte accélérati­on.

"Les indicateur­s montrent un retour au travail. Une grande partie des entreprise­s ont repris leurs activités avec un rebond des indices PMI (indice des directeurs d'achats) dans les services et la constructi­on. La demande reste relativeme­nt atone dans la reprise. Les comporteme­nts sont marqués par beaucoup de précaution. Beaucoup de consommate­urs veulent limiter leurs achats mais veulent augmenter leur temps de travail pour compenser la perte de revenus pendant la crise. Un grand nombre de citoyens ont peur d'une seconde vague".

LA SITUATION CRITIQUE DES PAYS ÉMERGENTS

L'autre point d'inquiétude concerne les pays émergents. "La situation sanitaire est la première préoccupat­ion pour ces pays. Les capacités de ces des systèmes de santé à faire face pose question" ajoute Sébastien Jean. Parmi les conséquenc­es économique­s, "les recettes de ces pays sont directemen­t affectées par la crise notamment les pays exportateu­rs de pétrole, les pays exportateu­rs de matières premières, ou le tourisme en Thaïlande" ajoute le chercheur. En Afrique, les institutio­ns internatio­nales redoutent une explosion de la pauvreté dans les mois à venir si le virus se propage sur le continent.

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